Les Dépossédés – URSULA LE GUIN – 26

(traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat)

Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose.
Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde dont sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ?

26-Les Dépossédés - IL SE RENDIT COMPTE-IMA

[Retour au présent du roman.]
Sherek seul depuis toujours du fait de ses exigences de vie, rencontre, une femme différente de toutes celles qu’il a connu. 

Ils se retrouvèrent très tôt dans la matinée près du dépôt de transports du Quartier Est, trois femmes et trois hommes. Shevek ne connaissait aucune des femmes, et Bedap ne lui en présenta que deux. Dès qu’ils se mirent en route pour les montagnes il se pencha vers la troisième.

— Shevek, dit-il.

— Je sais, répondit-elle.

26-Les Dépossédés - IL SE RENDIT COMPTE-LET

 Il rougit jusqu’aux oreilles.

— Tu plaisantes ? demanda Bedap, qui marchait à sa gauche. Takver était à l’Institut du Nord avec nous. Elle vit à Abbenay depuis deux ans. Vous ne vous y êtes pas vus jusqu’à présent, tous les deux ?

— Je l’ai vu plusieurs fois, dit la fille et elle se mit à rire en se moquant de lui.

Elle avait le rire d’une personne qui aime bien manger, un grand rire enfantin. Elle était grande, et plutôt mince, avec des bras ronds et des hanches larges. Elle n’était pas très jolie ; son visage était basané, intelligent et joyeux. Ses yeux étaient sombres, non de l’opacité des yeux très foncés mais présentaient une qualité de profondeur, comme celle de la cendre fine, noire et très douce. Shevek, en rencontrant ces yeux, sut qu’il avait commis une faute impardonnable en oubliant cette fille et, à l’instant où il s’en apercevait, sut aussi qu’il avait été pardonné. Que la chance était avec lui. Que sa chance avait tourné.

Ils s’enfoncèrent dans les montagnes.

Durant la soirée froide du quatrième jour de leur excursion, Takver et lui s’assirent sur une pente raide et nue, en haut d’une gorge. Quarante mètres plus bas, un torrent de montagne dévalait le ravin entre des rochers humides. Il y avait très peu d’eau courante sur Anarres ; la nappe phréatique était basse dans la plupart des endroits ; les rivières étaient petites. Il n’y avait que dans les montagnes qu’on pouvait trouver quelques cours d’eau rapides. Le bruit de l’eau qui criait, caquetait, chantait, était nouveau pour eux.

Ils avaient escaladé et descendu de telles gorges toute la journée dans le haut pays, et ils avaient les jambes fatiguées. Le reste de leur groupe se trouvait au Refuge, une maison de pierre construite par et pour des vacanciers, et bien entretenue ; la Fédération du Ne Theras était le plus actif des groupes de volontaires s’occupant des « sites » plutôt rares d’Anarres. Un garde forestier, qui habitait là en été, en raison des risques d’incendie, aidait Bedap et les autres à préparer le dîner en prélevant ce qu’il fallait dans le garde-manger bien fourni. Takver était sortie, puis Shevek ; séparément, sans dire où ils allaient, et en fait sans le savoir.

Il la trouva sur la pente, assise parmi les frêles buissons d’épines de lune qui poussaient en touffes sur les versants des montagnes, et dont les branches rigides et fragiles avaient un reflet argenté dans la lumière du crépuscule. Dans un creux entre les monts orientaux, une luminosité incolore du ciel annonçait l’apparition de la lune. Le torrent était bruyant dans le silence des hautes collines dénudées. Il n’y avait pas de vent, aucun nuage. Dans ces montagnes, l’air était comme de l’améthyste, dur, clair et intense.

Ils étaient restés assis là un moment sans parler.

— De toute ma vie, je n’ai jamais été aussi attiré par une femme, dit Shevek d’un ton froid, presque chargé de reproche.

— Je ne voulais pas gâcher tes vacances, répondit-elle avec un grand rire enfantin, trop sonore pour la semi-obscurité du crépuscule.

— Tu ne les gâches pas !

— Tant mieux. Je croyais que tu voulais dire que je te dérangeais.

— Déranger ! C’est plutôt comme un tremblement de terre.

— Merci.

— Ce n’est pas toi, dit-il durement. C’est moi.

— C’est ce que tu crois, répondit-elle.

Il y eut une longue pause.

26B-Les Dépossédés - SEULEMENT JE N’ EN AI-IMA

— Si tu désires copuler, déclara-t-elle, pourquoi ne me l’as-tu pas demandé ?

— Parce que je ne suis pas sûr que ce soit cela.

— Moi non plus. – Elle ne souriait plus. – Écoute, dit-elle, et sa voix était douce, sans beaucoup de timbre ; elle avait la même qualité de profondeur que ses yeux. Je dois te dire. – Mais ce qu’elle devait lui dire flotta dans le silence pendant un moment.

Il la regarda alors avec un air si suppliant et si craintif qu’elle s’empressa d’ajouter d’une voix rapide :

— Enfin, je veux simplement dire que je ne désire pas copuler avec toi maintenant. Ni avec personne.

— Tu as décidé de renoncer au sexe ?

