« Il est toujours aux Bastides, mais on ne dit plus : la maison de Janet, on dit : la maison de Gondran. C’est son gendre. Janet a accepté ça. On dit : la maison de Gondran, les champs de Gondran, le cheval, la charrette, le foin de Gondran. Gondran a pris toute sa place…
… Au fond, Janet lui en veut un peu. Il en veut surtout à sa fille, puisque c’est par elle que l’homme qui a pris sa place est venu.
Depuis, à son sens, elle ne fait rien de bien. »
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parcours de lecture
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En clair (sur babelio)
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Un extrait plus complet
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D’abord, ça a été la maison de Janet, le plus vieux des Bastides. Celui-là, il est là depuis ses trente ans. Il était monté après avoir fait toutes les fermes de la plaine ; on ne l’y voulait plus : il se battait avec tous les valets. Trois fois la semaine il fallait courir aux gendarmes et à l’esparadrap. Sa femme est morte ici ; sa fille y a grandi. Il est maintenant dans ses quatre-vingts. Droit, dur comme un tronc de laurier, ses lèvres minces fendent à peine le buis rasé de sa figure.
Dans ses petits yeux marron, le regard blanc vole comme une mite, sur le ciel, où il devine le temps, les feuillages, où il voit la maladie à l’avance, les visages, où il surprend, lui, menteur et rusé, le mensonge et la ruse. Il est toujours aux Bastides, mais on ne dit plus : la maison de Janet, on dit : la maison de Gondran. C’est son gendre. Janet a accepté ça. On dit : la maison de Gondran, les champs de Gondran, le cheval, la charrette, le foin de Gondran. Gondran a pris toute sa place. Il est large, haut, rouge ; l’araire est droit dans ses mains ; d’un coup de poing sur les oreilles il a maté le mulet qui mordait.
Au fond, Janet lui en veut un peu. Il en veut surtout à sa fille, puisque c’est par elle que l’homme qui a pris sa place est venu.
Depuis, à son sens, elle ne fait rien de bien.
— De mon temps, on savait cuire la soupe de fèves.
— Le lièvre est bon, mais tu as mis neuf fois de l’eau dans la sauce.
Il serait heureux de la voir battre.
— Si j’étais toi, dit-il à son gendre, je lui tannerais les fesses.
— Ah ben oui, répond Gondran en riant.
La grosse Marguerite trottine sur ses courtes jambes, et, faisant la moue, lève ses sourcils débonnaires :
— Aussi, père, vous n’êtes jamais content.
Aujourd’hui, Gondran sort sur la terrasse. Il tient d’une seule main une bouteille et deux verres ; son autre bras serre contre sa poitrine une dourgue pleine d’eau fraîche et qui ruisselle jusque dans son pantalon. Il arrange la table avec le pied, pose la dourgue, les verres puis, avec précaution, la bouteille.
Il est six heures du soir, l’été. On chante du côté du lavoir.