22 Décembre 1876 …

… une mère qui aimait lire des poèmes, mis au monde le futur auteur de poèmes

dont on peut penser que les plus virulents n’était pas dans la ligne de ceux qu’elle appréciait.

Pour définir le futurisme qu’à fondé Filippo Tommaso Marinetti, plutôt que d’en développer le manifeste, je choisis ici de présenter le manifeste de ceux qui était totalement et résolument opposé à ce courant de pensée et à ses conséquences pour l’art notamment.

profession de foi des Primitivistes

Sans condamner le futurisme, l’article qui suit, du Mercure de France de janvier 1914 (alors même que l’on s’approche sans le savoir du premier grand conflit mondial) lui reproche des défauts symétriques à ceux du romantisme.

A cette époque de plénitude impatiente, à cette heure de vie exacerbée, de tumulte, de gestation, où l’être se transhumnane*, où la matière elle-même semble « se hausser jusqu’à la conscience », où une sorte de sens œcuménique nouveau naît dans l’homme, il semble que la poésie lyrique, encore plus que tous les autres arts, se tende violemment vers un pathétique encore inédit, vers une expression paroxyste et suraiguë de ce monde moderne où l’homme délivré enfin de lui-même se sent  potentiellement un Dieu.
Le Futurisme, en ce qu’il a de bon en soi, est né de cette aspiration ; mais du seul fait qu’il se dénomme Futurisme, il donne trop l’impression d’être hors de notre époque; il paraît, à tort ou à raison, une abdication du présent.
Le Romantisme était une fuite dans le, passé; le Futurisme semble une fuite dans l’avenir. Tous deux se rejoignent hors la vie, dans un domaine vague, celui de la mort pour le Romantisme, celui de l’imprévisible, du devenir, de ce qui n’est pas encore, pour le Futurisme.
Le Futurisme déserte ainsi la communauté vivante pour le domaine des abstractions. Il fait alors figure de « nuée » esthétique, et apparaît une formule purement verbale. A autre chose de réel et de concret correspond l’effort des lyriques actifs — qu’importe l’étiquette qu’on leur accole ?
*

*A notre époque on parle de transhumanisme.
** Il y a là comme une prophétie annonciatrice de l’ère du numérique (abstraction ultime)

Vue de l’Italie même, la proposition de Marinetti est bien différente.
On y voit favorablement un projet permettant de réveiller un pays endormi sur son passé.

Le Futurisme apparaît en somme à qui le regarde au point de vue italien comme la réaction nécessaire à ce culte effréné et idiot de l’ancien, à cette mollesse et couardise de sentiments, à ce mépris de la modernité dont notre milieu intellectuel était saturé et qui le conduisait à un épuisement ennuyeux et humiliant.
F.-T. Marinetti rappelait aux jeunes Italiens que les nations ne se nourrissent pas uniquement de souvenirs et de regrets et que même dans l’art il faut avoir le courage de quitter les continuations et les imitations pour créer quelque chose de nouveau et d’inédit.

Le texte du manifeste. Paru dans « le Figaro » qui présente Marinetti comme « le jeune poète Italien et Français« 

Un échantillon du progrès en marche de Marinetti :

Le 21 Décembre 1912 …

René Bichet, qui, sur les même bancs du lycée Lakanal que Jacques Rivière et Alain Fournier, était leur ami…

…meurt des suite d’une «  »overdose ».

Des trois amis il est le seul à réussir le concours de l’École normale supérieure d’où il sortira reçu premier au concours de l’agrégation de Lettres. Ce qui le conduira à un poste prestigieux dans la ville de Budapest.
C’est lui, le petit B. d’Alain Fournier (Lettres au petit B.) le poète et ami, trop réservé auquel l’auteur du « Grand Meaulnes » écrit avec beaucoup de condescendance en parlant peu de René et beaucoup de lui et de Jacques Rivière et de leurs projets littéraires.

René Bichet était poète et ce qu’il laisse de vers donne à penser qu’il aurait pu lui aussi avoir une carrière littéraire.
Un an avant sa mort, paraissait dans la Nouvelle Revue Française un long texte en prose « Le livre de l’Amour ». René Bichet avait alors 24 ans.
(extrait)

Et maintenant, voici que l’allégresse est en moi
tout entière ! Oh, il y a maintenant des choses qui me font rire ! je me lèverai, je rirai des yeux du chat qui s’ouvrent comme des bourgeons; j’écarterai des deux mains les rideaux, je rirai du soleil quand il entrera chez moi comme on pousse le poing jusqu’au fond d’un coffre plein d’or. Je veux danser comme un roi nègre. Venez ! entre les buissons de phlox et les hémérocalles, nous bondirons par-dessus les allées qui …

… au centre d’un tourbillon, lorsque parmi tout le silence seul notre cœur bougera, plongé dans le sang comme un homme nu au milieu d’un fleuve, nous nous arrêterons, nous regarderons vers la barrière… regardez-la, la voici ! son visage luit derrière les feuilles comme une prune mûre ; elle va pousser la porte, mais d’abord elle glisse une main entre les lattes pour cueillir le plus beau dahlia.

