La planète des Normes – Jan De Fast – 13 (fin)

Couverture - la planète des Normes

La planète des normes est un roman de Jan De Fast écrit dans les années 70, belles années de la collection fleuve noir.

L’auteur y évoque un monde où l’esprit des humains est, tout comme le corps, entouré de soins qui lui « évitent », ainsi qu’à la société, tout dérèglement, tout dépassement de la normalité.
Pour cela, la solution idéale :  la machine et les mots sans épaisseur de la « Norme »

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Couverture - la planète des Normes


Ne pas lire au-delà
si tu ne souhaites pas
connaître la fin


Après de nombreuses péripéties, Alan se retrouve sur une autre planète (Woxera) où une « machine des Normes » a également réglé la vie des habitants.
C’est de cette planète que provient le modèle de fonctionnement qu’il a découvert sur la Planète des Hodiens.

Le monde est totalement désert.
Un petit groupe d’habitants a choisi le seul moyen disponible pour échapper à la vie sans vie qu’impose l’ordinateur qui régit leur existence et leur interdit toute initiative … le suicide collectif.
Et ce choix, il l’ont imposé à tous les autres en utilisant une arme de destruction massive (On pourra penser à « l’armée des douze singes« )
Les Hodiens qui accompagnent Allan sont effarés. Ils comprennent que ce résultat est ce qui menace leur monde à terme.


— Tu crois que tu arriveras à traduire ces feuilles ?

— Sans la moindre difficulté, on l’a déjà fait pour moi. Écoute…

Alan reprit la liasse, l’ouvrit au milieu, lut à haute voix :

Avec l’accord de notre chef le Maître Hyllam’srî, moi, Drévor, représentant de Hod auprès du « Six cent un », je rédige ci-après la version dans ma langue du texte qui précède afin que si, un jour futur, mes compatriotes de race réussissent à franchir l’espace et venir jusqu’ici, ils sachent pourquoi nous avons agi comme nous l’avons fait et s’inspirent de notre exemple. ..

Alan se tut, continuant pour lui seul à déchiffrer rapidement le document. Respectant son silence, Lloa se leva pour remplir à nouveau les verres puis, après un coup d’œil au chronographe de bord, alla programmer le repas comme son compagnon lui avait appris à le faire. Elle revint s’asseoir au moment où il tournait la dernière page et reposait les feuilles sur la table.

— Tu pourras lire tranquillement ces papiers. C’est d’ailleurs à toi qu’ils sont destinés et ils te reviennent. En attendant je vais te les résumer.

Il se recueillit un instant, puis reprit d’une voix assourdie :

— Le début est une description de l’organisation de cette planète métropolitaine qui, entre parenthèses, se nomme Woxera. Elle était bien telle que nous l’avons déduit au cours de nos recherches et Hod a bien été colonisée à son image : la gestion électronique des Normes contrôlées par le grand Cerveau de la pyramide avec au sommet ce que j’ai appelé l’étage bionique et qu’ils dénomment eux tout simplement les Maîtres Programmeurs. Le Domaine était destiné à leur permettre de travailler librement et sans entrave à l’évolution des peuples de l’Empire en leur accordant progressivement une liberté de pensée et d’action de plus en plus grande jusqu’à ce que finalement les ordinateurs ne servent plus qu’à assurer la vie économique des deux planètes afin que tous soient à l’abri des disettes ou des épidémies et que personne ne manque de rien ni dans le nécessaire ni même dans le superflu.

Tel était du moins le but que s’étaient fixé les premiers législateurs lorsqu’ils construisirent les installations que nous connaissons : imposer l’ordre d’abord, guider le progrès ensuite, laisser enfin la place à un régime vraiment démocratique quand l’humanité serait parvenue au stade où elle serait capable de se gouverner elle-même.

— C’était un très beau programme.

— C’était surtout une très belle utopie. Tous les fondateurs de politique sociale ou de religion — les deux mots sont synonymes — ont toujours et partout commis la même erreur : celle de vouloir que l’homme devienne parfait tout en postulant a priori que cette perfection existe déjà en lui à l’état latent et qu’il suffit de lui donner l’occasion de se manifester. Malheureusement, si c’était vrai, il n’y aurait pas besoin d’initiateurs, le résultat voulu s’obtiendrait de lui-même par le seul jeu de l’évolution naturelle, chaque génération serait automatiquement meilleure que la précédente. Mais la tendance vers le bien n’est qu’une vue de l’esprit, ce n’est pas une dominante inscrite dans nos gènes. Le seul facteur qui nous anime et qui est à la base de tous les autres est l’instinct de conservation et celui-ci est résolument égoïste et antisocial. La longue période de formation et d’éducation ne pouvait supprimer cet instinct vital et encore moins le remplacer par celui de la collectivité. La loi de survivance du plus apte et du struggle for life devait réapparaître dès que les barrières seraient levées. Et naturellement, chez les « Six cent un » pour commencer.

— Pourquoi chez eux en particulier ? Ils avaient tout ce qu’ils pouvaient désirer, non seulement comme nous à Nontha mais avec par-dessus le marché le pouvoir. Ils étaient donc parfaitement heureux. Tout ce qu’on leur demandait c’était de jouer leur rôle de guides.

— Heureux au début, certes, mais qu’adviendrait-il plus tard ? Ce rôle dont tu parles consistait à donner de plus en plus de liberté aux milliards d’êtres humains soumis à leur puissance jusqu’au jour où tous ces milliards deviendraient leurs égaux suivant la classique formule : « un gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Ce serait alors la fin de tous leurs privilèges.

— Mais ils n’en continueraient pas moins à vivre dans le bonheur !

