13 Novembre 1946 …

… le journal « Les Lettres françaises » (Front national des écrivains de France), dirigé par Jean Paulhan donne le texte d’un discours, qui peut avoir de profond échos à l’époque actuelle.

C’est la comédienne et actrice Katharine Hepburn qui, quelques années avant la chasse aux sorcières de McCarthy, exprima sa crainte et son indignation à l’encontre de ce qu’elle sentait monter autour d’elle de réaction et d’oppression.

(cité en extrait au-dessus de l’article)

Dans l’Amérique d’aujourd’hui l’assaut contre le progrès est déclenché sur tous les fronts. Pendant qu’on

(Pour lire la grille plus facilement cliquer ici)

…qui voudraient nous entraîner à la guerre.

Katharine Hepburn évoque notamment les journalistes mis à l’écart parce que le contenu de leur travail se trouvait en désaccord avec les versions officielles ou les directions souhaitées par les pouvoirs en place (politiques et économiques)
Il semble que la leçon ait été apprise par la majorité des journalistes de l’époque actuelle, lorsqu’on constate que le geste indispensable, face à toute déclaration conforme est quasiment uniformément pratiqué. Geste qui consiste à (tel ces chiens que l’on trouvait autrefois sur les plages arrière des véhicules) balancer la tête de haut en bas en signe d’assentiment, comme unique réaction.


Je veux vous entretenir de l’assaut contre la culture. Je n’en parle pas parce que je travaille dans le domaine culturel, mais parce que je suis Américaine, et qu’en tant qu’Américaine je m’opposerai toujours à toute tentative de restriction de la liberté.

L’assaut contre le savant, contre le représentant d’une minorité, contre l’artiste, c’est toujours le même assaut, mais camouflé, afin de semer la confusion, de provoquer la désunion et la défaite.

Nous autres, écrivains, comédiens, savants, éducateurs, avons été choisis comme premier objectif par les Rankin, les Tenney et consorts. Il y a une bonne raison pour cela. Depuis le commencement de l’histoire, l’artiste a toujours exprimé les aspirations et les rêves du peuple. Imposez le silence à l’artiste, et vous aurez privé le peuple de son meilleur porte-parole.
Détruisez la culture, et vous aurez détruit une des plus puissantes sources d’inspiration où le peuple vient puiser des forces afin de lutter pour une vie meilleure.

Il va de soi que l’assaut est déclenché sur tous les fronts. Pendant qu’on calomnie l’écrivain et l’éducateur, le mécanicien est privé du droit, chèrement acquis, de s’organiser et de revendiquer, et l’employé se voit imposer un niveau de vie plus bas par le biais de l’inflation et du chômage grandissant.

Tel est le plan de ceux qui voudraient nous dissocier et nous entraîner sur le chemin de la guerre. Voyons donc comment ils s’y prennent dans le domaine culturel. Je ne citerai que quelques exemples qui, à mon avis, constituent un acte d’accusation. Vous pourrez en tirer Vos propres; conclusions.

D’abord, la radio; Vous; connaissez tous Norman Corwin. L’an dernier, la Fondation Wendell Wilkie, lui avait décerné son prix. Mais il y a, dans ce pays, des hommes qui considèrent qu’il est subversif de croire que le monde est un. Le Comité des activités non-américaines s’est fait communiquer le texte des émissions de Norman Corwin dans le but évident de réduire au silence par la peur une forte voix libérale.

La radio, encore. William L. Shirer et Frank Kingdon, ont été attaqués par le même Comité, et — c’est là ce qui compte — leurs contrats n’ont pas été renouvelés. Auraient-ils commis le péché de réfléchir et de parler d’une façon non agréée par les tenants de la pensée contrôlée ?

La radio, toujours. A Los Angeles, un speaker commercial qui avait fait des enregistrements pour des organisations ouvrières, a été averti par la direction du poste qua sa voix devenue identifiable, il perdrait toute valeur pour son employeur, et, par conséquent, perdrait son emploi. Et pourtant, les enregistrements, il les avait faits d’une façon anonyme.