— Non ! s’exclama-t-elle d’un air indigné, mais sans lui donner d’explication.

— Moi, j’aurais aussi bien pu, dit-il en jetant un caillou dans le torrent. Ou alors je suis impuissant. Cela fait une demi-année que je n’ai pas… et encore ce n’était qu’avec Dap. En fait, près d’une année. Cela devenait de moins en moins satisfaisant à chaque fois, jusqu’à ce que je cesse même d’essayer. Ça n’en valait plus la peine. Ni les problèmes. Et pourtant je… je me souviens… je sais comment cela devrait être.

— Oui, c’est ça, dit Takver. Je copulais beaucoup, pour le plaisir, jusqu’à ce que j’aie dix-huit ans ou dix-neuf ans. C’était excitant, et intéressant, et agréable. Mais ensuite… Je ne sais pas. Comme tu l’as dit, cela devenait insatisfaisant. Je ne voulais plus le plaisir. Je veux dire, pas seulement le plaisir.

— Tu veux des enfants ?

— Oui, quand le moment viendra.

Il jeta un autre caillou dans le torrent, qui disparaissait dans l’ombre du ravin en ne laissant derrière lui que son vacarme, une perpétuelle harmonie composée de dissonances.

— J’ai un travail à faire, dit-il.

— Est-ce que cela t’aide de rester célibataire ?

— Il y a un lien. Mais je ne sais pas lequel, il n’est pas causal. À peu près au moment où le sexe a commencé à ne plus m’intéresser, le travail a fait de même. Et cela n’a pas cessé d’augmenter. Trois ans sans avoir rien accompli. La stérilité. La stérilité de tous côtés. Aussi loin que l’œil peut voir, le désert infertile s’étend sous l’éclat impitoyable d’un soleil sans merci, un terrain inculte, sans vie, sans routes, sans sexe, jonché des ossements des voyageurs malchanceux…

Takver ne rit pas ; elle poussa un petit gémissement amusé, comme si cela lui faisait mal. Il essaya de distinguer clairement son visage. Derrière sa tête sombre, le ciel était clair et lumineux.

— Qu’est-ce qui te gêne dans le plaisir, Takver ? Pourquoi n’en veux-tu pas ?

— Il n’y a rien qui me gêne. Et je désire le plaisir.

26B-Les Dépossédés - SEULEMENT JE N’ EN AI-LET

— Et de quoi as-tu besoin ?

Elle baissa les yeux vers le sol, grattant de l’ongle la surface d’un rocher. Elle ne dit rien. Elle se baissa pour cueillir un brin d’épine de lune, mais ne le prit pas, le toucha à peine, sentit simplement la tige douce et la feuille fragile. Shevek vit dans la tension de ses mouvements qu’elle essayait de contenir ou de réprimer de toutes ses forces une tempête d’émotions pour pouvoir parler. Et quand elle parla, ce fut d’une voix basse et un peu rauque.

— J’ai besoin du lien, dit-elle. Du vrai lien. Le corps et l’esprit, et pendant toutes les années de ma vie. Rien d’autre. Rien de moins.

Elle lui lança un coup d’œil méfiant, cela aurait pu être de la haine.

La joie s’éleva mystérieusement en lui, comme le bruit et l’odeur du torrent qui s’élevaient dans les ténèbres. Il eut un sentiment d’illimité, de clarté, de clarté totale, comme si on venait de le libérer. Derrière la tête de Takver, la lune qui se levait éclaircissait le ciel ; les pics lointains étaient nets et argentés.

— Oui, c’est ça, dit-il sans en être conscient, sans avoir l’impression de parler à quelqu’un d’autre ; il disait ce qui lui venait à l’esprit, l’air pensif. Je ne l’ai jamais trouvé.

Il y avait encore un peu d’irritation dans la voix de Takver.

— Tu n’as jamais pu le trouver.

— Pourquoi pas ?

— Parce que tu n’en as jamais vu la possibilité, je suppose.

— Que veux-tu dire par « la possibilité » ?

— La personne !

Il réfléchit à cela. Ils étaient assis à un mètre l’un de l’autre, serrant les genoux parce qu’il commençait à faire froid. L’air leur coulait dans la gorge comme de l’eau glacée. Chacun pouvait voir le souffle de l’autre, nuage de vapeur dans l’éclat de la lune qui augmentait régulièrement.

— La nuit où je l’ai vue, dit Takver, c’était la nuit précédant ton départ de l’Institut Régional du Nord. Il y avait une fête, tu te souviens. Certains d’entre nous se sont assis pour parler toute la nuit. Mais c’était il y a quatre ans. Et tu ne connaissais même pas mon nom.

Il n’y avait pas de rancune dans sa voix ; on aurait dit qu’elle voulait excuser Shevek.

— Et à ce moment, tu as vu en moi ce que j’ai vu en toi durant ces quatre derniers jours ?

