Se servir de ses jambes et de sa tête … et Giono dit bien, les jambes avant la tête, tout comme Tommaso Campanella aurait recommandé en premier lieu de questionner nos sens, première nourriture de notre esprit, sans laquelle notre pensée est hors-sol.
(Et on sait ce que le fils de l’Olympe fait au fils de la Terre, lorsqu’il peut lui faire quitter les pieds du sol)
Jean Giono
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 28 – En soi-même
Giono exhorte à se poser les questions – dont il est d’usage de court-circuiter la réponse – en soi même … pourvu qu’il y reste encore un lieu qui n’ait pas été colonisé par le prêt à penser et la paresse naturelle de l’être.
« Mon sacrifice ne sert à rien; qu’à faire vivre l’état capitaliste. Cet état capitaliste mérite-t-il mon sacrifice ?
Est-il doux, patient, aimable, humain, honnête ?
Est-il à la recherche du bonheur pour tous ?
Est-il emporté par son mouvement sidéral vers la bonté et la beauté: et ne porte-t-il la guerre en lui que comme la terre emporte son foyer central ?
F S
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 27 – Les gens du château
Jean Giono pointe dans ce passage, la difficulté qu’il y a de se détacher d’un maître qui vous maltraite, mais qui vous laisse une petite partie de ses profits, suffisante pour que l’on puisse continuer à le servir.
(La fin de l’esclavage – dans notre civilisation – est le résultat d’une lutte légitime, mais aussi d’un calcul économique, qui se poursuit de nos jours avec l’uberisation : pourquoi loger et nourrir un bien vivant, périssable et d’un rapport incertain, alors qu’on peut se contenter de louer sa force de travail au jour le jour ?)
« Reste à savoir ce que je préfère : vivre moi-même, permettre que les enfants soient des enfants : et jouir du monde, ou assurer, par mon sacrifice la continuité de la vie de l’état capitaliste ? Continuons à être objectifs. A quoi sert mon sacrifice ? A rien !
(J’entends ! Ne criez-pas si fort dans l’ombre. Ne montrez pas; vos gueules épouvantables de massacrés de l’usine. Ne parlez pas, vous qui me dites que votre atelier a fermé et qu’il n’y a pas de pain à la maison. …
F S
« Le XXIe siècle s’ouvre sous le signe d’une géopolitique du chaos, en raison de la prolifération des acteurs et des vecteurs de la violence, et d’une économie des chocs.
…
Force est de constater que les Etats-Unis ont acquis une spectaculaire avance, en répondant à la montée des menaces asymétriques et des risques de chocs par le concept de la guerre préventive,
…
Cette doctrine se traduit, dans le domaine militaire comme dans le domaine économique, par quatre principes opérationnels : l’intégration complète des instruments ; la maîtrise du renseignement ; la priorité donnée à la flexibilité, à la mobilité et à la réactivité ; le maintien d’un droit d’accès et d’une possibilité d’action inconditionnelle sur les Etats, les économies et les sociétés. »
Source : Les Echos « La guerre économique préventive »
https://www.lesechos.fr/2003/06/la-guerre-economique-preventive-1058458
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 26 – Tuer la Guerre
Ici, je ne peux que répéter des paroles qui ont un sens nouveau ces derniers jours.
Alors que les mesures prises, sans aucun accompagnement, interdisent
les espaces publics, à ceux qui n’ont que cela pour vivre (ceux par exemple qui vivent à plusieurs dans une chambre d’hôtel social)
l’école, sans que rien n’ait été envisagé pour, non pas la remplacer, mais donner le sentiment que tout ne s’arrête pas du côté de « éducation que donne la nation » (Le groupe (?) qui a concocté ces obligations, n’a pas pensé à réquisitionner en partie les chaines publiques pour proposer au long de la semaine quelques substituts au vide qu’ils créaient ainsi)
les resto … du coeur par exemple, contraints pour un grand nombre, faute de suggestions de ces mêmes décideurs, de fermer leur porte.