Je passe au théâtre. Le texte d’un drame célèbre a fait l’objet d’une enquête du Comité Thomas-Rankin. Pourquoi ?
Ce drame traitait de la question noire dans les Etats du Sud. Son titre ? « La, Profondeur des racines ». Allez donc étudier des problèmes réels, intéressant le peuple, et vous serez récompensé d’une enquête.
 Dans deux villes américaines : à Peoria, dans l’Illinois, et en Albany, dans l’Etat de New-York, Paul Robeson, citoyen américain, s’est vu refusé le droit de prendre la parole à des réunions publiques. Grand artiste, porte-parole qualifié des noirs, M. Robeson était une victime toute indiquée pour ceux qui veulent ignorer le sens de La Déclaration des Droits. Il parlait de paix et s’efforçait de mettre son art au service du bien général. Aussi l’a-t-on privé du droit de parole.

La littérature, elle non plus, n’a pas été oubliée. Beaucoup d’entre vous ont dû lire «Le Citoyen Tom Paine», par Howard Fast. Ce livre a été interdit dans les lycées de New-York et de Detroit. Il offre une conception dynamique de la démocratie, chose que certaines gens semblent trouver hautement indésirable.

L’interdiction de ce roman touche de près le domaine de l’enseignement, où les mêmes personnes déploient une grande activité.
Je mentionnerai le sénateur Tenney qui, naguère, a attaqué des dizaines de professeurs, depuis Dykstra, recteur de l’Université de Californie, à Los Angeles, jusqu’aux étudiants ayant sympathisé avec les grévistes de l’industrie cinématographique. M. Tenney vient de déposer, sur le bureau du Sénat californien, onze projets de lois qui, s’ils étaient votés, feraient régresser l’enseignement d’un demi-siècle. Des hommes ont appris que la main qui pousse le berceau bouleverse le monde. Ils sont bien décidés à contrôler les pensées de chacun, du berceau à la tombe. Et le contrôle de la pensée a pour synonyme : l’ignorance des masses.

Les exemples, hélas, abondent ; je n’en citerai qu’un encore. Il y a deux ans, le Département d’Etat acheta soixante-dix-neuf toiles représentatives d’artistes américains. Ces tableaux furent expédiés à travers le monde pour y faire connaître la culture et l’art de notre pays. Puis, subitement, ils furent renvoyés aux Etats-Unis pour y être vendus aux enchères. L’explication ? Le Département d’Etat a déclaré : « Nous levons fait dans l’intérêt du Département, en raison des controverses suscitées par cette manifestation. » Et la presse de Hearst a parlé «de portraits dégénérés peints par des artistes de gauche». Vous vous souvenez, sans doute, qu’en Allemagne hitlérienne, toutes les œuvres d’art qui déplaisaient aux autorités .. étaient baptisées décadentes et d’inspiration bolcheviste !

J’ai mentionné plus d’une fois le Comité des activités non-américaines. En vérité, si ce Comité se souciait réellement de menées non-américaines, il n’aurait qu’à laver son linge sale. On ne saurait trouver d’exemple plus flagrant de non-américanisme que celui fourni par le président de ce Comité lorsqu’il porte des accusations aussi basses que gratuites contre un homme dont le seul crime est d’avoir parlé en faveur de la paix : Henry Wallace.

Je suis loin d’avoir dressé un tableau complet de la situation. Dans ces Etats-Unis démocratiques, en l’an 1947, il se trouve de soi-disant fonctionnaires responsables du gouvernement pour prêcher l’interdiction de partis politiques minoritaires et pour passer outre aux conséquences destructrices de la liberté de leurs appels hystériques, Le président des Etats-Unis préconise un examen de loyauté comparable uniquement à la police idéologique de l’empire japonais à l’époque où ce pays s’engageait dans la voie fasciste vers la destruction et la guerre.


Dans une édition de l’Humanité qui évoque les suites de l’activité
des Comité des activités non-américaines
une petite leçon que PIF le chien ((il y a presque 80 ans) a fortuitement apprise.

… il faut parfois penser à remercier son ennemi.