— Je ne sais pas. Je ne peux pas dire. Ce n’était pas seulement sexuel. Je t’avais déjà remarqué avant. Mais cette fois-là, c’était différent ; je t’ai vu. Mais j’ignore ce que tu vois maintenant. Et je ne savais pas réellement ce que je voyais à ce moment. Je ne te connaissais pas bien du tout. Seulement, quand tu as parlé, il m’a semblé voir clair en toi, au centre. Mais tu devais être très différent de ce que je pensais. Ce n’était pas ta faute, après tout, ajouta-t-elle. Mais je savais que ce que je voyais en toi, c’était ce dont j’avais besoin. Pas seulement ce que je désirais !

— Et tu es à Abbenay depuis deux ans, et tu n’as pas…

— Pas quoi ? Tout était en moi, dans ma tête, tu ne connaissais même pas mon nom. Une seule personne ne peut pas établir un lien, après tout !

— Et tu avais peur de venir vers moi parce que j’aurais pu ne pas vouloir de ce lien.

— Je n’avais pas peur. Je savais que tu étais une personne qui… qu’on ne pouvait pas forcer… Enfin, oui, j’avais peur. J’avais peur de toi. Pas de faire une erreur. Je savais que ce n’était pas une erreur. Mais tu étais… toi-même. Tu n’es pas comme la plupart des gens, tu sais. J’avais peur de toi parce que tu étais mon égal ! Le ton de sa voix était devenu farouche en finissant cette phrase, mais elle ajouta très vite avec douceur : cela n’a pas beaucoup d’importance, tu sais, Shevek.

C’était la première fois qu’il l’entendait prononcer son nom. Il se tourna vers elle et dit en bafouillant, presque en sanglotant :

— Pas d’importance ? D’abord tu me montres… tu me montres ce qui est important, ce qui est réellement important, ce dont j’ai eu besoin toute ma vie… et ensuite tu dis que ça n’a pas d’importance !

Ils étaient face à face maintenant, mais ne s’étaient pas touchés.

— Alors, c’est aussi ce dont tu as besoin ?

— Oui. Le lien. La chance.

— Maintenant… pour la vie ?

— Maintenant et pour la vie.

La vie, répéta le torrent d’eau claire qui courait parmi les rochers, dans les ténèbres froides.


[Note] LA 

Les Dépossédés – URSULA LE GUIN – 25

(traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat)

Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose.
Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde dont sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ?

25-Les Dépossédés - ATTENTION PERPÉTUELLE -IMA

[Retour au présent du roman.]
Ici est évoquée l’histoire d’Anarres, devenue planète de ceux dont on ne voulait plus sur Urras car considérés comme un ferment dangereux, et qui ne voulaient plus d’Urras, aspirant à fonder un monde … différent.

Durant le troisième millénaire d’Urras, les prêtres-astronomes de Serdonou et de Dhun avaient observé les saisons changer la luminosité brune de l’Autre Monde, et avaient donné des noms mystiques aux plaines, aux montagnes et aux mers qui reflétaient le soleil. Une des régions, qui verdissait avant toutes les autres durant la nouvelle année lunaire, fut appelée Ans Hos, le jardin de l’Esprit, l’Éden d’Anarres.

Pendant les millénaires qui suivirent, des télescopes prouvèrent qu’ils avaient eu raison. Ans Hos était en fait la partie la plus favorisée d’Anarres ; et le premier vaisseau habité lancé vers la Lune s’était posé là, dans cette grande étendue entre les montagnes et la mer.

Mais l’Éden d’Anarres se révéla être sec, froid et venteux, et le reste de la planète était encore pire. La vie sur la Lune n’avait pas dépassé le stade des poissons et de quelques plantes sans fleurs. L’air était raréfié, comme celui d’Urras à très haute altitude. Le soleil brûlait, le vent glaçait, la poussière étouffait.

Anarres fut explorée pendant les deux cents années qui suivirent le premier atterrissage ; on traça la carte de la planète, on l’étudia, mais on ne la colonisa pas. Pourquoi venir sur un désert lugubre quand il y a de la place dans les charmantes vallées d’Urras ?

Mais on exploita son minerai. L’ère de l’auto-pillage du neuvième millénaire et du début du dixième avait vidé les mines d’Urras ; et comme l’astronautique se perfectionnait, il devint moins cher d’exploiter des mines sur la Lune que d’extraire les métaux nécessaires de l’eau de mer ou des couches profondes d’Urras. En l’année IX-738 urrastie, une colonie fut fondée au pied du Ne Theras, dans le vieux Ans Hos, où l’on extrayait du mercure. Ils appelèrent cet endroit Anarresville. En fait, ce n’était pas une ville, il n’y avait aucune femme. Des hommes signaient pour un travail de deux ou trois ans comme mineur ou technicien, puis rentraient chez eux, dans le monde réel.

La Lune et ses mines se trouvaient sous la juridiction du Conseil Mondial des Gouvernements, mais de l’autre côté, dans l’hémisphère oriental d’Anarres, la nation de Thu avait un petit secret : une base de fusées et une colonie de mineurs qui extrayaient de l’or, avec leurs femmes et leurs enfants. Ils vivaient réellement sur la Lune, mais personne ne le savait à part leur gouvernement. Ce fut la chute de ce gouvernement, en l’an 771, qui amena le Conseil Mondial des Gouvernements à proposer de donner la Lune à la Société Internationale des Odoniens – achetant leur départ avec une planète avant qu’ils ne sapent fatalement l’autorité de la loi et de la souveraineté nationale sur Urras. Anarresville fut évacuée, et quelques vaisseaux furent envoyés en hâte de Thu, en plein milieu de la crise, pour ramener les mineurs. Tous ne choisirent pas de repartir. Certains aimaient le désert lugubre.

