18 Décembre 1907 …

… Il est des poètes passé dans l’ombre – ce lieu où (pour ce qui est de la poésie) la seule clarté est celle des amis – qui trouvent une nouvelle … compréhension de leurs œuvres, quelque temps après leur disparition (ce fut le cas de Baudelaire et de Rimbaud)

Il n’est pas impossible que Louis Guillaume soit un jour de ceux-là. Les raisons même de son oubli relatif sont celles qui voient son retour dans nombre de publication actuelles.
Ces raisons nous pouvons les trouver dans la présentation et appréciation d’un de ses premiers recueils (Piliers de l’oubli) par Léon Gabriel Gros, dans la revue Les Cahiers Du Sud.
Article sans concession qui évoque à la fois les qualités de cette production de Louis Guillaume et les imperfections, insistant sur le fait que le poète suit un chemin, une quête, qui ne sacrifie rien ni au conservatisme, ni à la modernité ambiante.

Louis Guillaume dont Coffret sous cendres et Occident comptent parmi les recueils les plus directement humains des deux dernières années s’affirme une fois de plus avec Piliers de l’oubli comme un des chercheurs de sa génération. Les connaisseurs professionnels souriront sans doute de ce terme car en dépit de son vocabulaire, nul ne répond moins que Louis Guillaume aux exigences du conformisme d’avant-garde.
Aussi bien n’a-t-il guère frayé avec les éditeurs de jeunes revues dont la luxueuse présentation typographique n’a d’égale que l’indigence spirituelle, ni fréquenté les cercles où s’élaborent les réputations, il n’a jamais perdu contact avec une certaine réalité populaire et provinciale et s’il a milité ce fût aux côtés de Luc Decaunes dans l’admirable revue de combat que furent les cahiers de Soutes dont les erreurs mêmes par leur générosité auront, sinon réveillé le public des travailleurs contaminé par les sous-produits d’une basse littérature bourgeoise, du moins incité quelques jeunes poètes à prendre conscience de leur devoir envers leurs contemporains.
Guillaume a ainsi échappé au narcissisme des surréalistes de deuxième zone, aux tentations d’une perfection toute formelle qui nous vaut une manière de Parnasse.
Entre ces deux dangers, dont les manifestations sont éclatantes dans la plupart des plaquettes ou revues actuelles, Guillaume s’est efforcé de suivre sa voie. Il aurait pu le faire comme tant d’autres en se lançant dans ces pédantes dissertations politico-philosophiques qui constituent l’itinéraire de fuite de tant de nos intellectuels, il a préféré remplir pleinement sa mission de poète qui est de servir l’homme en l’enchantant de la mélodie d’un cœur simple, en lui révélant les visions d’un monde qui peut être à tous, en l’empêchant perpétuellement de dormir, de s’illusionner sur la portée réelle d’une action soi-disant concrète.
Ces intentions nous valent une œuvre disparate au premier abord et qu’une critique purement littéraire pourrait aisément condamner. Il ne faut pas, en effet, demander pour l’instant une perfection absolue à un poète comme Louis Guillaume gêné par une matière trop riche qu’il ne possède pas encore pleine ment. Son esthétique est une esthétique de l’approche qui a toutes les hésitations d’une prise de contact. Libre à chacun de lui préférer ces horticulteurs de terres depuis longtemps conquises et à qui un peu d’habileté renforcée de quelques lectures suffit pour forcer des fleurs éclatantes parfois, mais aussi sans parfum.
Pour ma part, je tiens à signaler le lyrisme ravagé de Guillaume. Il occupe péniblement un terrain bouleversé, ingrat, jonché de scories et par endroits des épaves de la pire poésie. On mesure à le parcourir toute la différence qu’il y a entre une serre et un champ de bataille. La zone où progresse Guillaume d’informes débris l’encombrent encore depuis les cuivres cabossés de la fanfare romantique jusqu’aux cuisines roulantes du surréalisme en passant par les cuirasses de parade parnassiennes.
Le merveilleux est précisément que Louis Guillaume ne se soit pas spécialisé dans un genre. Nul n’est moins monocorde que lui, moins mesquinement original. Si l’on petit discerner une unité en son œuvre, elle n’est point extérieure, mais se dégage de sa mentalité de Celte.
 
