Le mythe de la machine – Lewis Mumford – modification des perceptions

Pourquoi il faut (re)lire « Le Mythe de la machine »

Plus de cinquante années après sa publication
(Réédité récemment, sa première impression a été rapidement épuisée)


« Il n’est pas possible de comprendre le rôle que la technique a joué dans l’évolution de l’humanité sans porter un regard plus aigu sur la nature historique de l’homme.
Or ce regard s’est profondément brouillé au cours des cent dernières années, conditionné qu’il a été par un milieu social brusquement confronté à une succession ininterrompue d’inventions mécaniques qui ont balayé les savoir-faire et les institutions anciennes, …

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Un bon indicateur de ce que dit là Lewis Mumford se trouve dans la disparition progressive de la nuance.
Loin d’une perception de la parole, du mot, de l’écrit, de ce qui se dit, que pouvaient avoir (à l’excès parfois) les cabalistes, où encore de nos jours ceux qui passent une grande partie de leur vie à interpréter des écritures considérées comme saintes (et elles le sont d’une certaine manière, si elles ont traversé les siècles jusqu’à nous.) ce qui devient la norme est une perception réduite à un contour précis (souvent disputé) à la manière du langage scientifique (ou des organismes de certification). Les mots n’ont plus un espace de signification, mais celle-ci est réduite à un point.
Ainsi « complexe et compliqués étant donnés comme synonymes, c’est qu’ils ont le même sens » (réponse faite à une tentative de nuance concernant ces deux concepts. A la limite ON acceptera que complexe signifie « très compliqué » )
La technologie que nous utilisons, et notamment le simple bouton poussoir, modifie notre perception de la réalité. Privilégiant la notion de oui/non , vrai/faux , dehors/dedans, alors que, concernant cette dernière opposition, dans le monde réel on ne passe pas, comme en mathématiques d’un état ou lieu à un autre sans transition.
Seules les mathématiques peuvent « imaginer » un point d’épaisseur nulle, comme par exemple (dans le domaine du temps) celui qui est à la fois aujourd’hui et demain et que l’on peut aussi bien nommer 24h et 00h00 (ce qui met en évidence cette double appartenance)*.

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* Les points/Le lieu où deux lèvres se rencontrent sont/est à la fois sur l’une et sur l’autre lèvre.
Ce qui est bien sur, totalement faux (ou autrement vrai) du point de vue de la physique des particules.

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Je ne peux pas oublier : Refus d’obéissance – Jean Giono – 11

Giono jeune, a écrit un texte que Giono sage a partiellement renié, lui reprochant précisément tout ce qui en fait sa force : la colère, la fougue, l’audace, la témérité et cette capacité de faire déborder le sens au-delà des mots.
(Entretien avec Pierre Lhoste Avril 1968 )

Pourtant ce texte contient tout de ce qui pourrait réveiller … ce monde.
Autant à propos des guerres permanentes dans lesquelles nous sommes habilement engagés (idéologique, économique, énergétique, climatique …) que concernant la place à laquelle l’homme à le droit … parmi les autres formes de vie sur terre.

L’extrait ci-dessous est précisément celui qui était visé par Giono lors de l’entretien .
« …C’est une erreur de jeunesse, une exaspération de violence … »
(On peut y voir au contraire, de la lucidité et une réaction saine, pour la vie et contre ce qui la détruit.)


Retour triomphal-1
brodequin du poilu-1

Retour triomphal-2

[voir note*]


 » Depuis 1919 j’ai lutté patiemment, pied à pied, avec tout le monde, avec mes amis, avec mes ennemis, avec des amis de classe mais faibles, avec des ennemis de classe et forts. Et à ce moment-là je n’étais pas libre, j’étais employé de banque. C’est tout dire. On a essayé de me faire perdre ma place. Déjà à ce moment-là on disait : « c’est un communiste », c’est-à-dire on a le droit de le priver de son gagne-pain et de le tuer, lui et tout ce qu’il supporte sur ses épaules : sa mère, sa femme, sa fille. Je n’étais pas communiste. J’apprends lentement.
J’ai refusé de faire partie des sociétés d’anciens combattants car elles étaient, à cette époque, créées seulement pour des buts mutualistes et non pour affirmer cette qualité d’ancien combattant, et de jamais plus nouveau combattant. On a fondé l’A. R. A. C. Mais j’étais dans un pays perdu. Je ne connaissais pas l’action de ceux qui pensaient comme moi. Alors, j’ai mené la lutte seul. Dans ma famille. C’est souvent par là qu’il faut commencer et c’est le plus difficile. D’habitude c’est par là qu’on est vaincu. Je n’ai pas gagné, mais je suis resté entier. Parmi mes amis, deux ou trois m’ont suivi et me suivent encore.

Puis j’ai commencé à écrire et tout de suite j’ai écrit pour la vie, j’ai écrit la vie, j’ai voulu saouler tout le monde de vie. J’aurais voulu pouvoir faire bouillonner la vie comme un torrent et la faire se ruer sur tous ces hommes secs et désespérés, les frapper avec des vagues de vie froides et vertes, leur faire monter le sang à fleur de peau, les assommer …

JNPgi-11- DE FRAÎCHEUR-le-i


(Plus facile)


(Solution)


« Dans la correspondance privée, soldat, … tu éviteras, en donnant le récit des affaires auxquelles tu as pris part, de noircir le tableau que tu en feras aux tiens, en gardant pour toi les souffrances inhérentes à la guerre, que tu dois supporter stoïquement, en silence, en bon Français.

[Pour nos soldats : GUIDE DU POILU – Charles Charton]


* Le défilé triomphal met ici, largement en avant les cavaliers à cheval.
On voit ici la distorsion fréquente entre la réalité de la guerre** et ce qui est mis en valeur parce que bénéficiant d’une image glorieuse … plus glorieuse que la boue des tranchées dans laquelle croupissait le fantassin.
A noter qu’après cette guerre cavalerie sera synonyme d’arme blindée.
Quiconque est entré dans un char sait le régime de terreur dans lequel vivent en permanence les occupants de ces cercueils ambulant … dont depuis bien longtemps les pays fortunés ont abandonné en grande partie l’utilisation (au « profit » de l’aviation) mais pas la production. Les dictatures faisant volontiers usage, dans la mesure de leur moyens, de ce type d’arme contre « la foule en rébellion ».

** Si on demande à quelqu’un (oui c’est une question barbare) de donner un ordre de grandeur du nombre de soldats qu’un fantassin français a tué de façon visible/consciente, la réponse met en évidence cette distorsion.
Parfois elle sera voisine de 2 ou 3, rarement sous l’unité.
Un petit moment de réflexion permet à chacun de rétablir la vérité.
Un grand nombre de morts (la plupart ?) l’ont été du fait de bombardement.
Si la moyenne était voisine de un il n’y aurait plus aucun combattant à la fin des hostilité.
Giono assure qu’il n’a privé aucun ennemi de la vie, la plupart des soldats sont dans le même cas.