Pendant plus de vingt ans, les douze vaisseaux offerts aux Colons odoniens par le Conseil Mondial des Gouvernements firent la navette entre les planètes, jusqu’à ce que le million d’âmes qui avait opté pour la nouvelle vie fût transporté de l’autre côté du gouffre spatial. Puis le port fut fermé à l’immigration et ne resta ouvert que pour les cargos de l’Accord d’Échange. À ce moment, Anarresville abritait une centaine de milliers d’habitants, et avait été rebaptisé Abbenay, ce qui veut dire, dans le nouveau langage de cette nouvelle société, Esprit.

La décentralisation avait été un élément essentiel des plans qu’Odo avait conçus pour cette société. Elle n’avait pas vécu assez longtemps pour la voir se fonder. Elle n’avait pas l’intention de désurbaniser la civilisation. Elle suggérait que la limite naturelle de la taille d’une communauté réside dans sa dépendance envers son arrière-pays immédiat pour son alimentation de base et son énergie, mais elle prévoyait que toutes les communautés soient reliées par un réseau de transports et de communications, afin que les idées et les produits puissent aller là où ils étaient demandés ; l’administration devait travailler avec rapidité et facilité, et aucune communauté ne devait être coupée du réseau d’échange. Mais ce réseau ne devait pas être dirigé de haut en bas. Il ne devait pas y avoir de centre de contrôle, pas de capitale, pas d’établissement d’un mécanisme bureaucratique auto-reproducteur ni d’une tendance dominante des individus cherchant à devenir des capitaines, des patrons, des chefs d’État.

Ses plans, cependant, avaient été fondés sur le sol généreux d’Urras. Sur Anarres l’aride, les communautés durent s’éparpiller dans tous les coins pour trouver des ressources, et peu d’entre elles pouvaient se maintenir seules, même en comprimant leurs notions de ce qui est nécessaire pour se maintenir. En fait, ces notions furent fortement comprimées, mais seulement jusqu’à un minimum en dessous duquel ils ne voulaient pas aller ; ils ne désiraient pas régresser jusqu’à un tribalisme pré-urbain, pré-technologique. Ils savaient que leur anarchisme était le produit d’une civilisation très élaborée, d’une culture complexe et diversifiée, d’une économie stable et d’une technologie hautement industrialisée qui pouvait maintenir une production élevée et un transport rapide de ses productions. Malgré les grandes distances séparant les peuplements, ils restaient liés à l’idée d’un organisme complexe. Ils construisirent d’abord les routes, et ensuite les maisons. Les ressources et les produits particuliers à chaque région étaient échangés continuellement avec ceux des autres en un processus d’équilibre compliqué : cet équilibre de la diversité qui est la caractéristique de la vie, de l’écologie naturelle et sociale.

Mais, comme ils le disaient à la manière analogique, on ne peut pas avoir le système nerveux sans au moins un ganglion, et si possible un cerveau. Il fallait qu’il y ait un centre. Les ordinateurs qui coordonnaient l’administration des biens, la répartition du travail, et la distribution des produits, ainsi que les représentants de la plupart des syndicats de travailleurs, se trouvaient à Abbenay depuis le début. Et depuis le début, les Colons étaient conscients de la constante menace que représentait cette inévitable centralisation, qui devait être contrée par une constante vigilance.

Ô enfant Anarchie, promesse infinie

25-Les Dépossédés - ATTENTION PERPÉTUELLE -LET
l’enfant.

Pio Atean, qui prit le nom pravique de Tober, écrivit cela durant la quatorzième année du Peuplement.

Les premiers efforts des Odoniens pour poétiser leur nouvelle langue, leur nouveau monde, furent difficiles, gauches, émouvants.


[Note] LA 

Les Dépossédés – URSULA LE GUIN – 23

(traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat)

Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose.
Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde dont sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ?

23-Les Dépossédés -RONDE , TACHETÉE DE BRUN-IMA

[Retour au présent du roman.]
C’est la fin de la journée, Shevek se retrouve seul après avoir été entouré d’une multitude de savants le sollicitant sans cesse…seul sur cette planète paradisiaque à regarder sa planète, présentement devenue lune.

Au-dehors, le bleu du ciel nocturne attira son regard. Par-delà l’obscurité vague des feuillages et la tour de la chapelle, au-dessus de la ligne sombre des collines, qui semblaient toujours plus petites et plus lointaines pendant la nuit, une lumière grandissait, un halo pâle. L’éclat de la Lune, pensa-t-il avec une agréable sensation de familiarité. Il n’y a pas de cassure dans l’intégralité du temps. Il avait vu la Lune se lever quand il était petit garçon, depuis les fenêtres du domicile de Grandes Plaines, avec Palat ; par-dessus les collines de son enfance ; par-dessus les plaines arides de la Poussière ; par-dessus les toits d’Abbenay, Takver à son côté.

