21 Novembre 1694 …

… disparait des vivants ce monument de la littérature française (et de l’esprit français) qu’est Voltaire.

Voltaire dont l’œuvre a connu, par la suite des périodes de quasi disgrâce dans l’édition (et donc, il faut le supposer, dans le public), comme en attestent ces lignes : (15 avril 1914 )

Voilà un fait qui éclaire d’une façon assez effrayante l’état d’esprit du jour. Il n’y a plus un éditeur pour Voltaire !
Cette proposition semble absurde. Vous haussez les épaules.
Elle est malheureusement exacte.
M. Fernand Caussy, ayant eu l’idée d’inventorier à la Bibliothèque de l’Ermitage, à Pétersbourg, les livres et manuscrits de Voltaire, acquis autrefois par Catherine II, en a rapporté six volumes de correspondance inédite, et trois de mélanges divers.
A première vue, il vous paraît que c’est une extrême bonne fortune, et que M. Caussy a mis la main sur un trésor. Eh bien ! détrompez-vous ! Tous les éditeurs, chose incroyable, ont fait la moue. Et M. Fernand Caussy a dû entreprendre son édition à ses risques et périls.
Les Anglais, moraux, pudibonds, et tout ce qui vous plaira, entretiennent cependant avec jalousie le culte de l’amoral Shakespeare. Ils sentent qu’il serait honteux pour eux de le délaisser, et qu’ils vaudraient moins sans Shakespeare.
Chez nous, il n’y a pas assez de liberté …

… valons moins.

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Voltaire est un homme de salon, il appuie son éloquence sur l’Autre et la façon dont il ou elle s’exprime, notamment en ses qualités, ou mieux, ses défauts.
En témoigne sa poésie, pour une bonne part, consacrée/adressées à une « personne« 

(À madame de Fontaine-Martel,  À Madame de G***,  À Madame du Deffant,  À Madame la maréchale de Villards,  À Mademoiselle de Guise,  À Mademoiselle Le Couvreur,  À M. de Formont,  À M. de Saint-Lambert,  À M. Desmahis,  À M. François de Neufchâteau,  À M. Le comte de Tressan,  À M. Le comte, le chevalier et l’abbé de Sade,  À M. Le duc de La Feuillade,  À M. Le duc de Sulli,  À Mme du Châtelet,  À Samuel Bernard,  À une dame ou soit-disant telle,  À une jeune veuve,  À Uranie,  À Uranie (I),  Aux manes de M. de Genonville,  À Monsieur le Chevalier de Boufflers,  À Monsieur le comte Algarotti,  À M. ***,  Épigramme sur Gresset,

Ici, un poème qui semble au premier coup d’oeil déroger à cette règle, … mais à le lire on est vite détrompé, chacun des voeux, exprimés pour le repousser, semble dénigrer précisément Voisin, …

Les Souhaits

Il n’est mortel qui ne forme des vœux :
L’un de Voisin convoite la puissance ;
L’autre voudrait engloutir la finance
Qu’accumula le beau-père d’Évreux.

Vers les quinze ans, un mignon de couchette …

… promoteur.

Roy versifie, et veut suivre Pindare ;
Du Bousset chante, et veut passer Lambert.
En de tels voeux mon esprit ne s’égare :

Je ne demande au grand dieu Jupiter
Que l’estomac du marquis de La Fare,
Et les cons de monsieur d’Aremberg.

Ce monsieur d’Aremberg que Voltaire poursuit
dans une longue épitre, à lui destinée,
où l’on devine le sens que prennent les pointillés

A MONSIEUR LE DUC D’AREMBERG

D’Aremberg, où vas-tu ? penses-tu m’échapper?
Quoi ! tandis qu’à Paris on t’attend pour souper,