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Une année après sa mort, grâce à André Gide (auquel Alain Fournier avait déconseillé son ami de lui faire un envoi … il lui fallait attendre d’avoir une production suffisante) quelques poèmes de René Bichet sont publiés dans la NRF




(Transcription du livre de l’amour – De René Bichet)

Nous sommes loin du « paysan » de Rivière. Mais déjà on pressant la crise de confiance qui s’empare de l’auteur et l’aurait probablement conduit à une pause, à une réflexion sur la voie à prendre.
René Bichet était enseignant tout comme d’autres (on peut penser à Louis Guillaume) il aurait pu se consacrer davantage à cette mission, notamment la partie prestigieuse à l’étranger professeur de français au Collège József Eötvös de Budapest) et revenir plus tard à la poésie.
Echappant au petit cercle Alain-Fournier, Rivière, dont on a pu apprécié les appréciations, d’autres soutiens auraient pu lui venir, à lui qui avait publié ce très beau texte, cette poésie en prose sur l’amour, à peine âgé de 24 ans.

Un autre de ses poèmes, un des derniers, publié après sa mort dans la NRF :

Pourquoi pleurer dans ton coin
Hier matin tu chantais tout seul.
Je t’ai entendu.
Je passais, entraîné d’éteule en éteule
Par un vol de perdreaux dans le vent rabattus,
Quand je t’ai entendu,
Presque à mes pieds, comme un chant de rainette.
Hé bien, pourquoi rougir ? C’est un joli refrain :
Il tremble et coule comme le grain,
Comme la pluie sur les noisettes,
Comme la rosée du matin
Sous les prunelliers bleus.
Il m’a rappelé l’âge heureux
Où je longeais le port en sortant de l’école,
Les barques tirées à sec
Qui étaient des coquilles de soleil,
Et les larges filets vermeils
Egouttés sur la grève molle.
Allons, allons,
C’était une jolie chanson,
Bonne aux vieux sans courage
Comme un pain tendre à qui n’a plus de dents.
Sois sage
Vous avez tous la même rage
De ne plus chanter dès qu’on vous entend



Le 20 Décembre 1905 …

… décède un homme de lettres,

Moins connu pour ses poèmes que pour ses articles dans le Figaro.

Si l’on trouve des traces de Amédée Pigeon dans la vie littéraire française, ce n’est qu’à propos de son roman « Une Femme jalouse » qui figura dans la dernière sélection (30 auteurs et oeuvres) du « Prix des méconnus« .
(L’illustration plus bas le montre assez isolé de ses « collègues », il n’est pas vraiment avec eux.
Seule la mise en flou des autres le fait exister un peu.
l’original -)
On peut cependant trouver quelques uns de ses poèmes dans le troisième volumes de la publication « le Parnasse contemporain« 

Celui-ci est un sonnet - pour un amour passé - il ne nous surprend guère …  quoique, le dernier vers…

Ce matin, triste et seul, quand j’ai rouvert mon livre,  
Il était plein de fleurs et de plumes d’oiseaux,
Rappelez-vous nos jeux parmi les grands roseaux
Et le temps où deux mots de vous me faisait vivre.

Près de l’étang fleuri vous me laissiez vous

… les foins dont la senteur enivre.

Loin de vous, dans les bois, j’allais aussi m’asseoir,
Commençant des sonnets que j’achevais le soir,
Pensant à des baisers comme on pense à des crimes.

Hélas ! tout mon bonheur est parti par lambeaux ;
Je n’aime plus ces vers que je trouvais si beaux,
N’ayant plus vos grands yeux où je cherchais mes rimes.

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19 Décembre 1952 …

… à Villejuif est décédé le poète Jacques Dyssord




qui, après avoir connu le succès et la reconnaissance de ses pairs, a eu le tort de participer sous l’occupation à des journaux favorables à l’envahisseur comme l’APPEL ou La FRANCE AU TRAVAIL (devenue par la suite LA FRANCE SOCIALISTE)
Ce qui lui a valu d’être interdits par le Comité national des écrivains et l’a contraint à se retirer de la vie littéraire

A lire, à propos de la critique d’un de ses livres, l’opinion que le rédacteur de l’article a de Jacques Dyssord, il est difficile d’imaginer sa collaboration au régime de Pétain … et pourtant.

