16 Octobre 1903 …

… La marche des midinettes (12 km) est confirmée, en son parcours et ses inscriptions, dans le quotidien le Monde Sportif.

Les midinettes de l’époques n’ont rien à voir avec celles que désignent – pour qui l’emploie encore – de nos jours cette expression.
Il s’agit ici des « honnêtes petites ouvrières parisiennes qui vont généralement à pied. » … « Travaillant loin de chez elles, mal payées, elles devaient se contenter de déjeuner sur le pouce, souvent sur le banc d’un square.« 

L’organisation sera vite débordée par les demandes d’inscriptions et organisera de façon plus ou moins improvisée des concours qui auront peu à voir avec l’épreuve physique et sportive. (concours de beauté par exemple) Le ton des journalistes qui ont annoncé ou suivi l’épreuve serait fort peu apprécié de nos jours, à raison, par la « gente féminine »

(citation)

En un jour, 42 Engagements « Et ce n’est pas fini », comme dit Plessis ! Aujourd’hui, des blondes, rien que des blondes, c’est le soleil qui les fit sortir à coup sûr pour se jouer dans leurs cheveux !

Suivi de la publication d’une lettre :

Une Lettre Nous avons reçu la lettre suivante que nous insérons avec plaisir. La forme originale dans laquelle elle est conçue valait mieux qu’une brève notice :

Monsieur, Je lis ce matin dans votre estimable journal que les brunes dominent jusqu’à présent dans la liste des engagements pour la Marche des Midinettes. 
Afin de rétablir le plus vite possible la balance en faveur des Blondes, je m’empresse de vous envoyer mon engagement, comptant bien arriver à la

(Pour lire la grille plus facilement, cliquer ici)

… aux plus foncées…


Le lendemain de l’épreuve l’article qui relate son déroulement, est lui aussi beaucoup moins concerné par le côté sportif de l’épreuve que sur sa spécificité féminine .

VICTOIRE DE M LLE CHEMINEL

J’ai assisté, au cours de ma carrière sportive, à bien des épreuves sensationnelles dont, dès longtemps, le succès avait été escompté par les organisateurs et consacré à l’avance par la foule.
J’ai donné bien des départs dans la cohue des concurrents et la fièvre des commissaires ; j’ai jugé des arrivées dans les poussées de la multitude dont les services d’ordre les mieux compris et les plus intelligemment combinés étaient impuissants à contenir les flots déchaînés. Jamais je n’ai assisté à un spectacle semblable à celui qu’a donné, hier, à Paris et au ruban de la route qui relie la place de la Concorde à la commune de Nanterre, notre Marche des Midi- nettes. Le promoteur de l’idée, notre excellent ami Breittmayer ; le jeune et déjà tout-puissant journal pour lequel je rédige en hâte ce bulletin de victoire, peuvent être, fiers des résultats obtenus, et de la magnifique apothéose de cette saison sportive 1903, au cours de laquelle tant de projets heureux ont été réalisés et tant d’entreprises, téméraires en apparence, menées à bonne fin.

Mlle Jeanne CHEMINEL Gagnante de la Marche des Midinettes. Ce résultat, on le devine, n’a pu être atteint que grâce au concours d’une infinités de dévouements, grâce à l’aide désintéressée d’un faisceau de bonnes volontés.

La gagnante ici disparait dès l’évocation de son nom, derrière la prouesse des … organisateurs !

A tous ceux qui, de près ou de loin, ont bien voulu, dans un esprit, de sportivité et de bonne camaraderie, nous donner le coup de main indispensable, j’adresse ici, au nom du Monde Sportif, l’expression de notre plus entière gratitude. Nous les adressons surtout, ces remerciements, à MM. Orsatti, commissaire divisionnaire; Murail. officier de paix du 1er arrondissement, et Lehls chef du cabinet de M. Touny : aux dix gardes à cheval qui, sans en avoir reçu l’ordre, ont pris l’heureuse initiative de précéder jusqu’au Rond-point de la Défense les masses profondes de nos concurrentes et ont ainsi évité certainement bien des accidents ; aux cinquante gardes à pied et aux trente agents qui ont assuré le service au départ ; aux gendarmes et aux pompiers de Rueil, qui se sont opposés, avec une énergie désespérée, à l’envahissement du contrôle d’arrivée.
Tous, des chefs au plus humble des agents, ont, été admirables de dévouement, et d’énergie. Qu’ils soient tous assurés de la reconnaissance que nous leur conservons. Et maintenant qu’un groupe de mécontents crie à la mauvaise organisation et essaie de jeter le discrédit sur l’entreprise colossale que nous avons menée à bien ; que des envieux, qui n’en sont plus à reculer devant une déloyauté et une félonie, tentent de mettre dans les roues de notre succès les bâtons de leur mauvaise foi — peu nous chaut ! Evidemment, quelques détails de l’organisation de notre Marche des Midinettes ont laissé à désirer ; il s’est produit quelques bousculades ; nous avons à déplorer quelques accidents — heureusement peu graves… Mais ces bousculades ne sont, en somme, que la résultante immédiate de notre triomphe, que nul ne pouvait prévoir aussi complet, aussi colossal, aussi inoubliable ! Allez donc essayer de contenir une multitude avide de voir, de voir quand même et à tout prix? Allez donc résister à l’irrésistible et victorieuse poussée d’un peuple entier qui se rue vers un spectacle alléchant et nouveau dont on lui a dit et dont il attend merveille? Aucun service d’ordre — à moins qu’on ne mobilise pour la circonstance un corps d’armée et la totalité des forces de police dont dispose la capitale — ne saurait avoir raison, d’un semblable enthousiasme, d’un pareil débordement de curiosité. Ceci dit, et après avoir constaté que jamais, même sur le passage des souverains amis et de troupes victorieuses, pareille multitude ne s’était précipitée, je passe aux détails du compte rendu; de cette journée de triomphe.