Mais ce n’était pas cette Lune.

Les ombres se déplacèrent autour de lui, mais il resta assis, immobile, tandis qu’Anarres s’élevait derrière ces collines étrangères ;

23-Les Dépossédés -RONDE , TACHETÉE DE BRUN-LET


[Note] Que celui qui pense que la science fiction, est un genre mineur se lève !

Je lui jetterai mon gant de la main gauche en pleine figure.
(sourire)²

Les Dépossédés – URSULA LE GUIN – 15

(traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat)

Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose.
Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde dont sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ?

15-Les Dépossédés -DE LOIN L’ ÉROTISME -IMA

[Retour au présent du roman.]
Shevek, arrivé sur Urras, découvre le lieu qui lui est dédié. De la rareté absolue dépassant parfois la limite qui la sépare de la pénurie, il passe ici à un monde où tout, apparemment, est disponible à profusion et dans une « qualité » qui l’étonne. 

Quand Shevek se réveilla, après avoir dormi durant toute sa première matinée passée sur Urras, il avait le nez bouché, mal à la gorge, et il toussait beaucoup. Il pensa qu’il avait attrapé un rhume – même l’hygiène odonienne n’avait pas vaincu le rhume simple – mais le docteur qui attendait son réveil pour l’examiner, un homme distingué d’un certain âge, lui dit qu’il s’agissait plus vraisemblablement d’une forte fièvre des foins, une réaction allergique aux poussières et aux pollens étrangers d’Urras. Il sortit des pilules et une seringue, que Shevek accepta patiemment, et lui donna un repas, que Shevek accepta voracement. Le docteur lui demanda de rester dans son appartement, et le quitta. Dès qu’il eut fini de manger, il commença son exploration d’Urras, pièce par pièce.

Le lit – un lit massif sur quatre pieds, avec un matelas bien plus doux que celui de sa couchette à bord de L’Attentif, et des draps et couvertures compliqués, certains en soie et d’autres épais et chauds, et un tas d’oreillers comme un cumulus nuageux – le lit occupait une chambre à lui tout seul. Le sol était couvert d’un tapis élastique ; il y avait un coffre à tiroirs en bois merveilleusement sculpté et poli, et un placard assez grand pour contenir les vêtements d’un dortoir de dix hommes. Puis il y avait la grande salle commune avec l’âtre, qu’il avait vu la nuit précédente ; et une troisième pièce, qui contenait une baignoire, un lavabo et un sanitaire élaboré. Cette pièce était visiblement réservée à son seul usage, puisqu’elle donnait dans sa chambre, et ne renfermait qu’un élément de chaque genre,

bien que chacun fût d’un luxe sensuel

15-Les Dépossédés -DE LOIN L’ ÉROTISME -LET

Il passa près d’une heure dans cette troisième pièce, employant chaque élément l’un après l’autre, ce qui eut pour effet de le rendre très propre. L’eau était merveilleusement abondante. Les robinets continuaient à couler tant qu’on ne les fermait pas ; la baignoire devait contenir une soixantaine de litres, et la cuvette d’aisance devait bien utiliser cinq litres à chaque fois. Ce n’était pas vraiment surprenant. Les cinq sixièmes d’Urras étaient couverts d’eau. Même ses déserts étaient des déserts de glace, aux pôles. Pas besoin d’économiser ; pas de sécheresse… Mais que devenait la merde ? Il rumina ce problème, s’agenouillant à côté de la cuvette après avoir étudié son mécanisme. Ils devaient la filtrer de l’eau dans une usine d’engrais. Il y avait des communautés littorales sur Anarres qui utilisaient un tel système pour la récupération. Il avait l’intention de demander ce qu’il en était, mais ne le fit jamais. Il y eut beaucoup de questions qu’il ne posa jamais sur Urras.


[Note] La réaction de Shevek devant ces objets, au dessin qui l’émeut profondément dans ses chairs, peut nous sembler étrange. Ursula attire notre attention sur une caractéristique particulière de nos productions, qui sont, à notre insu le plus souvent, vecteurs d’émotions saturant notre sensibilité au point que … nous ayons de grandes difficultés à les percevoir, même lorsque Shevek pointe, ici le caractère sexuel du moindre des objets d’une salle de bain, ou ailleurs … ce que suscite en nous les formes d’une automobile.



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Les Dépossédés – URSULA LE GUIN – 14

(traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat)

Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose.
Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde dont sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ?

14-Les Dépossédés -ET POURTANT JE ME DEMANDE-IMA

[Retour en arrière.]
Shevek, en physicien des causes liées au Temps (avec un grand T*) , s’interroge à présent sur la réalité des notions de douleur et de souffrance. 

Ils parlèrent de leur enfance pour savoir si elle avait été heureuse. Ils parlèrent de ce qu’était le bonheur.

— La souffrance est un malentendu, dit Shevek, se penchant en avant, les yeux larges et clairs.