Il suffit que tu avances
Sur le seuil de la falaise.
Pour qu’un oiseau de neige
Incline sa balance.
Guillaume ne se place pas d’emblée dans un climat déjà poétique, ne se donne pas les facilités qui consistent à traiter des thèmes dont il est convenu une fois pour toutes qu’ils sont ceux du lyrisme de haute volée, il aborde au contraire les réalités les plus quotidiennes et s’efforce d’en dégager le sens durable :
Bras du pain frais passé entre les grilles,
Carde du pot à lait et de la boîte aux lettres.
D’éléments aussi bassement coppéiens, de thèmes volontairement sordides, il extrait l’essence même de son inspiration :
Choses qui vous résignez à n’être que des choses,
Hommes qui n’avez pour amis que des hommes,
Toute la misère nage dans l’automne
Et sur la berge nous restons
Riches du souvenir des arbres.
Les images même qui entraînent une évasion sont éminemment concrètes :
Toi, ta laisses la vie à ceux qui restent,
Mère de ma mère,
Sous cette grisaille, tu reposes,
Tu t’enfonces
Comme un trépied froid dans la cendre.
Guillaume est aussi capable de s’exalter sur un « Déménagement » que de nous conter l’étonnante aventure de « La race bleue » ou de « Soumise », la ville souterraine où « les murs sont remplacés par des paumes de jeunes filles » :
Un troupeau de chevreaux
Avance sur la pointe des pieds.
Un tissu de clochettes
S’interpose entre la fleur et l’âme.
Je ne prétends pas que Louis Guillaume soit le meilleur de nos jeunes poètes. Je l’estime précisément parce qu’il a le courage de ne pas prétendre aux premières places dans l’ordre littéraire, parce qu’il préfère s’attaquer, comme l’on dit vulgairement, à un morceau difficile, le réel même en toute sa complexité, son étrangeté au sens fort du mot, plutôt que d’ouvrir les écluses d’une féerie intérieure qui se traduirait par une construction verbale plus capable sans doute de séduire les tenants de la poésie dite pure que sa démarche à lui maladroite, impossible mais engluée de la glaise originelle.

Ce que tente Guillaume peut-être par atavisme, c’est ce qu’ont tenté les lyriques irlandais, cette poétisation du monde qui n’a rien à voir avec les interprétations du monde extérieur aujourd’hui mental à quoi aboutissent les entreprises de toutes les écoles françaises.
Cette poésie est précisément celle qui s’adresse à un public non de connaisseurs, mais d’hommes de tous les jours. Elle propose moins une méthode de pensée logique ou de rêve que les données d’une expérience où le plus humble lecteur peut retrouver un souvenir de la sienne, en quelque sorte une clef du temps perdu.
Elle ne prétend pas au symbole, elle ne veut être qu’un objet-prétexte et du moment qu’elle obtient ce résultat, qu’elle ressuscite un moment vécu, il serait vain de la juger du point de vue d’une perfection formelle dont elle ne s’est à aucun instant souciée.

Au fil des années, en parallèle avec sa mission d’enseignant, puis de directeur de collège, Louis Guillaume affinera sa « façon ».
Un épisode particulier aura lieu quelques années après sa retraite (à 55 ans), « pendant cent quatre-vingt-sept matins de suite, au réveil (du début janvier à la fin du mois de juin), le poète transcrit dix-huit vers comme sortis d’une révélation de la nuit : journal d’une ténèbres intérieure d’où naissent les clartés essentielles. »

A défaut de pouvoir donner un des textes issu de cette « expérience » (recueil « Agenda« )
Un poème cité dans un ouvrage qui est consacré, par la à Louis Guillaume et dont le titre est « étrange forêt »

  LE DANSEUR VERT


       « The King of Terrors is the Prince of Peace. »
                     YOUNG.

