9 Octobre 1968

… ce jour voit le décès d’un homme de lettres qui a dirigé la NRF et protégé un grand nombre d’artistes (écrivains, peintres) en lesquels il avait foi, mais dont l’œuvre n’avait pas encore la place qu’il lui savait méritée : Jean Paulhan.
Parmi les auteurs qui ont bénéficié de l’aide de Jean Paulhan figure André Dhôtel dont il a été l’ami fidèle.

Dans la revue que Jean Paulhan avait fondée : Les lettres Françaises (« Front National des Ecrivains de France »), tout naturellement on trouvera une critique élogieuse du second roman d’André Dhôtel « Les rues dans l’aurore« . Roman qui possède toutes les caractéristiques propres aux oeuvres de l’auteur qui font que les uns l’affectionnent particulièrement, et d’autres jugent ses livres sans véritable histoire, confus et insipides.

(Extraits)

S’il est un livre qu’il faut recommander aux amateurs de vrais romans* d’aventures — et par aventures on doit entendre ici le déroulement des mille anecdotes banales et uniques dont est faite la vie de tous les jours — c’est bien le roman d’André Dhotel, »Les Rues dans l’aurore » qui est un ouvrage dont l’audience ira sans cesse croissant.
Cette sorte de livres n’a nullement besoin de recommandations officielles; chacun de ses lecteurs le conseillera, j’en suis sûr, à ses proches et les « Aventures de Georges Laban » — c’est le sous-titre du volume — risquent d’être bientôt populaires. Car ce sont bel et bien des aventures, déconcertantes, inattendues et contées avec une souriante douceur, sur un ton de confidence attendri et matois, que ces Rues dans l’aurore nous rapportent et qui ne demandent qu’à être connues de tous.

Je présume qu’André Dhotel portait en lui ce livre depuis le temps, déjà lointain, où il nous donnait son premier livre, Campements.
Les Rues dans l’aurore s’échelonnent sur toute une vie et si les souvenirs de jeunesse y tiennent une grande part, toutes les expériences de la maturité y sont également utilisées. Un auteur ne réussit qu’une fois un livre et il serait très beau si André Dhotel nous en donnait encore un de cette qualité. Ce que nous ne pouvons que lui souhaiter.

C est à Verziers, une petite ville perdue quelque part dans l’Est, avec une grande forêt où se déroulent maintes péripéties, un quartier ouvrier comme on n’en voit plus, si ce n’est dans les films où l’on évoque le charme un peu vieillot de la province, que vit la famille Laban.
Les Laban ont un fils qui, tout jeune, est un mélange de bon petit diable et d’enfant terrible; c’est un mauvais caractère, un garçon orgueilleux dont de continuelles humiliations ne feront que rendre plus implacable la ténacité. On ne pourra jamais rien faire de bon de lui; il est insociable; il amasse sur lui-même les pires mécomptes. On le redoutera car il se complaît dans les mensonges. Il causera ainsi maintes perturbations dans la petite ville et dans le quartier ouvrier où il fait finalement figure d’agitateur, bien qu’il s’en défende : car Laban

(Pour lire plus facilement la grille cliquer ici)

… dont les épisodes, aussi variés et compliqués qu’ils soient, ne serviraient qu’à nous dépeindre là triste vie d’un raté si nous ce soupçonnions, dissimulée sous chaque page, la présence d’un élément mystérieux qui donne au roman une substance chaude et pathétique.
C’est ce mystère, dont André Dhotel ,a dosé très heureusement la participation à la vie de Georges Laban, qui donne tout son prix à ce livre et qui en illumine les passages les plus sombres. Les anecdotes sans relief de cette carrière manquée constituent les « Aventures mystérieuses de Georges Laban ».

A Verziers, des hommes d’affaires se disputent avec une âpreté qu’un demi-siècle de calculs et d’attentes ne désarme pas les terrains du quartier ouvrier où vit une population fort sympathique.
C’est la première trame du roman et elle excite fort notre intérêt. Tout au long du livre, ces affaires seront disputées entre les principaux personnages de l’histoire et Laban sera mêlé à cette rivalité.
Il y sera doublement mêlé, puisqu’il est amoureux d’une jeune fille, la gracieuse et énigmatique Anne-Marie, qui est l’enfant naturelle de l’un des partenaires du récit. Et le visage d’Anne-Marie, dont on ignore presque jusqu’à la fin quel a été le destin, accompagnera Laban tout au long de ses aventures. Ce sera la deuxième trame du livre, une trame plus fine, brillante comme le givre de la forêt enchantée de Verziers et qui se, mêle très habilement à la première. Enfin une autre trame sur laquelle sont inscrites les silhouettes du pittoresque Grovey, le camarade d’enfance, de Léon, le domestique irascible, du père d’Anne-Marie et surtout d’Antoine, le simple d’esprit, se superpose aux précédentes. Le livre se déroule donc sur plusieurs plans qui s’enchevêtrent avec un art achevé et font sans cesse rebondir l’intérêt de l’histoire.
J’ajouterai que ce livre, (qu’appréciera le très vaste public des calmes romans-fleuves que nous donnait, avant guerre, la littérature anglo-américaine — mais qui ne leur doit rien — ) nous procure une …

(Pour lire plus facilement la grille, cliquer ici)

… de la petite ville qui se transforme insensiblement, comme celle des personnages que l’on voit vieillir de page en page.
Et mêlées à ce récit qu’André Dhotel a écrit avec amour, avec une gentillesse qui lui fait excuser tous ses amis, même lorsqu’ils ne se conduisent pas très bien, il y a de très belles descriptions de la forêt dans laquelle le lecteur ne se perd jamais et qui constituent le plus souriant des décors dont puisse rêver le héros d’un roman d’aventures.


Citation de Jean Paulhan à propos d’André Dhotel :

On dirait un chantier ouvert au soleil levant, avec ses pierres encore brillantes de rosée.