— Le sentiment du bonheur n’existe que lorsqu’on est seul à l’éprouver et que tous les autres en sont privés. Dès l’instant où il est partagé, il cesse d’être un bonheur. Il fallait à tout prix le conserver en maintenant l’inégalité, en demeurant au sommet de la pyramide. C’est pourquoi ils se sont bien gardés de modifier la programmation des Normes dans le sens prévu. Ils se sont refusés à changer quoi que ce soit à l’état de choses ou s’ils l’ont fait, ça n’a été que pour renforcer la soumission de leurs administrés, intensifier le contrôle des cerveaux et les mesures policières. Ils sont devenus des dictateurs absolus !

— Mais ils étaient sélectionnés et conditionnés par leur milieu !

— L’instinct primordial subsistait. Rien ne pouvait l’effacer. Leur vie de Maîtres devait continuer, donc les esclaves devaient demeurer des esclaves.

— Et c’est de cela qu’ils sont finalement tous morts ?

— Effectivement. Toute action suppose une réaction. Toute privation de liberté finit par provoquer une révolte anarchique. Un groupe s’est constitué qui a voulu échapper à cette emprise, un certain nombre de déviants ont découvert un jour qu’il existait un moyen, un seul, pour atteindre ce but. Dans certaines races, la mienne en particulier, des révoltes contre l’oppression du pouvoir ont éclaté à maintes reprises au cours de l’Histoire. Leur mot d’ordre, leur cri de ralliement était en général : « la liberté ou la mort ! ». Ici il a été légèrement différent, à peine juste un petit mot a été changé et ça a donné : « la liberté par la mort. » Puisque toute rébellion armée était impossible, les psycho-traceurs la détectaient avant même qu’elle ait pris corps et la normalisation orthoneurale liquidait les meneurs en puissance avant qu’ils aient pu recruter et organiser des troupes, le mouvement dont tu as vu ce matin les chefs rassemblés dans le blockhaus a choisi la seule route qui lui restait en y entraînant à leur suite la totalité des habitants de Woxera. Mourir pour être enfin libres. C’est la décision qu’ils ont prise au nom d’une civilisation entière.

— L’autogénocide… Comment ont-ils fait ?

— Ils l’expliquent. L’un d’entre eux, un Maître d’ailleurs, membre des «Six cent un », était un remarquable neurologue. Il a mis au point une onde particulière dont le rayonnement engendre un phénomène de dépression cérébrale déclenchant une tendance suicidaire irrésistible. Le support de diffusion de cette onde était à la portée de la main : le réseau d’interconnexion de la distribution électrique dont les mailles s’étendent partout sur la planète. Quand l’émetteur convenablement réglé en fréquences a été raccordé à l’une des centrales électriques, la propagation s’est étendue à tous les points alimentés par le secteur, ne serait-ce qu’en éclairage ou chauffage, c’est-à-dire toutes les maisons de toutes les villes et de tous les villages. Cela a dû se passer très vite. La dépression morbide ne pouvait aller qu’en s’intensifiant et en s’accélérant par la contagion de l’exemple. Quelques heures ont suffi pour « libérer » la totalité des Woxériens. Les sept du blockhaus se sont protégés par un quelconque champ de neutralisation jusqu’à ce qu’ils soient bien sûrs que l’épidémie ainsi déclenchée par un vecteur ondulatoire avait fait son œuvre, y compris dans le Domaine, bien entendu, puisqu’il possède aussi son réseau de distribution, après quoi ils ont coupé leur émetteur — heureusement pour nous soit dit en passant — et se sont empoisonnés. Voilà pourquoi Woxera n’existe plus et pourquoi aussi les Normes et Hod continuaient à agir en fonction d’une programmation que rien ne pouvait plus modifier.

— C’est épouvantable ! Tuer des milliards d’hommes, de femmes et d’enfants sous le prétexte de donner l’indépendance ! Ce groupe était infiniment plus cruel que les Maîtres, car enfin toute la masse du peuple n’était pas réellement malheureuse ou en tout cas ils ne le soupçonnaient pas ; ils ne connaissaient pas d’autre vie que celle qu’ils menaient.

Que veux-tu, tous les grands réformateurs sont ainsi. Ils prétendent détenir la vérité et ils obligent tous les autres à reconnaître cette vérité comme telle et à s’y conformer. Je t’ai dit que c’était au fond une religion, celle du suicide, et comme les missionnaires de toutes les religions ont l’habitude de passer au fil de l’épée ou de faire griller sur le bûcher ceux qui refusent de se convertir, les disciples de Hyllam’srî ont agi de même.

— …tu m’as conté beaucoup de choses sur l’histoire de ton monde et de ceux que tu as visités. Tu m’as parlé des guerres, des révolutions, des cataclysmes qu’ils ont traversés. Mais ils en sont sortis et chaque fois meilleurs, un peu plus proches de la perfection.

— Pas tous. Certains se sont entre-tués jusqu’à ce que leurs planètes ne soient plus que des champs de ruines brûlés où l’herbe ne repousse plus. La Terre elle-même a failli de très peu disparaître à jamais.

— Mais elle a survécu pour connaître enfin la paix dans la liberté et conquérir l’Univers sans le dominer et sans lui imposer ses lois. Je sais que Hod devra passer par les mêmes épreuves, que beaucoup de sang sera versé, mais toutes les autres routes sont fermées. C’est notre seule chance de devenir un jour semblables à toi. Qu’importe que beaucoup meurent, ils sauront au moins pourquoi et ceux qui survivront pourront construire. Sinon il ne reste plus qu’à suivre le destin de Woxera…

— Bonne chance, Lloa… Je suis venu …

30 - PRÈS DE TOI - le(plus facile)
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… ou sinon me le pardonner !