Le 23 Janvier 1930 …

… est né celui qui sera le premier poète « caribéen » prix Nobel de littérature Derek Walcott.

Totalement ignoré en France, il a fallu attendre cette récompense pour que soit édité son oeuvre majeure « Une autre vie » (seconde publication traduite en français)

Ce désintérêt du public français est peut-être responsable, si ce n’est de l’erreur elle-même, de l’absence de correction de celle qui se trouve dans l’article de wikipedia consacré à Derek Walcott.
(concernant sa mère notamment : version française , version anglaise)

On doit au poète une définition originale de la poésie :

 » La poésie est comme la sueur de la perfection, mais elle doit paraître aussi fraîche que les gouttes de pluie sur le front d’une statue; elle conjugue simultanément ces deux temps, le passé et le présent, le passé est la statue, le présent la rosée ou la pluie sur son front.
Il y a le langage enseveli et il y a le vocabulaire personnel: le travail de la poésie est un travail de fouilles et de découverte de soi.« 

Un poème de Derek Walcott intitulé ; La mer est l’Histoire suivi de la traduction de la poétesse Claire Malroux dans : Le royaume du fruit-étoile (éditions Circé, 1992).

Where are your monuments, your battles, martyrs?
Where is your tribal memory? Sirs,
in that gray vault. The sea. The sea
has locked them up. The sea is History.


First, there was the heaving oil,
heavy as chaos;
then, like a light at the end of a tunnel,


the lantern of a caravel,
and that was Genesis.
Then there were the packed cries,
the shit, the moaning:


Exodus.
Bone soldered by coral to bone,
mosaics
mantled by the benediction of the shark’s shadow,

that was the Ark of the Covenant.
Then came the plucked wires
of sunlight on the sea floor

the plangent harps of the Babylonian bondage,
as the white cowries clustered like manacles
on the drowned women,

and those were the ivory bracelets
of the Song of Solomon,
but the ocean kept turning blank pages,


looking for History.
Then came the men with eyes heavy as anchors,
who sank without tombs,


brigands who barbecued cattle,
leaving their charred ribs like palm leaves on the shore,
then the foaming, rabid maw

of the tidal wave swallowing Port Royal,
and that was Jonah,
but where is your Renaissance?

Sir, it is locked in them sea sands
out there past the reef’s moiling shelf,
where the man-o’-war floated down;


strop on these googles, I’ll guide you there myself.
It’s all subtle and submarine,
through colonnades of coral,


past the gothic windows of sea fans
to where the crusty grouper, onyx-eyed,
blinks, weighted by its jewels, like a bald queen;

and these groined caves with barnacles
pitted like stone
are our cathedrals,

and the furnace before the hurricanes:
Gomorrah. Bones ground by windmills
into marl and cornmeal,

and that was Lamentations —
that was just Lamentations,
it was not History;


then came, like scum on the river’s drying lip,
the brown reeds of villages
mantling and congealing into towns,

and at evening, the midges’ choirs,
and above them, the spires
lancing the side of God


as His Son set, and that was the New Testament.

Then came the white sisters clapping
to the waves’ progress,
and that was Emancipation —


jubilation, O jubilation —
vanishing swiftly
as the sea’s lace dries in the sun,


but that was not History,
that was only faith,
and then each rock broke into its own nation;

then came the synod of flies,
then came the secretarial heron,
then came the bullfrog bellowing for a vote,

fireflies with bright ideas,
and bats like jetting ambassadors
and the mantis, like khaki police,

and the furred caterpillars of judges
examining each case closely,
and then in the dark ears of ferns


and in the salk chuckle of rocks
with their sea pools, there was the sound
like a rumor without any echo

of History, really beginning.