Jacques Dyssord a gardé du post-romantisme le goût de la canaille. Une culture vaste et sans affectation. Une quotidienne simplicité. Un goût profond de l’art d’écrire, et, derrière un parti pris apparent, une pudeur, qu’il aime à vaincre et à humilier.
 Par le miracle du don qui fait de Jacques Dyssord un poète, ainsi que le dit Billy, « il réussit à ne pas s’encanailler ». A moins que, au contraire, il faille écrire que << l’auteur ne réussit pas à s’encanailler ». Dans tous ses livres, nous retrouvons cette  allure, ce chic de seigneur né. cette ironie que voile une tendresse enfantine.
 Dès les premiers recueils de poèmes, Dyssord s’imposa. Sa muse avait des accents personnels, graves, amers. C’étaient Le dernier Chant de l’intermezzo, On frappe à la porte, Tropes.
 Puis, Jacques Dyssord commença son œuvre de romancier. Il s’attacha à la peinture des milieux interlopes, des bars, des petites poules. Il découvrit le Montmartre d’après la guerre avec acuité et nonchalance. Il y a, dans ces romans, du Carco et aussi du Duvernois : de la brutalité et de la tendresse
 apitoyée. Ce sont : La Paroisse du Moulin-Rouge, Charlie chasseur, Les Faisans, L’Amour tel qu’on le parle.
 Essayiste, historien, nous lui devons un livre charmant sur un homme qu’il comprit bien : L’Aventure de P.-J. Toulet, gentilhomme de lettres, et puis Joë, ou la découverte du vieux monde, une Ere amoureuse de la Dame aux Camélias, un Steinlen, un essai sur le journalisme : La Confrérie de la dernière heure.
 Il y a, disait quelqu’un du moraliste, chez Dyssord. Possible.. Mais il me semble surtout un esprit curieux de la misère humaine, souvent attendri, fraternel, compréhensif des faiblesses de ses semblables.  C’est cette pitié qui donne sa signification au nouveau livre de Ucques Dyssord : Londres secret perditions de la Madeleine.
 C’est un reportage documenté, comme celui qu’il fit dans les bagnes d’enfants. C’est une peinture fidèle du « milieu londonien », de la pègre qui fit la gloire spéciale de Whitechapel, aujourd’hui hui embourgeoisée. Si Whitechapel est composé de paisibles rues modernes, il demeure encore un Londres secret, celui de Limehouse, de West-lndian rad. Jacques Dyssord nous y fait pénétrer avec cette puissance d’évocation, cette simplicité vraie qui est l’art du poète.
 Un joli livre, édité avec soin sur un milieu peu connu.
 J. C.

On reconnaissait donc à cette date (27 Novembre 1932) la qualité et même le naturel (si tant est qu’il existe) de poète.
Goutons voir quelques uns de ses vers …

LA PARABOLE DU TEMPS PERDU

FRAGMENTS

I
Don Juan qui fil sauter la banque
Dans ce tapis franc de pipeurs,
Sent qu’à la fin le cœur lui manque
Et tend les dés au commandeur.
Quand s’allumèrent les persiennes,
Ne resta-t-il pas trop longtemps
Quelle des ombres était la sienne
A chercher des derniers passants?
Qu’à ces travestis qui lut plurent
Et ces vices mal dévêtus
Ne préféra-t-il l’aventure
Du dernier vous au premier tu?

II
Qu’espère son âme incertaine
Des courants d’air d’un carrefour
Où ne se

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      … à la rhétorique
D’un pardon offert à pleins bras,

A moins, titubant sous l’armure,
Ivre de n’avoir pas vécu
Que la combien triste figure
D’un Don Quixotte saugrenu?

18 Décembre 1907 …

… Il est des poètes passé dans l’ombre – ce lieu où (pour ce qui est de la poésie) la seule clarté est celle des amis – qui trouvent une nouvelle … compréhension de leurs œuvres, quelque temps après leur disparition (ce fut le cas de Baudelaire et de Rimbaud)

Il n’est pas impossible que Louis Guillaume soit un jour de ceux-là. Les raisons même de son oubli relatif sont celles qui voient son retour dans nombre de publication actuelles.
Ces raisons nous pouvons les trouver dans la présentation et appréciation d’un de ses premiers recueils (Piliers de l’oubli) par Léon Gabriel Gros, dans la revue Les Cahiers Du Sud.
Article sans concession qui évoque à la fois les qualités de cette production de Louis Guillaume et les imperfections, insistant sur le fait que le poète suit un chemin, une quête, qui ne sacrifie rien ni au conservatisme, ni à la modernité ambiante.

