Le 7 décembre 1948 …

… Malcom E. De Chazal envoi un texte à la Revue « La Nef » accompagné d’une lettre.

Le texte a pour titre « la philosophie du vivant », et la lettre donne à son auteur le statu et la stature d’un novateur, tant dans le domaine de la pensée que de celui de la poésie.
Quelques extraits en donnent la mesure.

J’ai la plus sincère et la plus totale certitude – et je dirai même que cela prend chez moi forme de credo – d’avoir dépassé et de très loin encore, toute la poésie contemporaine et rendu à l’état pygméen Baudelaire, Mallarmé, Valéry et Rimbaud – ce quatouir divin des disparus.
Et cela pour la simple raison que ma poésie est une cueillaison d’invisible total, alors que les leurs furent toutes puisées dans un invisible où la nature est encore en son écorce.

On pourrait croire que ces mots sont issu de la plume d’un plaisantin (comme le fut Salvator Dali) ou d’un homme que la folie côtoie. Ce serait ignorer que Jean Paulhan (de la Nouvelle Revue Française) a déclaré Malcom de Chazal : plus grand génie poétique du siècle, et que le pape du surréalisme André Breton avait une grande admiration pour l’homme, notamment parce qu’il était sur des terres poétiques vers lesquelles lui-même aurait voulu entraîner le mouvement, sans succès.
Ce même André Breton qui salua « le caractère de parfaite originalité et l’incomparable réussite  » lors de la présentation de la poésie de Malcom de Chazal en déclarant :

Je n’ai jamais éprouvé le plaisir intellectuel que sur le plan analogique. Pour moi la seule évidence au monde est commandée par le rapport spontané, extralucide, insolent qui s’établit, dans certaines conditions, entre telle chose et telle autre, que le sens commun retiendrait de confronter.

Nommant ainsi pour les encenser, les caractéristiques même de la production de M. d C.

(suite de la lettre)

Ce qui me sépare de ces quatre grands c’est qu’ils sont en-deçà de moi dans l’invisible, malgré leur magie verbale, et par ce seul fait, je les dépasse et très largement de l’épaule, car la poésie n’est avant tout qu’un moyen surnaturel de capter l’invisible, et l’on ne mesure vraiment la valeur d’un poète que par les distances parcourues par lui au sein de l’invisible. Sur ce point, j’attends de pied ferme les critiques. Car tout le reste est littérature.

Dans la suite du courrier M. d C. évoque son isolement (l’île Maurice où se trouve « prisonnier de l’idéal »), qui lui voit refusé les artifices de la vie mondaines, lesquels permettent « d’exuder parmi des disciples ou par des jeux de miroirs de l’esprit »

… Mon cas est, je vous l’assure, exceptionnel, en ce sens que rarement dans l’histoire de la pensée aura-t-on vu autant de décalage exister entre l’esprit créateur et le milieu où il aura vécu.

Ce point est capital pour les biographes futurs, et pour comprendre immédiatement l’état ambiant ou « Sens-Plastique » a vu le jour.
L’opposition certes a exigé de moi des efforts innombrables, mais cette opposition aurait pu me briser.

Il y a une touche de Salvator Dali (avant la lettre … Dali s’écrit avec un D) dans Malcom de Chazal, mais, et la postérité de son œuvre le prouve, un réel génie.

En passant, citons une bribe d’un texte M. d C. qui, dans notre époque de réactions vives et pleines aurait valu à son auteur plus qu’un chahut.

Le planning familial ayant tendu à dépeupler l’île
tout couple qui a un enfant touche …

… cette contrée avec des Africains

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Un poème court de Malcom de Chazal, poète de l’invisible en son coeur

L’air

A toujours

Raison

Du vent.

*

L’air

N’a pas

De

Cartouches

De dynamite


*

La seule chose

Qui ne connaisse

Pas

Son épaisseur

Est l’air.

6 Décembre 1895 …

… nait un poète qui a choisi, pour son malheur, d’écrire ses poèmes en yidish (les premiers l’ont été en russe)

Ce qui lui a valu d’être condamné à mort pour « nationalisme juif »

Un autre écrivain d’origine juive, Ylia Ehrenbourg, donnera une description* de Peretz Markish qui le présente comme romantique à tout point de vue.

Il était difficile de ne pas le remarquer, car son beau visage inspiré se détachait dans n’importe quel environnement. 
Boris Lavrenev assurait que Markish ressemblait à Byron. Peut-être, mais peut-être ressemblait-il seulement à cette image du poète romantique qui ressort de centaines de toiles ou de dessins, de poèmes, de l’air d’une autre époque. Markish n’était pas seulement romantique dans sa poésie. Ses cheveux bouclaient de façon romantique, son port de tête était romantique (il ne portait pas de cravate et son col était toujours ouvert). Et cet air adolescent, qu’il conserva jusqu’à la mort, était lui aussi romantique.

Ylia Ehrenbourg nous dit également que Peretz Markish n’était pas tout à fait en phase avec son temps. Il illustre cette affirmation d’une anecdote, au cours de laquelle il conte une petite histoire typique de l’humour juif, racontée en sa présence, avec des amis, dans un café.

