24 Novembre1772 …

… est la date de décès du premier Guadeloupéen élu à un siège de l’Académie Française, siège de Jacques Delille, poète comme lui.

Vincent Campenon se fera connaître, et reconnaître, du « grand public » (des amateurs de littérature) par l’un de ses deux grands poèmes (écrits au retour de sa mise en sécurité d’une France devenue dangereuse pour un admirateur de la reine Marie-Antoinette.)
Ce poème a pour source une des paraboles des évangiles chrétiens : « L’enfant prodigue« . L’auteur nous en donne le ressort et les raisons qui ne peuvent manquer de toucher les coeurs, en même temps que ce qui la distingue, selon lui, des pensées pré-chrétiennes.

« Combien cette tendresse indulgente du père de famille, pour un fils puni par ses fautes mêmes, est d’une morale plus vraie, plus salutaire et plus touchante que cette inflexible sévérité, érigée en vertu par presque toutes les écoles de l’ancienne philosophie »

La présence de ce « presque » rend cette déclaration … presque acceptable.

Un passage d’une critique concernant l’œuvre, publiée dans « L’esprit des journaux François et étrangers » ajoute la réflexion qui suit, de nos jours encore très pertinente.

« Il n’est que trop vrai que les hommes, dont la morale est la plus sévère, ne sont pas ceux qui se soumettent le plus exactement à ses lois.
Il n’est que trop vrai que ceux qui ont le plus besoin d’indulgence pour leurs propres faiblesses, sont ceux qui en ont le moins pour les faiblesses des autres.
Défions-nous des hypocrites qui exagèrent et surfont le prix de la vertu ; fuyons les fanatiques qui la font cruelle et inexorable, comme eux, en fermant toute issue au repentir.
« 

Campenon évoque ceux qui l’ont précédé sur le chemin de cette adaptation et mentionne notamment la pièce de Voltaire, achevant son invocation par une critique assez sévère de l’oeuvre.

Voltaire, doué d’un talent si rare pour saisir et lancer lui-même le ridicule, n’a point eu le secret de l’enfermer dans le caractère d’un personnage imaginé, et de l’en faire sortir par la contrainte de la situation. Ses personnages comiques sont de tristes bouffons qui s’efforcent vainement de nous divertir, ou plus rarement de bons plaisans d’une espèce invraisemblable, qui tournent contre eux-mêmes leurs plus piquantes railleries.

Conscient de cette impertinence concernant la valeur de Voltaire en regard de la sienne, l’auteur compense sa remarque, avec pertinence quant à la proximité de la citation, par l’évocation admirative de vers de Voltaire, dans lesquels il est également question de pardon.

Lorsque la vérité m’a forcé de dire par quelle étrange violation de la plus simple loi du goût, Voltaire a réuni dans un même cadre des caricatures grimaçantes à des figures nobles et pures, ne me sera-t-il point permis de venger ce grand poète du tort que lui-même lui-même a fait à sa gloire, en citant quelques vers de la scène éternellement attendrissante où le jeune Euphémon obtient son pardon de l’amour que ses désordres ont tant outragé ?
Rappeler des vers si remplis de flamme et d’entraînement et auprès desquels tous les autres pourraient sembler froids et inanimés, c’est m’exposer peut-être à expier sévèrement la témérité que j’ai eue de blâmer Voltaire, et de vouloir ensuite lui rendre hommage.

Grand Dieu! qu’il est changé!
Oui, dit-il, en s’adressant à Lise,
Oui, je le suis; votre cœur est vengé;
Oui, vous devez en tout me méconnaître.
Je ne suis plus ce furieux, ce traître,
Si détesté, si craint dans ce séjour,
Qui fit rougir la nature et l’amour.
Jeune, égaré, j’avais tous les caprices;
De mes amis j’avais pris tous les vices;
Et le plus grand, qui ne peut s’effacer,
Le plus affreux fut de vous offenser.
J’ai reconnu, j’en jure par vous-même,
Par la vertu que j’ai fui, mais que j’aime,
J’ai reconnu ma détestable erreur;
Le vice était étranger dans mon cœur.
Ce cœur n’a plus les taches criminelles
Dont il couvrit ses clartés naturelles;
Mon feu pour vous, ce feu pur et sacré,
Y reste seul : il a tout épuré.
C’est cet amour, c’est lui qui me ramène,
Non pour briser votre nouvelle chaîne,
Non
pour oser traverser vos destins :
Un malheureux n’a pas de tels desseins.
Mais quand les maux où mon esprit succombe
Dans mes beaux jours avaient creusé ma tombe,
A peine encore échappé du trépas,
Je suis venu; l’amour guidait mes pas.
Oui, je vous cherche à mon heure dernière,
Heureux cent fois, en quittant la lumière
Si, destiné pour être votre époux,
Je meurs du moins sans être haï de vous.
(…)
Vous, Euphémon! vous m’aimeriez encore!

-Si je vous aime! hélas! Je n’ai vécu
Que par l’amour qui seul m’a soutenu.

Si Voltaire erre quelque part, assurément il a pardonné à Vincent Campenon …

Rappelons, avec l’auteur, le contexte du poème

L’Enfant prodigue était le plus jeune des deux fils de Ruben, riche habitant du pays de Gessen.
…Un fils ingrat, fugitif, débauché et repentant; une mère idolâtre de ce fils, prête à mourir de douleur quand elle est abandonnée par lui, prête à mourir de joie quand elle le revoit, après une longue et criminelle absence; un père, véritable israélite, juste, sévère et résigné à la volonté de Dieu qu’il aime et craint par-dessus tout; un frère né violent, aigri de plus par l’aveugle prédilection dont son jeune frère est l’objet : tous opposés de caractère, divisés d’affections et réunis enfin par le sentiment du repentir ou de l’indulgence; voilà les principaux personnages de mon poème, en voilà presque toute l’action.

Allons de suite à la conclusion de ces trois parties, l’histoire elle-même étant connue, nous nous attachons ici à l’expression du poème à travers sa chute.

Viens! une épouse y va suivre tes pas;
De tes erreurs elle a gémi tout bas,
Mais dans ses yeux tu peux lire ta grâce.
Pharan lui-même, à tes transports joyeux
N’oppose plus un dépit envieux.
De tes amours la légitime ivresse
Va de Ruben ranimer la vieillesse…

…Sur tous ses traits le bonheur se déploie,
Et le ciel même eût envié sa joie.

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Ce long poème eut un réel succès et ouvrit la voie à son auteur vers l’Académie Française, malgré une opposition à cet accès qui s’est exprimée jusque dans la rue sous la forme d’un pamphlet

… Non !

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