Louis Guillaume dont Coffret sous cendres et Occident comptent parmi les recueils les plus directement humains des deux dernières années s’affirme une fois de plus avec Piliers de l’oubli comme un des chercheurs de sa génération. Les connaisseurs professionnels souriront sans doute de ce terme car en dépit de son vocabulaire, nul ne répond moins que Louis Guillaume aux exigences du conformisme d’avant-garde.
Aussi bien n’a-t-il guère frayé avec les éditeurs de jeunes revues dont la luxueuse présentation typographique n’a d’égale que l’indigence spirituelle, ni fréquenté les cercles où s’élaborent les réputations, il n’a jamais perdu contact avec une certaine réalité populaire et provinciale et s’il a milité ce fût aux côtés de Luc Decaunes dans l’admirable revue de combat que furent les cahiers de Soutes dont les erreurs mêmes par leur générosité auront, sinon réveillé le public des travailleurs contaminé par les sous-produits d’une basse littérature bourgeoise, du moins incité quelques jeunes poètes à prendre conscience de leur devoir envers leurs contemporains.
Guillaume a ainsi échappé au narcissisme des surréalistes de deuxième zone, aux tentations d’une perfection toute formelle qui nous vaut une manière de Parnasse.
Entre ces deux dangers, dont les manifestations sont éclatantes dans la plupart des plaquettes ou revues actuelles, Guillaume s’est efforcé de suivre sa voie. Il aurait pu le faire comme tant d’autres en se lançant dans ces pédantes dissertations politico-philosophiques qui constituent l’itinéraire de fuite de tant de nos intellectuels, il a préféré remplir pleinement sa mission de poète qui est de servir l’homme en l’enchantant de la mélodie d’un cœur simple, en lui révélant les visions d’un monde qui peut être à tous, en l’empêchant perpétuellement de dormir, de s’illusionner sur la portée réelle d’une action soi-disant concrète.
Ces intentions nous valent une œuvre disparate au premier abord et qu’une critique purement littéraire pourrait aisément condamner. Il ne faut pas, en effet, demander pour l’instant une perfection absolue à un poète comme Louis Guillaume gêné par une matière trop riche qu’il ne possède pas encore pleine ment. Son esthétique est une esthétique de l’approche qui a toutes les hésitations d’une prise de contact. Libre à chacun de lui préférer ces horticulteurs de terres depuis longtemps conquises et à qui un peu d’habileté renforcée de quelques lectures suffit pour forcer des fleurs éclatantes parfois, mais aussi sans parfum.
Pour ma part, je tiens à signaler le lyrisme ravagé de Guillaume. Il occupe péniblement un terrain bouleversé, ingrat, jonché de scories et par endroits des épaves de la pire poésie. On mesure à le parcourir toute la différence qu’il y a entre une serre et un champ de bataille. La zone où progresse Guillaume d’informes débris l’encombrent encore depuis les cuivres cabossés de la fanfare romantique jusqu’aux cuisines roulantes du surréalisme en passant par les cuirasses de parade parnassiennes.
Le merveilleux est précisément que Louis Guillaume ne se soit pas spécialisé dans un genre. Nul n’est moins monocorde que lui, moins mesquinement original. Si l’on petit discerner une unité en son œuvre, elle n’est point extérieure, mais se dégage de sa mentalité de Celte.
 
Il suffit que tu avances
Sur le seuil de la falaise.
Pour qu’un oiseau de neige
Incline sa balance.
Guillaume ne se place pas d’emblée dans un climat déjà poétique, ne se donne pas les facilités qui consistent à traiter des thèmes dont il est convenu une fois pour toutes qu’ils sont ceux du lyrisme de haute volée, il aborde au contraire les réalités les plus quotidiennes et s’efforce d’en dégager le sens durable :
Bras du pain frais passé entre les grilles,
Carde du pot à lait et de la boîte aux lettres.
D’éléments aussi bassement coppéiens, de thèmes volontairement sordides, il extrait l’essence même de son inspiration :
Choses qui vous résignez à n’être que des choses,
Hommes qui n’avez pour amis que des hommes,
Toute la misère nage dans l’automne
Et sur la berge nous restons
Riches du souvenir des arbres.
Les images même qui entraînent une évasion sont éminemment concrètes :
Toi, ta laisses la vie à ceux qui restent,
Mère de ma mère,
Sous cette grisaille, tu reposes,
Tu t’enfonces
Comme un trépied froid dans la cendre.
Guillaume est aussi capable de s’exalter sur un « Déménagement » que de nous conter l’étonnante aventure de « La race bleue » ou de « Soumise », la ville souterraine où « les murs sont remplacés par des paumes de jeunes filles » :
Un troupeau de chevreaux
Avance sur la pointe des pieds.
Un tissu de clochettes
S’interpose entre la fleur et l’âme.
Je ne prétends pas que Louis Guillaume soit le meilleur de nos jeunes poètes. Je l’estime précisément parce qu’il a le courage de ne pas prétendre aux premières places dans l’ordre littéraire, parce qu’il préfère s’attaquer, comme l’on dit vulgairement, à un morceau difficile, le réel même en toute sa complexité, son étrangeté au sens fort du mot, plutôt que d’ouvrir les écluses d’une féerie intérieure qui se traduirait par une construction verbale plus capable sans doute de séduire les tenants de la poésie dite pure que sa démarche à lui maladroite, impossible mais engluée de la glaise originelle.