Où sont vos monuments, vos batailles, vos martyrs ?
Où est votre mémoire tribale ? Messieurs,
dans ce gris coffre-fort. La mer. La mer
les a enfermés. La mer est l’Histoire


D’abord, il y eut le bouillonnant pétrole,
son tohu-bohu ;
puis, lumière au bout d’un tunnel,


le fanal d’une caravelle,
et ce fut la Genèse.
Puis il y eut les cris des parqués,
la merde, les gémissements :


l’Exode.
Os soudé à l’os par le corail,
mosaïque
couverte par la bénédiction de l’ombre du requin,

ce fut l’Arche d’alliance.
Puis surgirent des cordes pincées
du soleil au fond de la mer

les harpes plaintives de l’esclavage babylonien
tandis que les blancs cauris s’inscrustaient en chaînes
aux poignets des femmes noyées

et ce furent les bracelets d’ivoire
du Cantique de Salomon,
mais l’océan tournait toujours des pages vides,


attendant l’Histoire.
Puis vinrent les hommes aux yeux aussi lourds que des ancres,
naufragés sans tombeau,


brigands qui grillaient le bétail,
laissant des côtes noircies, commes des palmes sur le rivage,
puis il y eut la panse féroce, écumante

du raz de marée avalant Port-Royal,
et ce fut Jonas,
mais où est votre Renaissance ?

Monsieur, elle est enfermée dans ces sables marins
là-bas au large du socle tourmenté du récif
où sombraient les vaisseaux ;


mettez ces lunettes de plongée, je vous guiderai moi-même.
Là tout est subtil et sous-marin,
à travers des colonnades de corail,


passé les fenêtres

          … reine chauve ;

ces grottes nervurées tapissées de bernacles        
piquetées comme la pierre
sont nos cathédrales,

et la fournaise avant les ouragans :
Gomorrhe. Os broyés par les moulins à vent
en engrais et farine de maïs,

et ce furent les Lamentations —
seulement les Lamentations,
ce n’était pas l’Histoire ;


puis surgirent, écume sur la lèvre tarie de la rivière,
les chaumes bruns des villages
débordant et se coagulant en villes,

avec au soir les choeurs de moucherons
et au-dessus d’eux les clochers
perçant le flanc de Dieu


au couchant de Son Fils, et ce fut le Nouveau Testament.

Puis vinrent les soeurs blanches applaudissant
à l’avancée des vagues,
et ce fut l’Emancipation —


jubilation, O jubilation —
vite évanouie
comme sèche au soleil la dentelle de la mer,


mais ce n’était pas l’Histoire,
seulement la foi,
et alors chaque rocher explosa en nation ;

alors vint le synode des mouches,
alors vint le héron sectaire,
alors vint la grosse grenouille beuglant en quête de suffrage,

les lucioles aux brillantes idées,
les chauve-souris comme des ambassadeurs en jet,
les mantes, comme des policiers kaki,

les chenilles fourrées des juges
examinant chaque cas de près ;
alors dans les oreilles sombres des fougères


dans le rire de sel des rochers
aux flaques marines, s’éleva le bruit
comme une rumeur sans écho

de l’Histoire, son vrai commencement.

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Quelques poèmes de Derek Walcott

22 Janvier 1572 …

… nait à Londres (il y mourra) le poète John Donne.

Le poème qui suit est une parfaite illustration du style et des thèmes traités par John Donne.
On y trouve, à propos de l’amour, de l’humour, dès le titre, et une bonne dose de dérision.

LE TRIPLE FOU        

Je suis doublement fou, je le sais,
Pour aimer et le dire ainsi
En bêlante poésie;
Mais quel homme sensé ne voudrait être moi
Si elle disait oui ?
Je croyais une fois qu’à l’égal des canaux
Pratiqués dans la terre
Qui purgent Veau de mer du sel qu’elle contient
Il me serait aisé si j’attirais mes peines
Dans la contrainte du rythme de les alléger.
Soumise au nombre la douleur est moins farouche
Car c’est l’apprivoiser que l’enchaîner en vers.
Mais maintenant que j’ai réalisé cela,
Pour faire montre de sa voix et de son art
Quelqu’un se met à ch
anter mes poèmes,
Ainsi, pour le plaisir de plusieurs, il libère
Cette douleur qu’emprisonnait le vers.
D’amour et de douleur les vers sont le tribut,
Mais non ceux-là qui plaisent à lecture.
Par de telles chansons tous deux trouvent croissance
Car

                   … parfait.

