(traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat)
Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose. Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde dont sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ?
[Retour au présent du roman.]
Shevek Après avoir visité des usines, où il a envié les moyens mis à la disposition des chercheurs et des ingénieurs, visite une ancienne université. Il mesure alors la distance qu’il a franchi … et celle qu’il ne franchira pas.
Cette Maison des Aînés, lui avaient-ils dit, avait été construite en l’année 540, quatre cents ans auparavant, deux cent trente ans avant le Peuplement d’Anarres. Pendant des générations, des universitaires avaient vécu, travaillé, parlé, pensé, dormi et étaient morts dans cette pièce avant même qu’Odo fût née. Les Harmonies Numériques avaient résonné sur la pelouse, entre les feuilles sombres du bois, durant des siècles. Je suis restée ici pendant longtemps, dit la pièce à Shevek, et j’y suis encore. Que fais-tu ici ?
Il n’avait pas de réponse. Il n’avait aucun droit à la beauté et à la générosité de ce monde, possédé et entretenu par le travail, la dévotion, la foi de son peuple. Le Paradis est pour ceux qui font le Paradis. Il n’était pas des leurs. Il était un pionnier, appartenant à une race qui avait renié son passé, son histoire. Les Colons d’Anarres avaient tourné le dos à l’ancien monde et à son passé, n’avaient choisi que le futur. Mais aussi sûrement que le futur devient le passé, le passé devient le futur. Le reniement n’est pas l’accomplissement. Les Odoniens qui avaient quitté Urras s’étaient trompés, dans leur courage désespéré, en reniant leur histoire, en renonçant à la possibilité du retour. L’explorateur qui ne revient pas ou ne renvoie pas ses
Il en arrivait à aimer Urras, mais à quoi bon cet amour plein de regret ? Il n’en faisait pas partie. Pas plus qu’il ne faisait partie du monde de son enfance.
La solitude, la certitude de l’isolement qu’il avait ressentie durant ses premières heures à bord de L’Attentif, s’élevait en lui et s’affirmait comme sa véritable condition, ignorée, réprimée, mais absolue.
Il était seul, ici parce qu’il venait d’une société qui s’était exilée elle-même. Et il avait toujours été seul sur son propre monde parce qu’il s’était exilé lui-même de cette société. Les Colons avaient fait un pas en avant. Lui en avait fait deux. Il était solitaire parce qu’il avait pris le risque métaphysique.
Et il avait été assez stupide pour penser que cela pourrait servir à rapprocher deux mondes auxquels il n’appartenait pas.
[Note] Il est peut-être temps d’évoquer une proximité sonore qui donne à Shevek un peu du brave soldat Chvéïk. Hors ces moments d’interrogation « métaphysique », notre héro est tout aussi seul, anarchiste (de façon plus consciente) et hors monde que ce personnage de Jaroslav Hašek.
Était-ce voulu de la part d’Ursula ?
Merci de ce lien (j’aime les liens) avec un brave soldat connu, découvert encore petite juste avant un voyage à l’est. Les Ursula étant des sacrées nanas, nul doute que celle-ci connaissait c’ui-là.
🙂
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Elle a joliment raison lorsqu’elle écrit -mine de rien- la différence entre les explorateurs et les aventuriers.
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