Ce que tente Guillaume peut-être par atavisme, c’est ce qu’ont tenté les lyriques irlandais, cette poétisation du monde qui n’a rien à voir avec les interprétations du monde extérieur aujourd’hui mental à quoi aboutissent les entreprises de toutes les écoles françaises.
Cette poésie est précisément celle qui s’adresse à un public non de connaisseurs, mais d’hommes de tous les jours. Elle propose moins une méthode de pensée logique ou de rêve que les données d’une expérience où le plus humble lecteur peut retrouver un souvenir de la sienne, en quelque sorte une clef du temps perdu.
Elle ne prétend pas au symbole, elle ne veut être qu’un objet-prétexte et du moment qu’elle obtient ce résultat, qu’elle ressuscite un moment vécu, il serait vain de la juger du point de vue d’une perfection formelle dont elle ne s’est à aucun instant souciée.

Au fil des années, en parallèle avec sa mission d’enseignant, puis de directeur de collège, Louis Guillaume affinera sa « façon ».
Un épisode particulier aura lieu quelques années après sa retraite (à 55 ans), « pendant cent quatre-vingt-sept matins de suite, au réveil (du début janvier à la fin du mois de juin), le poète transcrit dix-huit vers comme sortis d’une révélation de la nuit : journal d’une ténèbres intérieure d’où naissent les clartés essentielles. »

A défaut de pouvoir donner un des textes issu de cette « expérience » (recueil « Agenda« )
Un poème cité dans un ouvrage qui est consacré, par la à Louis Guillaume et dont le titre est « étrange forêt »

  LE DANSEUR VERT


       « The King of Terrors is the Prince of Peace. »
                     YOUNG.

Un danseur dans la fournaise
piétine les feuilles mortes.
La patine de son corps
ruisselle du sang des jours.
Dans les cours des grandes villes
dans l’or des puits de campagne
les insectes se souviennent
de son multiple visage.
Un orgue de Barbarie
songe aux quartiers de l’enfance.
La chanson la plus lointaine
est froide comme la lune.



Est-ce vous guetteurs des ruines
embrassant de vos racines
les éboulements secrets
qui continuez la ronde
sur les remparts des nuages?
Danse mâle aux reins galbés
des crépuscules de fièvre
danse des copeaux de feu
cernant les ferreurs de roues
à l’horizon calciné
l’orage s’accroche aux croix
et ce cuivre dans le ciel
sonne la joie des cuisines
chante à l’orient pourri
les bûchers au bord des fleuves.



Tête tranchée vive à Vêlai
piquée de mouches bleues
un colchique au fond des prunelles
Rapace duveté de flamme
cloué à l’orée du village
des bris de lune dans les yeux
Crucifix d’épine et de rouille
l’amour aux vivants proposé
nourrit l’ortie des cimetières.



Danseur Vert tu prends ma main
tu me conduis au destin
qui ressemble à ce que j’aime.

Danseur Vert ta main se ferme
comme celle de mon père
à jamais crispée sur le drap.

Danseur Vert tu tends un lotus
partout sur le ventre des morts
ta cloche tinte



Les volets filtrent ce visage
modelé de lumière accrochée aux pavés
de lueurs au niveau des tuiles
les volets de la nuit qui laissent passer l’heure
laissent venir le visiteur.

Du pied des meubles sans défense
au plafond qui soudain s’entrouvre
il déploie sa peur obscure
il se casse à l’angle des rêves.

Et sa main qui se détache
telle une feuille d’hiver
sur tous les chemins de terre
devient danseuse elle-même.



Aux confins de la forêt
sentant qu’il va rencontrer
celui qui le recherchait
l’évadé s’arrête et pleure.

Il devine sa ferveur
il connaît déjà son nom
qu’il prononçait autrefois
en souriant aux ténèbres.

O miracle millénaire
sachez que cela sera
tant que danse et dansera
dans le sang le danseur vert



Parce que tu es là
c’est la joie que je trouve
parce que tu es là
l’ombre devient lumière.
Mourir n’est plus quitter la vie mais te quitter
vivre n’est plus courir mais t’attendre.
Tu es la

(Pour lire plus rapidement la grille, cliquer ici)

        …à se flétrir.
Ton doigt levé arrête le bal
ton regard suspend l’archet.
Grâce à toi je sais l’amertume
d’avoir été jeune sans te connaître
la douceur de vieillir en te suivant.
Mes gisants se lèvent mes pierres parlent
mes arbres morts bourgeonnent, grâce à toi.
Tout amour devant tant d’oubli
tu pries par ta seule présence
et sans faillir tu m’offres le bouquet fragile
de ta main qui retient la fraîcheur de la nuit
et la chaleur des jours qui ne sont que vécus.

Je puis partir parce que Tu es là.


Le livre est préfacé par la Psychanalyste Anne Clancier qui évoque une des sources d’inspiration de Louis Guillaume.

