La poésie d’André Dhôtel dans la nouvelle « INTERMÈDE » (NRF 1 mai 1942) -(03)

(Le texte d’origine est n’est pas un poème et n’est pas en vers.
Le découpage que j’ai choisi est relatif à ce que je perçois du souffle de l’écrit)


Puis des poules vinrent visiter un tas de crottin
Le téléphone sonna dans le bureau des messageries
Au loin
une femme ramassait de l’herbe au bord d’un chemin
Elle se redressa
et sembla faire un signe difficile à interpréter
vers une forêt de l’horizon.
Des fragments de la forêt étaient déjà
magnifiquement jaunes.

Barnaud attendit quelques instants
pendant lesquels il sentit
que tout devenait criminel autour de lui
dans les guérets
dans les betteraves,
au ciel
et partout au fond de ce maudit désert champenois

La poésie d’André Dhôtel dans la nouvelle « INTERMÈDE » (NRF 1 mai 1942) -(01)

(Jean Barnaud vient de cambrioler une maison. Il en repart)

« Avant de s’éloigner,
il prit le temps de respirer l’air matinal.
Des herbes rares retenaient quelque rosée.
À deux cents pas entre les troncs,

il apercevait la route
et un fragment d’une vaste lande
où les troupeaux de moutons formaient des îles.
Jean Barnaud se félicita de sentir en lui

et dans les choses
une solitude vigoureuse »

30 Janvier 1945 …

… est la date de la mort du poète belge Albert Mockel …

Court extrait d’un poème (Mercure de France, 1 août 1899)

Des bouches en délice épuisent vers l’espace
un souffle errant de volupté ;
et la musique de l’extase
au loin de la terre a chanté.
Pas une nue en l’azur vide.
L’air est léger, subtil et diaphane ;
une aile perdue aux cieux, dérive
et plane.


il lui a dédié le poème qui suit

Rompre le silence…

Globe éphémère, bulle immobile
qu’une onde invisible simule !
Songe d’une âme translucide,
— ô fleur incolore et fragile
tu sertis d’un errant prestige ta parure
fugitive comme un sourire.
Irréelle corolle, qu’une ligne, d’aventure
a tracée
en joueuse de courbes, de clartés grêles,
aux caprices du jour ingénu comme elle
entrelacée,
voici que tout aérienne
ta tige, doucement qui s’incline, ondule,
et d’elle, en détours, le calice érige
sa limpidité de lumière.
Fuyant délice de tes contours
où s’éternise ma songerie !
Es-tu grandie, fleur hyaline, un jour
pâle, — ou parmi les roses des mensongers parterres
que visitent les yeux errants de la lune,
quand Lazuli, la fée écouteuse des brises
éparpille, voluptueuse, sa chevelure
et rit, et foule d’un pied léger les graminées,
et suscite en ses doigts de reine, sur le sol,
les bouquets de rosée que le matin dévore ?

Ame trop pure ! âme célestielle !
O simple forme, sans nulle vêture,
en ta seule ligne, Beauté!
Quand sous la haute clameur de l’azur,
le cri du sang, les ors menteurs
ou le retentissant abîme des flots virides,
— saphir, rubis, topaze et l’émeraude,
resplendissent de feux chanteurs les pierreries.

toi, par dédain du royaume exilée
où l’arc d’iris touche les cieux,
tu ériges du songe, en silence, la tige
incolore de l’Unité.

Mille images sur toi sont passées
que tu n’as jamais reconnues ;
comme sur une onde qui fuit et s’efface
elles glissaient, sur toi dessinées ;
mais c’est en vain qu’elles étaient venues
et nulle d’entre elles jamais, n’a vêtu
le mystère de ta pensée.

Pâle princesse des solitudes,
âme de volontaire exil…
— Oh splendeur de ta nudité
telle jaillie, éblouissante,
en sa translucide Beauté !

J’ai longtemps épié, muet, votre silence,

ô lèvres ! immobiles, lèvres de cristal,
et l’on dirait parfois que des flammes natales
une bouche invisible insinue un aveu.,

« Silence ! encor silence ;
la lumière est errante aux cieux. »

La brise est suspendue, pareille aux confidences
trop pures, que la lèvre arrête et qui hésitent…

« Oh douleur ! oh douleur de la haute Parole
qui frapperait la terre ébranlée à son choc,
et meurtrirait de joie surhumaine les hommes…
Hélas ! et puis mourir captive des échos
de monts en monts, répercutée, de flots en flots,
et disparue, égale au météore en feu
qui périt en jetant son cri de gloire à Dieu ! »

Non ! parle, parle, ô Silencieuse !
la lumière est errante aux cieux.
Et regarde ! la vie autour de toi mouvante
multiplie en reflets de flammes la couronne
dont brille la victorieuse aurore.

Car voici réginal soudain de pourpre et d’or
l’apparat que ton rêve en dédaigneux néglige ;
l’horizon éblouit d’impérieux prestiges
sa parure à ton geste immobile sertie,
et d’un penser désert toi-même suscitée,
souriante aux scintils épars en diaprures
qui vêtent ton léger fantôme d’harmonie,
ta lèvre taciturne au Verbe communie
sous la triomphale clarté.

Le 28 Janvier 1873 …

… est le jour de la naissance d’une grande romancière dont on sait moins qu’elle fut également poétesse.