« L’état capitaliste ne connaît pas les hommes qui cherchent ce que nous appelons le bonheur, les hommes dont le propre est d’être ce qu’ils sont, les hommes en chair et en os ; il ne connaît qu’une matière première pour produire du capital. Pour produire du capital il a, à certains moments, besoin de la guerre, comme un menuisier a besoin d’un rabot, il se sert de la guerre. L’enfant, les yeux bleus, la mère, le père, la joie, le bonheur, l’amour, la paix, l’ombre des arbres, la fraîcheur du vent, la course sautelante des eaux, il ne connaît pas.
Il ne reconnaît pas dans son état, dans ses lois, le droit de jouir des beautés du monde en liberté. Économiquement, il ne peut pas le reconnaître. Il n’a de lois que pour le sang et pour l’or. Dans l’état capitaliste, ceux qui jouissent ne jouissent que de sang et d’or. Ce qu’il fait dire par ses lois, ses professeurs, ses poètes accrédités, c’est qu’il y a le devoir de se sacrifier. Il faut que moi, toi et les autres, nous nous sacrifiions. A qui ? L’état capitaliste nous cache gentiment le chemin de l’abattoir : vous vous sacrifiez à la patrie (on n’ose déjà plus guère le dire) mais enfin, à votre prochain, à vos enfants, aux générations futures. Et ainsi de suite, de génération en génération. Qui donc mange les fruits de ce sacrifice à la fin ? …
(passage déjà cité)
Oui l’état capitaliste ne connait pas les hommes, ou plutôt, les hommes qui dirigent cette entreprise ignorent tout de ceux auxquels ils adressent leurs ordres de « mobilisation (présentée comme) fraternelle ».
Jean Giono jeune (puisque vers le tard il regrettera ces propos) indique l’action à mener.
« Voilà un être organisé qui fonctionne. Il s’appelle état capitaliste comme il s’appellerait chien, chat ou chenille bifide. Il est là, étalé sur ma table, ventre ouvert. Je vois fonctionner son organisme.
Dans cet être organisé, si j’enlève la guerre, …

comme si je sectionnais le 27e centre moteur de la chenille, cette perle toute mouvante d’arcs-en-ciel et indispensable à sa vie. »
F S
« Si des cas d’insubordination ont parsemé les quatre années de guerre, il existe de mai à juin 1917 une crise de discipline globale dans l’armée française. Ces mutineries, dont l’origine s’explique entre autres par les conditions de vie plus que pénibles des soldats, sont représentées par une multitude de pratiques allant de la désertion aux mutilations volontaires. Toutefois, quelle que soit la forme que prennent ces actes d’insubordination, qu’ils soient individuels ou collectifs, ils manifestent tous un refus de faire la guerre. Dans l’armée française, ce sont des dizaines de milliers d’hommes issus d’une centaine d’unités différentes qui refusent de se battre. Cependant, il est extrêmement difficile de mesurer plus précisément le nombre de mutins tant le phénomène de désobéissance est rendu complexe par la variété de son expression. L’indiscipline ne touche pas seulement l’armée française. Toutes les armées ont dû faire face à des cas de désobéissance, certaines les réprimant plus violemment que d’autres. »
Source : https://buclermont.hypotheses.org/2743
JBLEDUC
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 25 – POUR QUI !
En cette période de guerre et de sacrifices demandés à chacun, notamment ceux qui n’ont comme lieux de confort et de rencontre que les espaces publics et les lieux de rencontre, le quotidien est en tel écho avec le texte de Giono que tout commentaire me semble superflu.
(Pardon à ceux qui, engagés dans l’aide à l’autre, pourraient voir ici une contestation de leur implication , au coeur de la souffrance ils ne peuvent que souhaiter son immédiat soulagement et l’éradication locale de ses causes. Le long terme et les implicites sont incompatibles avec leur nécessaire engagement.)
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 24 – pour qui
Ici L’auteur motive ce refus d’obéissance par un doute. Quand un sacrifice est obligatoire et que ceux qui le refusent sont punis de mort, pour qui est-il vraiment ?
Ce doute, cette interrogation à propos de la justification d’une exigence imposée à des hommes et femmes libres, est tout aussi légitime en cette période de panique totale en France et dans le monde à propos d’un danger qui cause moins de décès que la voiture, la grippe et les accidents domestiques.)