Il a passé son enfance à l’île de Brêhat, c’est dire que ses premiers regards ont été pour la mer, le ciel, les nuages , les rochers, mais aussi les prairies les plantes et les bois qui parsèment l’île.
(…/…)
 On peut dire qu’il s’est structuré autour des quatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu.
(…/…)
Il n’est pas de recueil de poème de Louis Guillaume qui ne consacre un texte ou un fragment de texte aux arbres. Le poète a dit lui-même que ses deux poles de son inspiration sont l’arbre et la mer


Ici, tu rencontreras un peu de poésie, de toutes sortes, ancienne (très ou peu), contemporaine (proche ou à peu proche)
mais aussi un lieu où tu ne pourras pas « bruler les mots » de ton regard (emprunt à Lucien Suel « La théorie des orages« ) il te faudra alors (#SlowReading) choisir …
prendre le temps de chercher ton chemin parmi les lettres enfermées dans la grille
– cliquer sur le lien qui te donne le chemin des lettres
– passer ton chemin

17 Décembre 1948 …

… un poète est né ce jour qui porte le mot, de la plume et de la voix.

Les performances de Lucien Suel sont des parcelles de temps et d’espace habités et parcourus par une poésie qui sort des rails où se perdaient parfois son contact avec la/les Muse/s.

(réponse à la question : Oui … l’inscription dans la réalité bancaire … oui)

Poète, romancier, jardinier Lucien Suel a travaillé les mots de la même manière que certains travaillent la terre, en explorant toutes possibilités permettant de « mettre de l’ordre dans le chaos« 

Il est aussi le créateur de quelques « personnages »
tels que La limace à tête de chat

Ou encore Mauricette héroïne de son second roman « La patience de Mauricette » et que Lucien fait revivre de temps à autres sur son blog SILO

répondant en cela à la demande exprimée par exemple ici

Extrait du poème « Mauricette à Vélo » (Recueil « Je suis debout »)

Sur la route à la brune entre Haverskerque et Guarbecque.
Traverse des effilochures de brume respiration du marais.
Mains serrées autour des poignées de plastique bleu pétrole.
De la force des mollets le cerveau transmet aux pédales pédalier chaîne dents de la roue libre moyeu jante et pneu.
 
Le caoutchouc frottefrotte la molette crantée de la dynamo.
Shhuintronronnement mécaniquement produit d’énergie humaine.
Lumière jaune devant rouge petit point tremblotant derrière.
La selle de cuir dur enveloppée dans un torchon à carreaux noué sous les ressorts pour améliorer le confort du siège.
 
Au bord de la jupe genoux ronds se frôlent au-dessus du cadre.
Tout le mouvement des muscles jumeaux des mollets fabrique transportsécurité rendementefficacité déplacementlumière.

De chaque côté du vélo maisons fenêtres bleuies par la maladie de télévision incurable cancerahlzeimer d’enfance à mort.
Voitures stationnées jusqu’à l’aube prochaine se pelliculant fin voile de buée et de molécules chimiques carbone et plomb.
Vélo immobile c’est le macadam un tapis autour de la terre.
 
Debout sur les pédales cheveux soulevés par la brise à l’aube à la nuit tombante au soleil en route infiniment direction paricilà droit devantderrière en rond en ronde toutoujours rouleroute parfum de sueur odeur d’éther retour en route sans fin sur soi-même éternel là-bas à rebours sur la route erout al rus…




Dernièrement, Lucien Suel a publié un roman , un roman de poète.


et l’ensemble de ses 1000 -500 « Poèmes Express« 

Le 16 Décembre 1877 …


Ce n’est pas la date de naissance de Dominique Hasselmann
domicilié en ce lieu parisien où nous est proposé de temps à autres (une fois par mois) des « poèmes télégraphiques (le plus récent) et qui a publié aux éditions publie.net un recueil de 140 petits poèmes en prose

Tunnel des fêtes où les cadeaux sont les wagons verts, rouges et dorés des échanges codifiés par le système marchand.

…mais c’est bien un 16 décembre que ce grand admirateur de la tour Eiffel est né. Souhaitons lui un bon anniversaire.]


… Ce jour est celui où est né Lucien Banville d’Hostel, poète longtemps de sensibilité anarchiste bien qu’aristocrate.

Sa participation à un mouvement qui vise à revitaliser la poésie et à choisi un nom particulièrement ambitieux (le) « Mouvement Visionnaire ». Un article de « La Revue » traite de cette apparition dans son édition du 15 juillet 1908, Lucien Banville d’Hostel a alors 30 ans, il est le premier dont Gérard de Lacaze-Duthiers, auteur du texte fait le portrait.