Sa prose elle-même fut souvent considérée comme de la poésie.
Ici c’est André Maurois qui évoque cette caractéristique du style de Colette, à propos de son roman « La naissance du jour« 

Personne ne m’a mieux donné l’impression de faire corps avec la chose décrite. Elle la saisit et la pique dans sa phrase, comme ses pistaches dans le nougat, et ce qui est vrai de Colette femme l’est aussi de Colette écrivain. Les qualités de son style parlé, cette manière compacte et savoureuse sont ce qui frappe le plus dans son style écrit. 
La naissance du jour, sans doute, c’est un roman, c’est le roman de la femme qui se sent en ce point où le choix lui est offert entre la sérénité de la vieillesse et le dernier triomphe du l’amoureuse, mais c’est avant tout un poème, une suite de poèmes.
Si, parmi les femmes de notre temps, Mme de Noailles demeure le plus grand poète, Colette est le plus grand artiste en prose. Quelquefois sa phrase me fait penser à celle de Valéry par ce côté plein et serré du grain. Relisez la dernière phrase de La naissance du jour. Ne pourrait-elle être de Valéry ?

(J’en donne les trois dernières, elles me semblent indissociables)

Le bleu froid est entré dans ma chambre, traînant une très faible couleur carnée qui le trouble. Ruisselante, contractée, arrachée à la nuit, c’est l’aurore. La même heure demain me verra couper les premiers raisins de la vendange. Après-demain, devançant cette heure, je veux… Pas si vite, pas si vite !

Il n’a pas, en touchant le sol, abdiqué sa forme. Le temps lui a manqué pour se parfaire. Mais que je l’assiste seulement et le voici halliers, embruns, météores, livre sans bornes ouvert, grappe, navire, oasis…

(Pour lire la grille plus VITE, cliquer ici)

André Maurois est loin d’être le seul que le style particulier de Colette touche.
Dans la revue destinée aux enseignants « l’Ecole et la vie » (numéro de novembre 1928) on peut lire en conclusion d’un long article reprenant l’ensemble de l’œuvre (et de la vie) de Colette :

Ainsi son œuvre apparaît comme un vrai trésor de la langue française — au sens où l’on entendait autrefois ce mot — il semble, lorsqu’on lit tel conte ou tel roman de Mme Colette, que jamais personne avant elle n’a employé les mots dont elle joue, tant ils surgissent neufs et nuancés entre les pages.

(Fernand Angué)

Le 27 Janvier 1941 …

est née la poétesse Tirtsa* Atar …

… dont on a pu dire « … est un diamant noir qui hante la culture israélienne.« 

Elle mériterait une page plus conséquente, mais aujourd’hui plus encore que tous les hier qui le précède, le poids des mensonges de ceux qui ont le droit de parler rend mes bras, mes yeux et ma pensée, lourd(e)s.
Je ne déposerai donc ici que quelques vers de la poétesse

Même les livres dans la chambre, fermée et triste, le savaient –                          

Elle ne va pas bien, elle s’en va sans retour.

Les lys sauvages fleurissent encore au loin dans la vallée

Mais malgré tout, tout est fini.



* s’écrit aussi Tirza Atar

Un peu de son histoire

Le 26 Janvier 1855 …

a vu mourir le poète Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval

qui, dans un poème peu cité, a évoqué la mort de Paris et celle de Notre Dame

Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer

             … carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !

Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor ;
— Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !

((Pour lire la grille plus VITE, cliquer ici)

De Nerval on cite plus volontiers El desdichado, poème dans lequel certains voient la transcription exacte du thème astral de l’auteur (Luth Constellé, Tour Abolie, Soleil noir …)
Jean Richer a publié à ce propos un long article dans les Cahiers du Sud, qu’il a par la suite développé dans un essai (Gérard de Nerval. Expérience vécue et création ésotérique)

Ce texte est cité dans l’enquête du journal « Le Jour » comme l’un des poèmes contenant les plus beau vers français.
Choix faits par des écrivains célèbres, et dans le cas présent par le poète Jules Supervielle

« L’intransigeant » quant à lui, insistera davantage sur la folie de Nerval – auteur d’un poème incompréhensible – à propos d’un livre consacré au poète, par Henri Clouard et dont le titre évocateur était «  La Destinée tragique de Gérard de Nerval « 

extrait :

Dans sa lettre-préface à M. Aristide Marie, Henri Clouard déclare : « Le personnage issu de mon interprétation n’est pas du tout cette ombre rêveuse qui n’aurait agi que par lunatique fantaisie et mirage poétique… Il fut un fou authentique et malheureux qui s’est colleté désespérément avec la folie ».
Et tout le livre, bien documenté, d’une psychologie sûre, tend évidemment à nous montrer de plus près le mécanisme intellectuel et sentimental de Gérard. Gagnerait-on beaucoup à vouloir comprendre, dans ses intentions secrètes, le fameux sonnet El Desdichado… « Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé… » ? Non sans doute. La vie de Gérard est toute enclose dans ce chef-d’œuvre « surréaliste », et nul ne saura jamais y trouver la logique humaine.
M. Henri Clouard s’efforce en tous les cas de nous montrer un Gérard plus près de nos souffrances. Et puisque tel éftait son dessein, on peut dire qu’il, y réussit parfaitement.

Une autre biographie à feuilleter (source : Gallica):

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9762337v