Tu pars, et je te vois, loin de ce doux rivage,
Voler en un clin d’œil

aux lieux de ton bailliage!
C’est ainsi que les dieux qu’Homère a tant prônés
Fendaient les vastes airs de leur course étonnés,
Et les fougueux chevaux du fier dieu de la guerre
Franchissaient en deux sauts la moitié de la terre.
Ces grands dieux toutefois, à ne déguiser rien,
N’avaient point dans la Grèce un château comme Enghien ;
Et leurs divins coursiers, regorgeant d’ambrosie,
Ma foi, ne valaient pas tes chevaux d’Italie.
Que fais-tu cependant dans ces climats amis
Qu’à tes soins vigilants l’empereur a commis?
Vas-tu, de tes désirs portant partout l’offrande,
Séduire la pudeur d’une jeune Flamande,
Qui, tout en rougissant, acceptera l’honneur
Des amours indiscrets de son cher gouverneur?
La paix

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vaillantes mains
Dans nos derniers combats firent tant d’orphelins.
Mais quitte aussi bientôt, si la France te tente,
Des tetons du Brabant la chair flasque et tremblante,
Et, conduit par Momus et porté par les Ris,
Accours, vole, et reviens t’enivrer à Paris.
Ton salon est tout prêt, tes amis te demandent;
Du défunt Rothelin les pénates t’attendent.
Viens voir le doux La Faye aussi fin que courtois,
Le conteur Lasseré, Matignon le sournois,
Courcillon, qui toujours du théâtre dispose,
Courcillon, dont ma plume a fait l’apothéose »,
Courcillon qui se gâte, et qui, si je m’en croi,
Pourrait bien quelque jour être indigne de toi.
Ah ! s’il allait quitter la débauche et la table,
S’il était assez fou pour être raisonnable,
Il se perdrait, grands dieux! Ah! cher duc, aujourd’hui
Si tu ne viens pour toi, viens par pitié pour lui !
Viens le sauver : dis-lui qu’il s’égare et s’oublie,
Qu’il ne peut être bon qu’à force de folie,
Et, pour tout dire enfin, remets-le dans tes fers

Ici, comme souvent chez Voltaire, la plume est une flèche.

On retrouvera une pointe acérée dans un petit texte de Voltaire au titre qui l’est déjà.

JUSQU’À QUEL POINT DOIT ON TROMPER LE PEUPLE ?

Dont l’introduction est :

C’est une très-grande question, mais peu agitée, de savoir jusqu’à quel degré le peuple, c’est-à-dire neuf parts du genre humain sur dix, doit être traité comme des singes. La partie trompante n’a jamais bien examiné ce problème délicat ; et de peur de se méprendre au calcul, elle a accumulé tout le plus de visions qu’elle a pu dans les têtes de la partie trompée.

Les honnêtes gens qui lisent quelquefois Virgile, ou les Lettres provinciales, ne savent pas qu’on tire vingt fois plus d’exemplaires de l’Almanach de Liège et du Courrier boiteux que de tous les bons livres anciens et modernes.

Personne assurément n’a une vénération plus sincère que moi pour les illustres auteurs de ces almanachs et pour leurs confrères.
Je sais que depuis le temps des anciens Chaldéens il y a des jours et des moments marqués pour prendre médecine, pour se couper les ongles, pour donner bataille, et pour fendre du bois.
Je sais que le plus fort revenu, par exemple, d’une illustre académie consiste dans la vente des almanachs de cette espèce.
Oserai-je, avec toute la soumission possible, et toute la défiance que j’ai de mon avis, demander quel mal il arriverait au genre humain si quelque puissant

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ongles quand on veut, pourvu que ce soit dans une bonne intention ?
Le peuple, me répondra-t-on, ne prendrait point des almanachs de ce nouveau venu.
J’ose présumer au contraire qu’il se trouverait parmi le peuple de grands génies qui se feraient un mérite de suivre cette nouveauté.
Si on me réplique que ces grands génies feraient des factions et allumeraient une guerre civile, je n’ai plus rien à dire, et j’abandonne pour le bien de la paix mon opinion hasardée.

On pourra tout de même apprécier la sagesse de Voltaire qui n’insiste pas plus d’une fois.
Conscient peut-être que convaincre est souvent une violence faite à l’autre, un abus de pouvoir, une manière de satelliser cette autre.