Il y a du nouveau dans la jeune littérature : une école poétique vient de naître. Elle est parfaitement constituée. Elle a un but, des idées, un programme. Sans doute, les jeunes « visionnaires », partisans avant tout de la liberté en art, se défendent d’avoir voulu fonder une école. Ils savent combien il est grotesque de s’enrégimenter! Mais s’ils évitent de tomber dans les excès de leurs aînés, ils pensent non sans raison qu’il est nécessaire, entre écrivains d’aspirations communes, de se grouper, de se rapprocher
pour imposer plus facilement leurs idées. Le défaut de la jeune littérature, c’est en effet le manque d’union. On tombe d’un excès dans l’autre: sous prétexte de ne plus fonder d’écoles, on s’isole.
Chacun vit à part. Ce que l’on souhaitait vivement, depuis quelques années, c’était la fin de cet individualisme exagéré, aussi nuisible que les cénacles et chapelles. On allait même jusqu’à regretter les anciens sous-sols où poètes et artistes fraternisaient.
Depuis-les fameuses soirées de « La Plume », qui groupèrent un moment l’élite de la jeunesse littéraire, il n’y avait plus rien.
Or voici qu’une réaction commence à se produire. Déjà, les poètes du groupe de «L’Abbaye » affirmèrent la nécessité de mettre leurs efforts en commun. Avec les «visionnaires » et «aristocrates », cette tendance s’accentue encore. Il y a là un
effort vers l’art et la beauté dont l’extrême originalité mérite d’attirer l’attention. On se rend compte des dernières tendances en art en étudiant l’œuvre collective de ces nouveaux venus.
Quelques-uns d’entre eux ont le privilège de représenter plus exactement les tendances générales du groupe, tout en conservant leur originalité et leur personnalité, qui ne sont pas des moins intéressantes.
Banville d’Hostel est un visionnaire qui n’a pas renoncé tout a fait aux formes
antiques pour exprimer des idées modernes. Son vers est correct, sobre. Il n’a rien
d’académique pourtant ; il correspond à un enthousiasme réfléchi, qui maintient le
poète dans la tradition romantique, tout en l’autorisant à s’affranchir de certaines
règles trop étroites. C’est le plus classique des aristocrates. Normand, il a toutes les
qualités de sa race : l’entêtement, l’obstination.
De nombreux voyages à l’étranger, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, Italie, ont formé son esprit en l’initiant à toutes les formes de beauté.
Banville a-t-on écrit quelque part, est surtout le poète de l’action intérieure, il chante les espérances et les misères stoïquement supportées, les âmes emportées dans l’immense houle battant aux portes de l’idéal. Il cherche à quoi sert la vie? où elle va où elle porte les hommes ? » L’Elu, Epitaphe froide, La Ballade du pauvre incompris, le Saint, La Carmélite, sont les plus caractéristiques de ses poèmes philosophiques.

Courageusement, ces jeunes poètes sont allés voir l’un de leurs ainés, Anatole France, pour lui demander son avis, après lui avoir exposé leur but et les valeurs qui le sous-tendait
Voici sa réponse

« Mais… cela me semble curieux et neuf… Vous avez constitué l’Ecole des «Visionnaires». C’est bien, c’est bien. Mais il y a autre chose que j’aime mieux dans vos projets : vous voulez intéresser le peuple, le peuple des métiers, à un mouvement d’art. Vous avez raison.
II y a longtemps que des jeunes s’acheminent pour causer avec lui : ils ont dû s’arrêter en route. Le peuple ne les a pas vus… Je veux être de vos amis… »

La revue mensuelle, « La Foire Aux Chimères« , qui porta ce groupe de poètes qui comportait également un sculpteur et un peintre, n’a parut que deux années, on y trouve de nombreux poèmes de Banville d’Hostel, dont celui-ci

Il avait des pensers aux ailes séraphiques,
Et son cœur pur était comme un doux reposoir
Fait de printemps fleuri tout grisé d’ostensoir,
Offert éperdument à la vierge biblique.

Et ses yeux, tout en haut de son long spectre noir,
Ses yeux d’illuminé abreuvés de cantiques,
Ses beaux yeux fous d’éther à la flamme extatique,
Brillaient du feu sacré des cierges dans le soir.

Mais la mort, en passant par le froid presbytère,
D’un geste maternel a scellé ses paupières.
Ses yeux n’auront rien vu de ce triste milieu.

Holà ! les

               … bleu

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15 Décembre 1904 …

… Paul Eluard, évoqué hier (dans ce lieu immatériel que je me permets de qualifier d’) ici, doit une partie de sa réussite, comme beaucoup d’autres surréalistes, en « début de carrière », à celui qui est né, dans la ville de Salonique et qui a fondé dans un modeste quartier de Paris une maison la maison d’édition GLM, dont le nom porte ses initiales, celles de Guy Lévis Mano
Voilà ce qu’en dit Francis Ambrière dans l’intransigeant du 12 janvier 1939