Il était toujours dégingandé, avec de grandes mains, des oreilles décollées, osseux, mais avec la force et la santé parfaites de la maturité, et il était très beau. Ses cheveux bruns, comme ceux des autres, étaient fins et unis, portés très longs et retenus par un bandeau. Une seule parmi eux portait ses cheveux différemment, une fille avec des pommettes saillantes et un nez plat ; elle avait coupé sa chevelure sombre en une coiffure courte, ronde et brillante. Elle regardait Shevek d’un air attentif et sérieux. Ses lèvres étaient grasses d’avoir mangé des beignets, et il y avait une miette sur le menton.

— Cela existe, dit Shevek en écartant les mains. C’est réel. Je peux l’appeler un malentendu, mais je ne peux pas prétendre qu’elle n’existe pas, ou cessera jamais d’exister. La souffrance est la condition de notre vie. Et quand elle arrive, on le sait. On reconnaît que c’est la vérité. Évidemment, il est bon de soigner les maladies, d’empêcher la faim et l’injustice, comme le fait l’organisme social. Mais aucune société ne peut changer la nature de l’existence. Nous ne pouvons pas empêcher la souffrance. Telle ou telle douleur, oui, mais pas la Douleur. Une société peut seulement supprimer la souffrance sociale, la souffrance inutile. Le reste demeure. La racine, la réalité. Nous tous ici allons connaître le chagrin ; si nous vivons cinquante ans, nous aurons connu la douleur durant cinquante ans. J’ai peur de la vie ! Il y a des fois où je suis… où je suis très effrayé.

Tout bonheur semble futile.

14-Les Dépossédés -ET POURTANT JE ME DEMANDE-LET… Si au lieu de la craindre et de la fuir, on pouvait… la traverser, la dépasser.

Il y a quelque chose au-delà d’elle. C’est le moi qui souffre, et il y a un endroit où le moi… s’arrête. Je ne sais pas comment le dire. Mais je crois que la réalité – la vérité que je reconnais en souffrant et non pas dans le confort et le bonheur – que la réalité de la douleur n’est pas la douleur. Si on peut la dépasser. Si on peut l’endurer jusqu’au bout.

— La réalité de notre vie est dans l’amour, dans la solidarité, déclara une grande fille aux yeux doux. L’amour est la véritable condition de la vie humaine.

Bedap secoua la tête.


[Note] Comme scientifique, Shevek sent (bien**) que les concepts de Douleur, de Bonheur, ne sont pas pertinents … (au-delà de la conversation) et que seule leur inscription dans le temps, dans la durée, a un sens.



* Le Temps comme matière.
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PLANÈTE POLLUÉE – Paul BERA – 02

Planète polluée - couverture[Il y a près de 50 ans, Paul Bera écrivait dans la collection fleuve noir (troisième version de la couverture N°623) un roman d’anticipation qui évoquait déjà les problèmes dans lesquels (une partie de) l’humanité se débat, en rapport avec la pollution croissante de l’environnement de la vie actuelle (plantes, animaux, dont l’homme)]

Après un court et brutal prologue, celui qui va à présent raconter l’histoire de sa vie, (ou tout du moins de la partie décisive de celle-ci, pour lui, et pour l’humanité,)évoque son enfance, dans un épisode particulièrement douloureux …
Mais on perçoit déjà le caractère particulier des survivants qui vivent dans « les Clans »


« Il m’a fallu bien longtemps pour comprendre que je n’étais pas tout à fait comme les autres : un peu plus de dix-huit ans. Et encore ç’a été par hasard et pour échapper aux flèches des Masques !

Mama était morte quand je commençais à me débrouiller tout seul ; je devais avoir dix ou douze ans et je savais trier les plantes. J’étais trop jeune, bien sûr, pour chasser, mais les plantes, ça me suffisait. Depuis, j’ai changé d’idée et j’aime bien un bon morceau de viande saignante.

Oui, Mama était morte et, bien entendu, elle avait été abattue par les Masques et elle s’était laissé abattre volontairement pour me sauver, moi, son fils. Comme presque toutes nos marnas.  …

02-ELLES ÉCHAPPENT DIX FOIS-le(Ou P G)

*


Ils avaient couru derrière elle, d’abord sans tirer : ils préfèrent égorger leur proie à l’arme blanche. Mais elle avait beau être très fatiguée et probablement malade – le sang suintait parfois de grosses boules qu’elle avait sur les jambes – elle courait plus vite qu’eux ! Les Masques, c’est bien connu, et c’est une chance pour nous, n’ont aucune résistance physique. Cent pas à la course et les voilà épuisés !

Moi, j’étais caché dans la grotte et je savais qu’ils ne m’y découvriraient pas car ils n’ont aucun flair et je regardais… Et je savais aussi que pour rien au monde Mama ne reviendrait se cacher avec moi, car ils l’auraient suivie et elle les aurait ainsi guidés jusqu’à moi.

Elle avait donc obliqué vers le Marais-où-l’on-meurt. Oh ! j’en avais vu d’autres qu’elle périr dans ce marais et, parfois, parce qu’ils s’y étaient engagés par inattention alors qu’aucun Masque ne les pourchassait !

Ne croyez pas que l’on s’enfonçait dans la boue traîtresse ou dans des sables mouvants. De telles boues, de tels sables, ça existe chez nous, mais précisément pas dans le Marais-où-l’on-meurt ; le sol y est relativement stable.