Un danseur dans la fournaise
piétine les feuilles mortes.
La patine de son corps
ruisselle du sang des jours.
Dans les cours des grandes villes
dans l’or des puits de campagne
les insectes se souviennent
de son multiple visage.
Un orgue de Barbarie
songe aux quartiers de l’enfance.
La chanson la plus lointaine
est froide comme la lune.



Est-ce vous guetteurs des ruines
embrassant de vos racines
les éboulements secrets
qui continuez la ronde
sur les remparts des nuages?
Danse mâle aux reins galbés
des crépuscules de fièvre
danse des copeaux de feu
cernant les ferreurs de roues
à l’horizon calciné
l’orage s’accroche aux croix
et ce cuivre dans le ciel
sonne la joie des cuisines
chante à l’orient pourri
les bûchers au bord des fleuves.



Tête tranchée vive à Vêlai
piquée de mouches bleues
un colchique au fond des prunelles
Rapace duveté de flamme
cloué à l’orée du village
des bris de lune dans les yeux
Crucifix d’épine et de rouille
l’amour aux vivants proposé
nourrit l’ortie des cimetières.



Danseur Vert tu prends ma main
tu me conduis au destin
qui ressemble à ce que j’aime.

Danseur Vert ta main se ferme
comme celle de mon père
à jamais crispée sur le drap.

Danseur Vert tu tends un lotus
partout sur le ventre des morts
ta cloche tinte



Les volets filtrent ce visage
modelé de lumière accrochée aux pavés
de lueurs au niveau des tuiles
les volets de la nuit qui laissent passer l’heure
laissent venir le visiteur.

Du pied des meubles sans défense
au plafond qui soudain s’entrouvre
il déploie sa peur obscure
il se casse à l’angle des rêves.

Et sa main qui se détache
telle une feuille d’hiver
sur tous les chemins de terre
devient danseuse elle-même.



Aux confins de la forêt
sentant qu’il va rencontrer
celui qui le recherchait
l’évadé s’arrête et pleure.

Il devine sa ferveur
il connaît déjà son nom
qu’il prononçait autrefois
en souriant aux ténèbres.

O miracle millénaire
sachez que cela sera
tant que danse et dansera
dans le sang le danseur vert



Parce que tu es là
c’est la joie que je trouve
parce que tu es là
l’ombre devient lumière.
Mourir n’est plus quitter la vie mais te quitter
vivre n’est plus courir mais t’attendre.
Tu es la

(Pour lire plus rapidement la grille, cliquer ici)

        …à se flétrir.
Ton doigt levé arrête le bal
ton regard suspend l’archet.
Grâce à toi je sais l’amertume
d’avoir été jeune sans te connaître
la douceur de vieillir en te suivant.
Mes gisants se lèvent mes pierres parlent
mes arbres morts bourgeonnent, grâce à toi.
Tout amour devant tant d’oubli
tu pries par ta seule présence
et sans faillir tu m’offres le bouquet fragile
de ta main qui retient la fraîcheur de la nuit
et la chaleur des jours qui ne sont que vécus.

Je puis partir parce que Tu es là.


Le livre est préfacé par la Psychanalyste Anne Clancier qui évoque une des sources d’inspiration de Louis Guillaume.

Il a passé son enfance à l’île de Brêhat, c’est dire que ses premiers regards ont été pour la mer, le ciel, les nuages , les rochers, mais aussi les prairies les plantes et les bois qui parsèment l’île.
(…/…)
 On peut dire qu’il s’est structuré autour des quatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu.
(…/…)
Il n’est pas de recueil de poème de Louis Guillaume qui ne consacre un texte ou un fragment de texte aux arbres. Le poète a dit lui-même que ses deux poles de son inspiration sont l’arbre et la mer


Ici, tu rencontreras un peu de poésie, de toutes sortes, ancienne (très ou peu), contemporaine (proche ou à peu proche)
mais aussi un lieu où tu ne pourras pas « bruler les mots » de ton regard (emprunt à Lucien Suel « La théorie des orages« ) il te faudra alors (#SlowReading) choisir …
prendre le temps de chercher ton chemin parmi les lettres enfermées dans la grille
– cliquer sur le lien qui te donne le chemin des lettres
– passer ton chemin