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Dans les cahiers du Sud de novembre 1936, on peut lire un article de Léon Gabriel Gros, consacré à John Donne, dont suit ici un extrait :

Le thème de l’amour est omniprésent dans l’œuvre de Donne mais s’il est aisé d’en déceler les manifestations, c’est étrange présomption que de s’attacher, entre des attitudes souvent contradictoires, à retrouver l’unité idéale.
L’erreur du critique est de vouloir à toute force re construire une pensée de poète, comme si le poète était dialecticien, comme si un système était sous-jacent à son œuvre ! En fait tout poète, même de « climat » intellectuel, se plie avec une souplesse de tous les instants aux vicissitudes de sa vie et ce n’est qu’au travers d’elles qu’il entrevoit sans pouvoir l’exprimer l’essence même de son être ; les démarches de sa pensée ne sont que la succession de ses humeurs; ses assertions les plus rigoureusement logiques les étapes d’une inquiétude sans terme.
S’appliquer à rendre cohérent l’incohérent, à construire rationnellement les mirages d’un désir insatisfait telle est, en présence des poètes, la prétention un peu ridicule du critique. Si nous y sacrifions une fois de plus c’est pour les seuls besoins de l’exposé, tenant pour acquis, à l’instant même où nous étudions la pensée amoureuse de Donne, que celui-ci, comme tout amant, ne raisonnait qu’en fonction de ses nerfs. S’il y parait moins chez lui c’est qu’étant d’une vaste érudition, ses réactions instinctives, tout aussi directes animalement parlant que celles d’un calicot envoyant un « bleu » à une midinette, se traduisaient par des considérations parées de toutes les grâces dialectiques, de tous les concetti concevables, mais jaillies tout armées de son être profond.
Le cynisme de Donne est certain. Des poèmes comme « The sang », « The Indifferent », « Loves Usury » l’attestent qui témoignent d’une volonté définie de choquer les opinions reçues, de s’insurger contre la tradition pétrarquiste. C’est ainsi que Donne proclame à diverses reprises non seulement le droit mais encore le devoir d’être infidèle. Selon la logique de ceux qui entendent être au service de l’amour il découvre la vérité dans la pluralité « Change is the nursery of tife », dit-il, spéculant dans l’abstrait, assertion qu’il transpose dans l’ordre pratique, trouvant cette formule destructrice de tout sentimentalisme. « Je peux aimer n’importe qui pourvu qu’elle me soit infidèle ! »
Ainsi, par opposition à l’attitude pétrarquiste de l’amant malheureux, Donne poursuit un endurcissement volontaire. Iconoclaste de l’amour il souhaite que celui-ci ne soit qu’un jeu et pose le principe de la « communauté » des femmes : « Elles sont à nous comme sont les fruits ».
Malgré ce parti-pris de Don Juanisme, Donne fait entendre dans « Loves Usury » une prière pour ne pas aimer qui ne fût jamais exaucée. Il ne trahit point toutefois son attitude première en ce sens que l’on ne saurait relever chez lui un cri de protestation du cœur, et quand il dépasse le cynisme ce n’est point pour se replier avec égoïsme et regret sur lui-même, chanter, selon le terme convenu, les faveurs ou les rigueurs de ses maîtresses, c’est tout au contraire pour dire sa fidélité à l’amour, son abandon à ses volontés, son culte de la beauté intérieure.
En de tels poèmes la pensée raffine sur elle-même, mais dans ce jeu, tout cérébral d’apparence, l’être entier de John Donne est en cause. Pour des natures comme la sienne, et quoique Steele ait pu en penser, l’amour n’est point toujours « générateur de simplicité », il vivifie l’énergie intellectuelle, ouvre à l’esprit les plus étranges perspectives de pensée abstraite. Malgré sa volonté de cynisme, Donne, dès qu’il se perd dans la contemplation de l’amour, retrouve, par delà Pétrarque, la méthode et la dialectique des poètes du « dolce stil nuovo » et des troubadours.
Seulement, comme de par son expérience de libertin, il demeure à l’opposé de leur idéalisme il arrive à une conception moins transcendantale que celle de Dante mais plus juste parce que moins ascétique. Dans la poésie de …

                             … sur les mots.

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