Mais on ne peut pas y respirer ! La vase verdâtre est gonflée par d’énormes bulles qui crèvent avec un bruit ridicule et l’atmosphère est totalement irrespirable. Les Masques s’en moquent et passent là sans dommages. Nous, non.

J’ai vu Mama qui courait en zigzaguant, parce qu’elle savait que d’un moment à l’autre les Masques, comprenant qu’elle allait leur échapper, tireraient sur elle avec leurs arcs. Ah ! si je pouvais m’emparer d’un de ces arcs ! Ils les font avec du métal, j’en suis sûr, puisqu’il n’y a plus de bois flexible.

Et je comprenais la tactique de Mama… Si elle pouvait arriver à la lisière du Marais-où-l’on-meurt sans être atteinte, elle obliquerait à gauche et la forêt pétrifiée était tout près de là. Une fois dans la forêt, elle leur échapperait sans peine.

Les flèches commencèrent à voler. Les Masques s’étaient déployés en une longue ligne de tireurs et je sus tout de suite que Mama était perdue parce qu’ils avaient compris ce qu’elle tentait de faire. La longue ligne de tireurs se refermait du côté de la forêt…

Mama comprit qu’elle ne pouvait plus passer. Trop tard. Accepter les flèches des Masques ? Elle savait, comme moi, comme nous tous, que les Masques ne la tueraient pas tout de suite, qu’ils s’acharneraient sur elle, qu’elle souffrirait atrocement. Alors que le marais, là, tout près, c’était la mort quasi instantanée. Oh oui ! nous en avions vu mourir, des nôtres, dans le marais ! Après quelques pas, ils s’immobilisaient, ouvraient la bouche toute grande, respiraient deux ou trois fois… et s’effondraient, inertes. Fini. Alors que tomber entre les mains des Masques …

03-JE SAVAIS QU’ ELLE-le(Ou P G)

*

Parce que ç’aurait été donner une indication aux Masques qui allaient certainement me chercher.

Elle fonça vers le marais. Aurait-elle le temps de l’atteindre ? Plusieurs flèches l’avaient déjà frôlée… Je ne sais pourquoi, je me dis que les Masques étaient de bien piètres tireurs et que, moi, à leur place… Et je ne me trompais pas ! Plus tard, j’en acquis la certitude : ils n’avaient pas la force physique suffisante pour tendre leurs arcs ! Et je devais comprendre pourquoi quelques années plus tard, quand j’entrai dans le Terrier.

Mama abandonnait le terrain rocheux et fonçait dans le marais dont la surface nue se boursouflait au soleil.

Elle fit cinq ou six pas, puis ouvrit la bouche toute grande, respira deux ou trois fois… et tomba face contre terre, juste au moment où une flèche l’atteignait. Trop tard pour la flèche. Les Masques devaient être très déçus…

Ils s’engagèrent dans la boue, se penchèrent sur le corps de Mama. L’un d’eux essaya de la soulever par les épaules, ne put y parvenir. D’ailleurs, il dut constater qu’elle était morte, car il écarta les bras en un geste d’impuissance et de colère.

Ils revinrent sur le sol ferme et commencèrent à me chercher.

Et, bien entendu, ils ne me trouvèrent pas.

Les normes … et les mornes vies

Couverture - la planète des Normes

La planète des normes est un roman de Jan De Fast écrit dans les années 70, belles années de la collection fleuve noir.

L’auteur y évoque un monde où l’esprit des humains est, tout comme le corps, entouré de soins qui lui évitent, ainsi qu’à la société, tout dérèglement.Couv-cut - la planète des Normes

 


« Il savait maintenant ce que signifiait ce terme en apparence anodin : « Normes »…

Dans le vocabulaire qu’il avait emmagasiné au début, le vocable revenait très souvent et le translateur sémantique lui-même l’avait assimilé à celui de « loi » ou de « principe directeur ». Le code civil et pénal en quelque sorte, l’ensemble des règlements et préceptes régissant la vie sociale sur Hod, les articles ordonnant ou interdisant telle ou telle action conforme ou contraire à la législation en vigueur et, en fait, c’était bien cela, dans une certaine mesure tout au moins. Les Normes constituaient bien la base juridique sur laquelle se réglait l’ensemble de la civilisation hodienne, mais elles ne se composaient pas d’un ensemble de textes pondus et remaniés par des législateurs sous la direction d’un parlement ou d’un exécutif pour être utilisées par une hiérarchie de tribunaux servis par un appareil policier. C’était à la fois beaucoup plus simple et beaucoup moins humain que cela. Les Normes étaient des machines.

Quelque part dans la banlieue de la capitale s’érigeaient de gigantesques constructions à l’intérieur desquelles de puissants ordinateurs étaient groupés par dizaines de milliers. C’était dans leurs immenses mémoires que se trouvait inscrite la Loi, c’était la technocratie poussée à la limite, puisque le technicien n’était plus nécessaire sauf pour réparer un éventuel court-circuit et que la machine agissait seule en fonction d’une programmation définitive conçue pour que tout sur la planète demeure « normal ». Le terme exact était « Centre de gestion et de contrôle ». Les milliards de circuits électroniques renfermés dans ces armoires étaient là pour assurer à la communauté entière un rythme de vie sans problème, calculant les besoins sur tous les plans et y répondant à chaque instant par la régulation des ressources, le fonctionnement des exploitations et celui des industries de transformation et de production, l’animation des réseaux de distribution ; il ne pouvait jamais y avoir ni excès ni disette, ni surabondance ni rupture de stock.