Sans qu’il s’agisse de conclure ! La réalité est – quand elle n’est pas aussi brutale qu’en 14-18 – un fin dosage d’intentions, d’actes conditionnés, de suggestions fines, d’infusions lentes et inconscientes.
Rappelons que nous ne mettons pas la ceinture de sécurité pour nous protéger, puisqu’elle est obligatoire, y compris pour les personnes majeures, mais pour épargner à notre prochain un possible surcoût de son assurance santé.
« Il faut que moi, toi et les autres, nous nous sacrifiions. A qui ?
L’état capitaliste nous cache gentiment le chemin de l’abattoir : vous vous sacrifiez à la patrie (on n’ose déjà plus guère le dire) mais enfin, à votre prochain, à vos enfants, aux générations futures. …
« Il faut trouver le moyen de conduire les gens à la mort, sinon, il n’y a plus de guerre possible ; ce moyen, je le connais ; il est dans l’esprit de sacrifice, et non ailleurs »
« Les pertes ? – c’est bien, en effet, le prix dont on paye chaque pas en avant, car on n’avance qu’à coups d’hommes ; vaincre, c’est avancer et tout dépend du prix qu’on voudra y mettre. Ce sont les braves semés sur la route qui, en effet, ouvrent le chemin aux autres. »
Général Lucien Cardot
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 23 – devoir
Préparer son départ …
Giono, dans ce passage, dénonce ce qui contribue à ce conditionnement, à cet apprentissage :
Préparer son départ !
« L’enfant, les yeux bleus, la mère, le père, la joie, le bonheur, l’amour, la paix, l’ombre des arbres, la fraîcheur du vent, la course sautelante * des eaux, il** ne connaît pas.
Il ne reconnaît pas dans son état, dans ses lois, le droit de jouir des beautés du monde en liberté. Économiquement, il ne peut pas le reconnaître.
Il n’a de lois que pour le sang et pour l’or. Dans l’état capitaliste, ceux qui jouissent ne jouissent que de sang et d’or. …

* Parfois Giono invente des mots. Ici ce n’est pas le cas. Sauteler existe.
Étrange coïncidence wiktionnaire donne comme exemple une phrase tirée d’un roman de Henri Barbusse, auteur du célèbre « Le feu » prix Goncourt en 1916.
** Le capitalisme
« Nous avons vu plus haut quels devoirs s’imposaient à tous les Français en général, à tous les Français d’âge à servir.
Mais il y a encore les jeunes, il y a aussi ces gamins (qu’ils me pardonnent le mot) dont la sang bouillonne, dont l’âme exulte, dont l’esprit est transporté; qui rêvent de combat, de gloire, qui | s’aperçoivent victorieux, et se voient revenant. acclamés, rouverts de lauriers, le ruban rouge sur la poitrine.
Ceux-là, ils ne veulent pas attendre qu’ils soient appelés, et désirent rejoindre leurs aînés.
L’engagement s’impose alors, nous en donnons les moyens légaux. »
[Pour nos soldats : GUIDE DU POILU – Charles Charton]
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 22 – homme rabot
Refuser d’être un outil au service autant de la production industrielle que de la destruction industrielle, pour lui qui ne peut pas oublier ce qu’il en a vu lors de « la grande guerre« , c’est une évidence.
« L’état capitaliste ne connaît pas les hommes qui cherchent ce que nous appelons le bonheur, les hommes dont le propre est d’être ce qu’ils sont, les hommes en chair et en os ; il ne connaît qu’une matière première pour produire du capital. Pour produire du capital …
« Épargnons-nous les désillusions de ceux qui, ayant lutté pour Liberté, Égalité, Fraternité, se sont trouvés un beau jour avoir obtenu, comme dit Marx, Infanterie, Cavalerie, Artillerie.
…
L’évolution du régime a, par la suite, rétabli la guerre comme moyen essentiel de lutte pour le pouvoir, mais sous une autre forme ; la supériorité dans la lutte militaire suppose, de nos jours, la supériorité dans la production elle-même. Si la production a pour fin, aux mains des capitalistes, le jeu de la concurrence, elle aurait nécessairement pour fin, aux mains des techniciens organisés en une bureaucratie d’État, la préparation à la guerre. «
Simone Weil (1933)
(source : https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2020/01/15/simone-weil-allons-nous-vers-une-revolution-proletarienne%E2%80%89/)
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 21 – homme parmi les hommes
Pour Giono, la guerre n’est pas un accident dans le parcours de notre civilisation, c’est un moyen, et l’homme est au service de ce moyen. Toute sa vie, à commencer par son éducation le prépare à cet usage.