Dans un shetl de Volhynie, il y avait un célèbre zadik, c’est-à-dire un juste. Dans ce shetl, comme partout, il y avait des riches qui prêtaient de l’argent à intérêts, des propriétaires, des marchands, , il y avait des gens qui rêvaient de s’enrichir par n’importe quel moyen. En bref, il y avait beaucoup de mécréants. C’était le jour du Grand Pardon où, selon les croyances des Juifs religieux, Dieu juge les hommes et décide de leur destin. Ce jour-là, ils ne boivent ni ne mangent jusqu’à ce que se lève l’étoile du soir et que les rabbins les laissent partir de la synagogue. Le zadik priait Dieu de pardonner aux hommes leurs péchés, mais Dieu faisait la sourde oreille. Soudain, un pipeau brisa le silence. Parmi les pauvres qui se tenaient au fond, il y avait un tailleur avec son petit garçon de cinq ans. Le gamin était las des prières, et il se rappela qu’il avait dans sa poche un pipeau à un sou que son père lui avait acheté la veille. Tout le monde se jeta sur le tailleur.
C’était à cause de bêtises comme ça que le Seigneur châtiait le shetl. Mais le zadik vit que le Dieu vengeur n’avait pu s’empêcher de sourire.

Ylia Ehrenbourg évoque alors la réaction Peretz Markish

Voilà toute la légende.
Elle avait ému Markish, et il s’était écrié :
«Mais c’est de l’art qu’il est question !»
Ensuite, nous nous sommes levés et avons regagné nos pénates.
Markish m’accompagna jusqu’au coin, et soudains (nous parlions de tout autre chose), il dit : «À présent, un pipeau ne suffit pas, il faut la trompette de Maïakovski…»

… et nous dit ce qu’il faut y lire concernant ce romantisme de Peretz Markish. Ainsi que son manque de compatibilité avec l’époque.

Il n’était pas fait pour les slogans bruyants, ni pour les poèmes épiques, c’était un poète avec un pipeau qui émettait des sons purs et perçants.
Mais il n’y avait pas eu de Dieu inventé capable de sourire, et le siècle était bruyant, et les oreilles des gens, parfois, ne distinguaient pas la musique.

Il y a toujours eu beaucoup de versificateurs, et ils se sont multipliés lorsque la production de vers est devenue un métier. Markish, lui, était un poète. Il est évidemment difficile de juger de poésie en traduction, et je ne connais pas le yiddish, mais à chaque fois que je lui ai parlé, j’ai été frappé par sa nature. Il interprétait les grands événements et les détails de la vie en poète. Ce n’est pas seulement ma propre impression, des gens très différents les uns des autres me l’ont dit aussi, Alexis TolstoïTuwimJean-Richard BlochZabolotskiNezval.

Ylia Ehrenbourg donne un poème dans lequel Markish n’hésite pas, en une époque où la poésie se veut moderne, à traiter un thème très commun. (et considère qu’il y excelle)

Les feuilles ne bruissent pas dans une mystérieuse angoisse
Mais, recroquevillées, gisent et sommeillent au vent.
Soudain en voilà une qui, réveillée, s’en est allée sur la route
Chercher sa tanière, semblable à une souris dorée.
Une larme de la bien-aimée :
Elle ne tombe pas de tes cils,
Mais demeure, tremblante, entre tes paupières,
En elle le monde quitte ses frontières,
Et dans les profondeurs, la pupille brillante s’élargit.

Le texte qui suit peut paraître prémonitoire de la fin du poète.
Peretz Markish sera une des victimes de la Nuit des poètes assassinés

Deux oiseaux morts tombèrent à terre
Le coup était réussi. Qu’y a-t-il de mieux que la terre ?
Ici, dans ce pays ensoleillé et béni,
Il faut tomber, si

…rien,
Il faut voler, si c’est le destin. Comme la lumière est éblouissante !
Les étendues sont vastes, elles n’ont pas de fin.

(pour lire la grille plus facilement cliquer ici)

Ylia Ehrenbourg termine les pages qu’il a consacrées au poète, par une réflexion concernant la poésie et l’espace temps où elle surgit.

Il est difficile de se faire à l’idée qu’on a tué un poète.
Mais dans ces jours lointains où j’ai rencontré Markish, jeune et inspiré, à Montparnasse, il parlait du pipeau d’un enfant et de la voix de tonnerre de Maïakovski, il mesurait son destin.

Pour moi, il était la preuve que l’on ne peut pas séparer une époque de sa poésie :

soutenu par un dernier poème …

Je t’ai hissé sur mes épaules,
Ô siècle !
Je t’ai mis, en guise de ceinture,
Une larde ceinture de pierre.
La route monte en un énorme escarpement,
Et je dois l’escalader.
À travers les hurlements du vent, les tourbillons de neige
Je monte… Beaucoup périssent
Au milieu des congères…

… et un ultime salut :

Non, il n’était pas un naïf rêveur ni un fanatique aveugle, le pipeau touchait les lèvres sèches d’un homme adulte et courageux.»


*