Toutefois la continuité de la vie économique n’était pas le seul but des Normes, le facteur sociologique était tout aussi important sinon davantage. Il était indispensable que lui aussi soit parfaitement équilibré ; le cycle production-consommation devait demeurer parfait. C’était là qu’intervenait la fonction contrôle des machines : veiller en somme à ce que chaque membre de la population soit toujours satisfait de son sort et surtout ne désire pas le modifier.

La Loi ainsi établie et promulguée était parfaite jusque dans ses moindres détails et il aurait été criminel de vouloir la changer au nom d’une phraséologie aussi vaine et inconsistante que liberté de pensée ou droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’eût été ouvrir la porte à l’anarchie et à tous les maux qui en auraient résulté. Là était le rôle des psycho-traceurs, ces bracelets individuels qui retransmettaient en permanence aux Normes les courbes d’activités cérébrales de chaque citoyen. Lorsque la mentalité d’un Hodien devenait anormale, lorsque des conceptions hors-série naissaient en lui et s’intensifiaient, le graphique enregistré se déformait et, dans la case correspondante à sa fiche d’identité, un voyant rouge s’allumait. Une psychose de déviation venait de se manifester. Certes le phénomène était rare, l’équipement des Normes datait de nombreuses générations et la très grande majorité des sujets était conditionnée d’une façon quasi héréditaire. Personne n’était plus capable d’imaginer…

UNE AUTRE FORME-let-i

Le « déviant » ainsi détecté n’était cependant pas considéré comme un coupable, il n’était pas question de le châtier, de le mettre au ban de la société, de l’interner dans une prison ou dans un camp de concentration. C’était un malade, un patient atteint d’une affection psychotique qui n’était pas plus répréhensible ni plus honteuse que la tuberculose ou le diabète. Il devait simplement être soigné. Un groupe spécial de fonctionnaires dépendant directement des Normes, les Servants, allait le chercher en se guidant directionnellement sur les émissions du psycho-traceur, l’emmenait à la clinique neurologique où il était soumis à cette intervention orthoneuronale à laquelle Alan avait participé, et d’où il ressortait guéri, c’est-à-dire à nouveau « normal ». Pour lui, redevenu semblable à ses concitoyens, tout se retrouvait pour le mieux dans le meilleur des mondes…

Le professeur Féhir l’avait expliqué dès le premier jour : tout déviant primaire était réintégré dans le rang après normalisation. Mais s’il y avait récidive, la seconde intervention était plus profonde et le sujet ne retournait plus dans son milieu ; il devenait un Servant.

Étant donné que le désir d’échapper aux Normes ne pouvait naître que dans un esprit très évolué, les quelques centaines de milliers d’individus constituant cette caste particulière possédaient donc des cerveaux nettement au-dessus de la moyenne, ils étaient de taille à déjouer toutes les ruses. Cette technique consistant à transformer les coupables potentiels en super-policiers était d’ailleurs admirable et démontrait à quel point la programmation des machines était proche de la perfection : il ne peut y avoir de meilleur agent de sécurité qu’un rebelle converti et la parcelle d’autorité qui lui est ainsi confiée achève d’en faire un loyal sujet. On ne rêve de bouleverser un ordre établi que lorsqu’on lui est subordonné,

À PARTIR DU MOMENT-le-i« 

(PG)




C’est la décision qu’ils ont prise au nom d’une civilisation entière.

— L’autogénocide… Comment ont-ils fait ? … »


A la fin du roman, libérés des Normes, les habitants de cette planète auront beaucoup de difficultés à,
pour les uns, ne pas tout détruire de rage contenue
pour les autres, sortir des limites étroites dans lesquels leur corps et leur esprit était confiné depuis leur naissance.


On peut trouver le scénario peu réaliste, mais le besoin de sécurité fausse aussi parfois totalement notre propre jugement. En étant rassuré par des pulvérisations de « biocide » dans les classes de nos enfants … pour les protéger d’un virus qui les menacent moins que la rencontre inopinée d’une voiture roulant à une allure … normale.

ZODIACAL – PIERS ANTHONY – 1

 SI VOUS ETIEZ UN POISSON DU LAC DE QUEL GENRE VOUDRIEZ VOUS ETRE  UN BON POISSON NATURELLEMENT-3

(En référence à la parabole des bons et des mauvais poisson de l’évangile selon Matthieu )

Extrait de « Zodiacal  »

de Piers Anthony

Solution

SI VOUS ETIEZ UN POISSON DU LAC DE QUEL GENRE VOUDRIEZ VOUS ETRE  UN BON POISSON NATURELLEMENT-s3

parcours de lecture

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On peut s’aider des TAGS
ils donnent certains mots de la grille.

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