LE DEPART DES TUILERIES
Aux Tuileries A sept heures du matin, quand je franchis la grille des Tuileries, devant laquelle se promènent mélancoliquement deux agents et un quarteron de noctambules, une bise aigre et frisquette pleure dans les branches dépouillées des ormes. Le ciel pommelé, que consultent avec angoissa les premiers officiels arrivés, n’est pas des plus rassurants.
Cependant, un agent météorologue, qui, sans doute, a été souvent de service dans; les environs de la Tour Saint-Jacques, m’affirme qu’il ne pleuvra pas de la journée. Il fait trop froid.
Le ciel vous entende, brave agent ! Des menuisiers achèvent d’ajuster les tréteaux sur lesquels, tout à l’heure, seront distribués les brassards. Les crieurs du Monde Sportif annoncent Si pleins poumons le numéro spécial, dont, dans un quart d’heure, des milliers et des milliers d’exemplaires seront littéralement arrachés aux vendeurs.
La première Midinette arrivée au contrôle est la gracieuse Mme Jurandon , en jupe trotteuse et corsage vague. M. Jurandon, tambour-major des Touristes de Paris, et quelques clairons de la société se proposent d’accompagner .jusqu’à Nanterre la vaillante marcheuse.
Vers sept heures et demie, les premiers groupes de concurrentes viennent prendre livraison, de leurs brassards ; puis, peu à peu, l’immense jardin s’anime ; un bourdonnement de ruche emplit les allées historiques.
Les Midinettes passent la grille dorée sous le contrôle sévère d’un couple de commissaires.
Les Costumes La diversité des costumes est amusante et pittoresque au dernier point. 
Tous les genres et toutes les formes de coiffures, connus et inconnus, sont représentés, depuis le crâne petit polo, campé sur des cheveux d’or ou de nuit, jusqu’au chapeau de ville — parfaitement ! avec plumes et rubans — en passant par le béret pyrénéen, la toque cycliste, le casque de yachtsman et le chapeau marin. 

Un certain nombre de midinettes sont venues, crânement et sans façonen cheveux, avec la seule forme naturelle de leurs nattes et de leurs boucles soyeuses. Celles-là ne sont pas les moins aguichantes. Quant aux costumes, la variété en est infinie. Très rare la culote cycliste ; mais la trotteuse semble, en revanche, très en faveur. Elle donne aux alertes et souples Midinettes quelque chose de dégagé et d’allant qui leur sied à ravir. 
Gros succès pour une concurrente qui a jugé bon de se faire friser au tout petit fer, comme un caniche de femme du monde. Quelques midinettes ont, il me semble, un peu dépassé l’âge canonique.
Mais l’immense majorité sont charmantes, spirituellement troussées et tout à fait, gamin de Paris, dans le bon sens du mot. Gros succès pour les équipes vêtues de costumes semblables et représentant de grandes maisons de couture et de mode.
Voici le team de Lelong : toquet blanc orné d’un chou de mousseline bleue, les quatre concurrentes de la maison Cheminel (modes).; costume de flanelle blanche, écharpe bleu ciel, nœud bleu dans les cheveux.
Une des midinettes de l’équipe me fait remarquer qu’elle porte les couleurs du Monde Sportif. Merci, mademoiselle ! D’autres teams encore, celui de Rogale ; trois concurrentes coiffées d’un polo blanc et bleu, corsage de flanelle aux mêmes nuances.
Décidément le blanc et le bleu dominent. L’équipe de Raphaël Tuck, neuf marcheuses, porte une écharpe de ruban bleu -marine portant, en lettres d’or, le nom de la maison ; celle de Redken, fort jolie de ton, est vêtue d’un costume marin vert et bleu avec béret aux mêmes couleurs.
La maison Durocher arbore un béret agrémenté d’une large cocarde rouge, écharpe rouge. 
Et tout, cela pépie, s’interpelle, fredonne les refrains en vogue. C’est un mouvement, une joie, une féerie de couleurs et de jolis visages
L’Assistance Dans la foule, maintenant compacte, je note au passage une multitude, de visages connus. Tout ce que Paris compte de notabilités sportives, artistiques et mondaines a tenu à assister au départ des Midinettes.

Les midinettes seront davantage prises au sérieux lorsqu’elles se révolteront en 1917

Et cette lorsque cette marche se sera un peu libéré de cet esprit … (à vous de le qualifier) très parisien.

Comme ici en 1921