28 Novembre 1757 …

… un peintre poète est né à l’Angleterre.

La peinture vieillissant moins vite que la littérature, de William Blake on retient surtout l’expression de ses pinceaux, …

(Il y a quelques années, Blake au petit palais)

… quant à sa poésie, à la fois trop classique pour notre époque dédiée au progrès sous toutes ses formes et à la modernité, seuls quelques touristes des voyages dans le passé en ont parcourus les vers.

En faire partie momentanément est la proposition que je te fais.
(Et tant qu’à le faire, lisons aussi la présentation qu’en a fait André Gide (qui ici prend le rôle de traducteur) dans « La Nouvelle Revue Française ».

Le Mariage du Ciel et de l’Enfer dont nous donnons ici la traduction complète, parut en 1790. C’est le plus significatif et le moins touffu des « livres prophétiques » du grand mystique anglais, à la fois peintre et poète (1757 à 1828).

J’ai conscience que cette œuvre étrange rebutera bien des lecteurs. En Angleterre elle demeura longtemps presque complètement ignorée ; bien rares sont, encore aujourd’hui, ceux qui la connaissent et l’admirent. Swinburne fut un des premiers à en signaler l’importance. Rien n’était plus aisé que d’y cueillir les quelques phrases pour l’amour desquelles je décidai de le traduire. Quelques attentifs sauront peut-être les découvrir sous l’abondante frondaison qui les protège.
— Mais pourquoi donner le livre en entier ?
— Parce que je n’aime pas les fleurs sans tige.

André Gide.

Rintrah rugit et secoue ses feux dans l’air épais ;
D’affamés nuages hésitent sur l’abîme.
Jadis débonnaire et par un périlleux sentier,
L’homme juste s’acheminait
Le long du vallon de la mort.
Où la ronce croissait on a planté des roses
Et sur la lande aride
Chante la mouche à miel.

Alors, le périlleux sentier fut bordé d’arbres,
Et une rivière, et une source
Coula sur chaque roche et tombeau ;
Et sur les os blanchis
Le limon rouge enfanta.

Jusqu’à ce que le méchant eût quitté les sentiers faciles
Pour cheminer dans les sentiers périlleux, et chasser
L’homme juste dans des régions arides.

À présent le serpent rusé chemine
En douce humilité,
Et l’homme juste s’impatiente dans les déserts
Où les lions rôdent.

Rintrah rugit et secoue ses feux dans l’air épais ;
D’affamés nuages hésitent sur l’abîme.

Puisqu’un nouveau ciel est commencé et qu’il y a maintenant trente-trois ans d’écoulés depuis son avènement : l’Éternel Enfer se ranime.

Et voici ! Swedenborg est cet ange qui se tient assis sur la tombe : ses écrits sont ces linges pliés.
C’est à présent la domination d’Édom et la rentrée d’Adam dans le Paradis — Voir Isaïe XXXIV et XXXV.
Sans contraires il n’est pas de progrès. Attraction et Répulsion, Raison et Énergie, Amour et Haine, sont nécessaires à l’existence de l’homme.

De ces contraires découlent ce que les religions appellent le Bien et le Mal.
Le Bien (disent-elles) est le passif qui se soumet à la Raison. Le Mal est l’actif qui prend source dans l’Énergie.
Bien est Ciel, Mal est Enfer.

La poésie de Blake est d’un accès difficile, non pas tant du fait du style du poète mais des références qu’il suppose connues chez le lecteur, les écrits de la bible et des évangiles (à son époque ils étaient davantage pratiqués qu’à la notre) mais aussi des auteurs mystiques comme ici Swedenborg, notamment lorsqu’il est question du ciel et des enfers, ainsi que des « anges »

Pourtant, Blake est terriblement moderne quant au-delà de ces références dont il combat certaines affirmation, il donne par exemple ici sa conception de la relation entre matière et esprit.

LA VOIX DU DIABLE

Toutes les Bibles, ou codes sacrés, ont été cause des erreurs suivantes :
1° Que l’homme a deux réels principes existants, à savoir : un corps et une âme.
2° Que l’Énergie, appelée le Mal, ne procède que du corps, et que la Raison appelée Bien ne procède que de l’âme.
3° Que Dieu torturera l’homme durant l’Éternité pour avoir suivi ses énergies.

Mais contraires à celles-ci, les choses suivantes sont vraies :
1° L’homme n’a pas un corps

l’âme dans cette période de vie.
2° L’énergie est la seule vie ; elle procède du corps, et la Raison est la borne de l’encerclement de l’Énergie.
3° L’énergie est l’éternel délice.

(Pour lire la grille plus facilement, cliquer ici)

Proposé à l’Agrégation d’Anglais en 1933 : (à traduire … )

Vie de William Blake Ce fut une existence étrange que celle de William Blake. Non point, certes, sa vie matérielle qui, sans incidents, sans aventures, fut consacrée tout entière au travail modeste, parmi des gens simples, dans la condition la plus humble. Mais, en même temps qu’il exerçait avec application l’art du graveur dans une chambre triste, cet homme vivait, sur un second plan où les êtres les plus extraordinaires le rencontraient et s’entretenaient avec lui.

William Blake est né à Londres le 28 novembre 1757. Il y est mort le 12 août 1827. Le même homme a contemplé les visages de Moïse, de Dante et. d’Isaïe. Il a causé familièrement avec Milton. Et c’est là le caractère le plus surprenant de cette existence double qui arrachait souvent l’artiste à sa vie grise et monotone pour lui montrer les visions grandioses dont il essaya d’exprimer dans ses poèmes, ses livres prophétiques, Ses gravures et ses tableaux, la troublante et énigmatique beauté.

Il vint au monde dans une famille extrêmement simple. Son père tenait boutique de bonneterie pauvrement achalandée dans Broad Street, Carnaby Market, près de Golden Square. C’était un homme, assez effacé, peu instruit. Il ne s’occupait guère de ses enfants. Le premier fils, John, fut soldat. Après lui vint au monde notre poète qui reçut le nom de William. Deux autres fils le suivirent dont l’un, James, visionnaire aussi, mais qu’il aima peu et l’autre Robert qui parait avoir eu avec William le plus d affinités spirituelles ; enfin, une sœur qui passe inaperçue.

C’est entre sa douzième et sa vingtième année qu’il composa les poèmes réunis et édités par lui en 1783 sous le titre de « Poetical Sketches ». Ce recueil contient plusieurs chansons, légères, musicales, ensoleillées., bondissantes de jeunesse. Elles enchantent par l’élégance alerte et spontanée du rythme, la fraîcheur des images et des sentiments. La poésie fut le premier mode d’expression que Blake trouva pour traduire le besoin de création artistique qui s’imposait à lui. Chanson d’Ariel sans apprêts, mais d’une ingéniosité toujours renouvelée.