Son refus va donc bien en amont de toute déclaration de guerre, et ce refus est motivé par un tout autre « usage » que l’auteur défend, de l’enfant, de l’adolescent et de l’humain, un usage personnel, dans lequel il reste UN.*
« L’enfant au bord du chemin et qui joue avec des herbes ne peut être considéré dans sa beauté et dans son humaine liberté que par deux ou trois fous de mon genre. Si je pense qu’il a les yeux bleus et qu’il portera toute sa vie la gloire d’avoir les yeux bleus, et qu’il s’en ira, blondasse vagabond du monde, à la recherche de l’espoir, du désespoir et de l’amour ; si moi je pense qu’il va peut-être nourrir dans sa tête les rythmes, les formes, et les musiques qui porteront l’humanité un peu plus avant dans l’immense prairie des étoiles ; si je pense que, sans doute, il ne sera qu’un homme parmi les hommes, un écouteur et non pas celui qui souffle dans le bugle, un de l’auditoire et non pas celui qui est debout dans le cercle, je me dis, moi : quoi qu’il fasse, il vit. …
*[Ici est toute la différence de conception entre la perception de l’humanité comme « multitudes » ou comme « les nombreux » (Que la plupart des partis politiques** mettent en avant, l’individu étant plus difficile à gérer que le groupe). La seconde interdisant l’abstraction autre que momentanée et exclusivement dans une phase d’approche floue de la réalité vivante. ]
** Ainsi on critiquera le point de vue de Giono (« un homme parmi les hommes, … et non pas celui qui est debout dans le cercle« ) – ou de Max Stirner dans « L’unique et sa propriété« – en menaçant ceux qui refusent l’état et ses guerres de peuples, de ce qui serait alors selon eux inéluctable, à savoir « la guerre de tous contre tous« . Cet état de conflit permanent qui est déjà notre lot, largement utilisée qu’il est, par tous les états, pour attiser l’esprit de compétition, ce terreau si fertile pour sa progéniture naturelle qu’est : la guerre.
Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 20 – ressource humaine
Loin d’être uniquement un hymne au pacifisme, ce refus d’obéissance va aux racines profondes de la guerre, à savoir une vision de l’homme, par le système qui les gère, analogue à celle que l’humanité semble avoir du reste des ressources de la planètes : Une matière première utile à son fonctionnement.
Tout est fait, industriellement, pour fabriquer la ressource humaine propre au système, dans ses phases de production et celles, indispensables, de destruction. (Qui toutes les deux sont génératrices de PIB pour la nation)
« Et chaque fois que je sortais sur les chemins de la terre, je rencontrais des petits enfants aux cheveux follets qui jouaient avec des herbes et je savais que …
« Celui qui est contre la guerre est par ce seul fait dans l’illégalité. L’état capitaliste considère la vie humaine comme la matière véritablement première de la production du capital. Il conserve cette matière tant qu’il est utile pour lui de la conserver. Il l’entretient car elle est une matière et elle a besoin d’entretien, et aussi pour la rendre plus malléable il accepte qu’elle vive. Il a des maternités où l’on accouche les femmes avec autant de soins qu’on peut. Il a des écoles où les inspecteurs primaires viennent caresser les joues des enfants. Il a des stades où l’on fait faire du sport à vingt-deux hommes …
…Il a des casernes.
[Il y a des stades …
… L’utilisation des stades et des compétitions sportives par des régimes « non démocratiques » n’est pas anecdotique.]
« Le Stade national de Santiago est devenu au Chili un lieu central de la mémoire du coup d’état militaire de septembre 1973. Au travers l’évocation de quelques faits liés au destin particulier de cette enceinte sportive, nous revenons ici sur l’une des pages les plus sombres de l’histoire du Chili. »
(source : https://criminocorpus.hypotheses.org/25970)