Le mont analogue – René Daumal (simpliste) – 06

(traduit du bulgare par le traducteur du « Coeur Cerf »)

Le Mont Analogue fut commencé par René Daumal en juillet 1939 lors de son séjour à Pelvoux dans les Alpes et à un moment particulièrement tragique de son existence. Il venait d'apprendre – à trente et un ans – qu'il était perdu : tuberculeux depuis une dizaine d'années, sa maladie ne pouvait avoir qu'une issue fatale. Trois chapitres étaient achevés en juin 1940 quand Daumal quitta Paris à cause de l'occupation allemande, sa femme, Vera Milanova, étant israélite. Après trois ans passés entre les Pyrénées (Gavarnie), les environs de Marseille (Allauch) et les Alpes (Passy, Pelvoux), dans des conditions très difficiles sur tous les plans, Daumal connut enfin, au cours de l'été 1943, un moment de répit et espéra pouvoir finir son « roman ». Il se remit au travail, mais une dramatique aggravation de sa maladie l'empêcha de terminer la relation de son voyage « symboliquement authentique ». Il mourut à Paris le 21 mai 1944. ? 
(extrait le avant-propos de l'éditeur)

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Pierre Sogol raconte ses errances passées dans sa recherche où l’on pourrait trouver un écho (sous forme d’un rire gargantuesque) au récit « Rencontre avec des hommes remarquables » (immortalisé par Peter Brook ici). Sera abordé la question du réveil du dormeur.

Un curieux monastère. Quel, où, peu importe ; sachez pourtant qu’il appartenait à un ordre pour le moins hérétique.

» Il y avait, en particulier, une coutume très curieuse dans la règle de l’ordre. Chaque matin, notre Supérieur nous remettait à chacun – nous étions une trentaine – un papier plié en quatre. Un de ces papiers portait l’inscription : TU HODIE, et le Supérieur seul savait à qui il était échu. Certains jours, d’ailleurs, je crois bien que tous les papiers étaient blancs, mais, comme on n’en savait rien, le résultat – vous allez voir – était le même. « C’est toi aujourd’hui » – cela voulait dire que le frère ainsi désigné, à l’insu de tous les autres, jouerait pendant toute cette journée le rôle du « Tentateur ». J’ai assisté, parmi certaines peuplades africaines et autres, à des cultes assez horribles, des sacrifices humains, des rites anthropophagiques. Mais je n’ai jamais rencontré, dans aucune secte religieuse ou magique, de coutume aussi cruelle que cette institution du tentateur quotidien. Voyez-vous trente hommes, vivant d’une vie commune, déjà détraqués par la perpétuelle terreur du péché, se regardant les uns les autres avec la pensée obsédante que l’un d’eux, sans qu’ils sachent lequel, est spécialement chargé de mettre à l’épreuve leur foi, leur humilité, leur charité ? Il y avait là comme une caricature diabolique d’une grande idée – de cette idée qu’en mon semblable comme en moi-même il y a une personne à haïr et une personne à aimer.

» Car une chose me prouve le caractère satanique de cette coutume : c’est que personne, parmi les religieux, n’avait jamais refusé de tenir le rôle de « Tentateur ». Aucun, lorsque le « tu hodie » lui était remis, n’avait le moindre doute qu’il ne fût et capable et digne de jouer ce personnage. Le tentateur était lui-même victime d’une monstrueuse tentation. Moi-même, j’ai accepté ce rôle d’agent provocateur plusieurs fois, par obéissance à la règle, et c’est le plus honteux souvenir de ma vie*. J’ai accepté, tant que je n’eus pas compris dans quel traquenard j’étais tombé. Jusqu’alors, j’avais toujours démasqué le satan de service. Ces malheureux étaient si naïfs ! Toujours les mêmes trucs, qu’ils croyaient très subtils, les pauvres diables ! Toute leur habileté consistait à jouer sur quelques mensonges fondamentaux et communs à tous, tels que : « suivre les règles à la lettre, c’est bon pour les imbéciles qui ne peuvent pas en saisir l’esprit », ou encore : « moi, hélas, avec ma santé, je ne peux pas me permettre de telles rigueurs. »

» Une fois, pourtant, le diable du jour a réussi à m’avoir. C’était cette fois-là, un grand gaillard taillé à la hache, avec des yeux bleus d’enfant. Pendant un repos, il s’approche de moi et me dit : « Je vois que vous m’avez reconnu. Rien à faire avec vous, vous êtes vraiment trop perspicace. D’ailleurs, vous n’avez pas besoin de cet artifice pour savoir que la tentation est toujours partout autour de nous, ou plutôt en nous. Mais voyez l’insondable veulerie de l’homme : tous les moyens qui lui sont donnés pour se tenir éveillé, il finit par en orner son sommeil. On porte le cilice comme on porterait un monocle, on chante les matines comme d’autres vont jouer au golf.

Ah ! si les savants d’aujourd’hui, au lieu d’inventer sans cesse de nouveaux moyens de rendre

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Il y a bien les mitrailleuses, mais cela dépasse de trop le but… »

» Il parla si bien que, le soir même, le cerveau en fièvre, j’obtins du Supérieur l’autorisation d’occuper mes heures de loisir à l’invention et la fabrication d’instruments de ce genre. J’inventai aussitôt des appareils ahurissants : un stylo qui bavait ou éclaboussait toutes les cinq ou dix minutes, à l’usage des écrivains qui ont la plume trop facile ; un minuscule phonographe portatif, muni d’un écouteur semblable à ceux des appareils pour sourds, à conduction osseuse, qui, aux moments les plus imprévus, vous criait par exemple : « Pour qui te prends-tu ? » ; un coussin pneumatique, que j’appelais « le mol oreiller du doute », et qui se dégonflait à l’improviste sous la tête du dormeur ; un miroir dont la courbure était étudiée de telle façon – cela m’en avait donné, un mal ! – que tout visage humain s’y reflétait en tête de porc ; et bien d’autres. J’étais donc en plein travail – au point que je ne reconnaissais même plus les tentateurs quotidiens, qui avaient beau jeu de m’encourager – lorsqu’un matin je reçois le tu hodie. Le premier frère que je rencontrai fut le grand gaillard aux yeux bleus. Il m’accueillit avec un sourire amer qui me doucha. Je vis du même coup et l’enfantillage de mes recherches et l’ignominie du rôle qu’on me proposait de jouer. J’allai, contre toutes les règles, trouver le Supérieur, et lui dis que je ne pouvais plus accepter de « faire le diable ». Il me parla avec une douceur sévère, peut-être sincère, peut-être professionnelle. « Mon fils, conclut-il, je vois qu’il y a en vous un inguérissable besoin de comprendre qui ne vous permet pas de rester plus longtemps dans cette maison. Nous prierons Dieu qu’Il veuille vous appeler à Lui par d’autres voies… »


[Note]  Pour se réveiller, c’est facile, il suffit de mettre un réveil. … Mais comment empêcher alors le dormeur qui ne souhaite pas sortir de son rêve, de rêver qu’il s’éveille et tente sans succès d’arrêter le réveil, jusqu’au moment où la sonnerie s’éteint …
Il faut un motif impérieux pour se réveiller … vraiment
Ne t’es tu pas extrait(e) du sommeil quelques secondes avant que ton réveil ne sonne … un jour où tu avais quelque chose de vraiment important, pour toi, à faire à une heure précise ?


REVEIL DORMEUR = LUMIERE OR VERD**

___

* On pourra penser à une célèbre expérience

**Ancienne écriture de « VERT »

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