(traduit du bulgare par le traducteur du « Coeur Cerf »)
Le Mont Analogue fut commencé par René Daumal en juillet 1939 lors de son séjour à Pelvoux dans les Alpes et à un moment particulièrement tragique de son existence. Il venait d'apprendre – à trente et un ans – qu'il était perdu : tuberculeux depuis une dizaine d'années, sa maladie ne pouvait avoir qu'une issue fatale. Trois chapitres étaient achevés en juin 1940 quand Daumal quitta Paris à cause de l'occupation allemande, sa femme, Vera Milanova, étant israélite. Après trois ans passés entre les Pyrénées (Gavarnie), les environs de Marseille (Allauch) et les Alpes (Passy, Pelvoux), dans des conditions très difficiles sur tous les plans, Daumal connut enfin, au cours de l'été 1943, un moment de répit et espéra pouvoir finir son « roman ». Il se remit au travail, mais une dramatique aggravation de sa maladie l'empêcha de terminer la relation de son voyage « symboliquement authentique ». Il mourut à Paris le 21 mai 1944. ? (extrait le avant-propos de l'éditeur)
Ainsi, le dernier (ici la dernière) ayant parlé l’emportant, le narrateur est convaincu du bien fondé de l’entreprise, et l’enthousiasme le reprend.
Il va à présent rencontrer ses compagnons d’aventure en compagnie de son épouse.
Le dimanche suivant, à deux heures de l’après-midi, j’introduisais ma femme dans le « laboratoire » du passage des Patriarches, et, au bout d’une demi-heure, nous formions, à trois, une association pour laquelle rien d’impossible n’existait plus.
Le Père Sogol avait à peu près terminé ses mystérieux calculs, mais il en réservait l’exposé pour un peu plus tard, quand tous les invités seraient là. En attendant, nous convînmes de nous décrire l’un à l’autre les personnes que nous avions convoquées.
C’étaient, de mon côté :
IVAN LAPSE, 35 à 40 ans, russe, d’origine finnoise, linguiste remarquable. Remarquable surtout entre tous les linguistes parce qu’il était capable de s’exprimer, oralement ou par écrit, avec simplicité, élégance et correction, et cela, dans trois ou quatre langues différentes. Auteur de La langue des langues et d’une Grammaire comparée des langages de gestes. Un petit homme pâle, le crâne allongé et chauve couronné de cheveux noirs, des yeux noirs, obliques et longs, le nez fin, le visage rasé, la bouche un peu triste. Excellent glaciairiste, il avait un faible pour les bivouacs en haute montagne.
ALPHONSE CAMARD, français, 50 ans, poète fécond et estimé, barbu, gras de poitrine, avec un air de veulerie un peu verlainienne, que rachetait une belle voix chaude.
EMILE GORGE, français, 25 ans, journaliste, mondain, insinuant, passionné de musique et de chorégraphie, sur quoi il écrivait brillamment. Virtuose du « rappel de corde », préférant la descente à la montée. Petit, bizarrement bâti, avec un corps maigre et un visage grassouillet, une bouche épaisse, et pour ainsi dire sans menton.
JUDITH PANCAKE, enfin, une amie de ma femme, américaine, une trentaine d’années, peintre de haute montagne. Elle est d’ailleurs le seul véritable peintre de haute montagne que je connaisse. Elle a très bien compris que la vue que l’on a d’un haut sommet ne s’inscrit pas dans les mêmes cadres perceptifs qu’une nature morte ou un paysage ordinaire. Ses toiles expriment admirablement la structure circulaire de l’espace, dans les hautes régions. Elle ne se prend pas pour une « artiste ». Elle peint simplement pour « garder des souvenirs » de ses ascensions. Mais elle le fait avec une telle conscience artisane, que ses tableaux, avec leurs perspectives courbes, rappellent d’une façon frappante ces fresques où les anciens peintres religieux essayaient de représenter les cercles concentriques des mondes célestes.
[Note] Au passage, René Daumal glisse une petite critique d’une certaine poésie, lui opposant cette « conscience artisane » qui permet de saisir/transcrire pour l’autre ce de quoi l’on s’est fugitivement approché.
POEME MONTAGNARD = DEMONTE PRANA