Le mont analogue – René Daumal (simpliste) – 24

(traduit du bulgare par le traducteur du « Coeur Cerf »)

Le Mont Analogue fut commencé par René Daumal en juillet 1939 lors de son séjour à Pelvoux dans les Alpes et à un moment particulièrement tragique de son existence. Il venait d'apprendre – à trente et un ans – qu'il était perdu : tuberculeux depuis une dizaine d'années, sa maladie ne pouvait avoir qu'une issue fatale. Trois chapitres étaient achevés en juin 1940 quand Daumal quitta Paris à cause de l'occupation allemande, sa femme, Vera Milanova, étant israélite. Après trois ans passés entre les Pyrénées (Gavarnie), les environs de Marseille (Allauch) et les Alpes (Passy, Pelvoux), dans des conditions très difficiles sur tous les plans, Daumal connut enfin, au cours de l'été 1943, un moment de répit et espéra pouvoir finir son « roman ». Il se remit au travail, mais une dramatique aggravation de sa maladie l'empêcha de terminer la relation de son voyage « symboliquement authentique ». Il mourut à Paris le 21 mai 1944. ? 
(extrait le avant-propos de l'éditeur)

24-Le mont analogue-MOTS QUE NOUS-IMA

Retour à nos aventuriers … Réflexion de l’auteur à propos de leur découverte, après un certain temps d’attente infructueuse, du passage vers l’objet de leur quête.

Il y a donc trois jours de cela, comme le soleil allait encore une fois disparaître à l’horizon et que nous lui tournions le dos, tendus à l’avant du bateau, un vent sans préliminaires se leva, ou plutôt une puissante aspiration soudain nous tira en avant, l’espace se creusa devant nous, un vide sans fond, un gouffre horizontal d’air et d’eau impossiblement enlacés en cercles ; le bateau craquait dans ses membrures et filait lancé infailliblement le long d’une pente ascendante jusqu’au centre de l’abîme et tout à coup il se trouva, doucement balancé, dans une vaste et calme baie, devant la terre ! Le rivage était assez près pour que nous puissions distinguer les arbres et les maisons ; au-dessus, des cultures, des forêts, des prairies, des rochers, et au-dessus encore des plans et des arrière-plans indéfinis de hauts pics et de glaciers flambant rouges dans le crépuscule. Une flottille de barques à dix rameurs – des Européens, certainement, le torse nu et bronzé – vint nous haler jusqu’à notre mouillage. Il semblait bien que nous étions attendus. Cela ressemblait fort à quelque village de pêcheurs méditerranéen. Nous n’étions pas dépaysés. Le chef de la flottille nous conduisit en silence à une maison blanche, dans une pièce nue, carrelée de rouge, où un homme en tenue montagnarde nous reçut sur un tapis. Il parlait français parfaitement, mais avec parfois le sourire intérieur de quelqu’un qui trouve fort étranges les expressions qu’il doit employer pour se faire entendre. Il traduisait certainement, – sans hésitation et sans incorrection, mais il traduisait visiblement. Il nous interrogea l’un après l’autre. Chacune de ses questions, – pourtant toutes simples : qui étions-nous ? pourquoi venions-nous ? – nous prenait au dépourvu, nous perçait jusqu’aux entrailles. Qui êtes-vous ? Qui suis-je ? Nous ne pouvions pas lui répondre comme à un agent consulaire ou à un employé des douanes. Dire son nom, sa profession ? – qu’est-ce que cela signifie ?

Mais qui es-tu ? Et qu’est-ce que tu es ?
24-Le mont analogue-MOTS QUE NOUS-LET
répugnants ou ridicules comme des cadavres.

Nous savions que désormais, devant les guides du Mont Analogue, nous ne pourrions plus nous payer de mots. Sogol, courageusement, prit sur lui de raconter brièvement notre voyage.


[Note] Ne surtout pas se souvenir de ces paroles.
Comment continuer ensuite à converser avec les mots sans saveur et sans odeurs, si ce n’est répugnantes, dont nous usons constamment, feignant d’être conscient que « emmerder » signifie recouvrir d’excréments … dont la provenance ne peut-être que … nous-même.


MANDRAGORE  CULTIVÉ = VULGARITÉ DE ……