Une Librairie de la Poésie ? Elle nous manquait. Elle vient de s’ouvrir. C’est un joli cadeau pour les amis des lettres que nous fait là, si jeune encore, l’année 1939.
 Cette Librairie de la Poésie a tout ce qu’il faut, dès l’abord, pour séduire.
Vous pouvez parcourir la rue Huyghens dans toute sa longueur : je vous jure que vous ne l’apercevrez pas. Il est bon qu’une maison réservée aux poètes ne soit point d’un accès facile, et qu’il faille faire effort avant d’y pénétrer.
Sur le même trottoir que les puissants bâtiments des Editions Albin Michel, bastion du roman. — mais à l’autre bout — il vous faudra repérer une sorte de cour grise et nue. Le numéro 6 : c’est là. Entrez hardiment, allez au -fond, tournez une fois à droite, une fois à gauche : vous voilà dans une nouvelle cour, celle-là vaste et rectangulaire, sur laquelle s’ouvrent des ateliers de peintres. La première porte, tout près de vous, c’est la bonne.
Poussez -la sans crainte : Mme Marthe Pissarro vous y attend, tout environnée de livres…
C’est dans ce petit studio calme et retiré que sont nées, voilà cinq ou six ans, les Editions G. L. M.
Oh ! de modestes éditions ! Le jeune homme qui les a fondées et qui les a baptisées de ses initiales.
M. Guy Lévis-Mano, avait acquis à peu de frais des caractères, une presse, un stock de papier blanc, et s’était assuré-le concours de deux camarades. Tous trois aimaient d’un même amour la poésie et la typographie. De cette double passion naquirent quelques plaquettes min ces et ardentes, et l’on sut que l’avant-garde poétique avait enfin trouvé son point de ralliement. Après des jeunes comme Gisèle Prassinos, l’auteur de La Sauterelle arthritiques, des aînés à peine plus âgés, mais qui faisaient figure de guides — Paul Eluard, André Breton, Pierre-Jean Jouve — apportèrent leurs manuscrits à Guy Lévis Mano.
Les Editions G. L. M. étaient devenues le laboratoire, des recherches poétiques d’aujourd’hui. C’est conscient de ce succès spirituel — car pour l’autre il n’y faut pas compter ! — que Guy-Lévis Mano a décidé d’adjoindre à ses propres publications une Librairie de la Poésie. Tout ce qui paraît en France de jeunes revues in trouvables, de plaquettes éditées à grand’.peine dans de petites villes de province par des auteurs qui sortent du collège, tout ce qui s’imprime sur la poésie contemporaine doit trouver asile dans l’humble studio. Un centre national de documentation poétique ? Mais _ oui ; et une source d’enthousiasme où l’on viendra boire.
(…/…)
 Déjà M. Guy Lévis Mano s’inquiète de réunir les classiques de la jeune poésie. Il a réédité les Chants de Maldoror, et, après Lautréamont, il prépare une sorte d’anthologie où se grouperont tous les poètes qui se sont révélés après la guerre. Enfin, il inaugure une Revue murale qui, sur des panneaux de bois, offrira aux visiteurs un choix, renouvelé chaque mois, de poèmes manuscrits ou imprimés, de dessins, de photographies et d’essais typographiques. Tout n’est pas bon dans …

                            … morte.

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Ce que l’auteur de l’article ne mentionne pas, c’est la raison pour laquelle ces poètes surréalistes ont choisi ce petit éditeur.
Bien sur, il y a leur difficulté d’accès à de grande entreprise installées dans l’Edition, mais ce qui les a vraiment conquis est en rapport avec les talents de Guy Lévis Mano, dans les choix typographiques, la mise en page et aussi l’accord avec les illustrations (voir celle utilisé pour la grille destinée précédemment à ralentir la brulure vos yeux sur le texte.
Illustration destinée à Paul Eluard, dessinées par Valentine Hugo qui a exposé avec la plupart des peintres surréaliste – et eu une liaison avec Eluard- )

Ce que ne dit pas l’article est que Guy Lévis Mano est lui-même poète et a dirigé une revue de poésie. Revue apprécié ici par Madelaine Israël dans « L’Univers israélite » du 18 mars 1932

Il y a vraiment encore des faits héroïques : témoin cette belle revue de poésie « Minutes » que dirige Guy Levis-Mano.
Trois ou quatre fois par an, Guy Levis-Mano trouve moyen d’éditer de fort beaux poèmes dans une publication soignée et généralement avec de belles illustrations.
Celte fois-ci il s’est adressé à Jeanne Bergson. la fille de l’illustre philosophe, et à M. O. Klein pour, illustrer les poèmes sincères et émouvants de J. Vineuil : « Les rues sont grises ».
Jeanne Bergson avec force et chaleur, O. Klein avec grâce et séduction, ont rendu à merveille l’atmosphère de demi-réalité dans laquelle se meuvent les poèmes. Les deux dessinateurs ont trouvé de beaux accents pour dire la tristesse des rues qui vont vers le travail quotidien, le charme infiniment mélancolique des ciels d’automne et la lourdeur des corps ployant sous l’effort.
Ce sont de belles pages que celles-ci, qui méritaient d’être signalées.

Un poème de celui que ses amis appelaient GLM

de juin couleur d’automne
mois de juin trois brins d’or fanés
aux lèvres voyous du ciel
juin raté, printemps fantôme
mince décevant et nostalgique
comme un barbelé
Reproches reproches à l’automne
tous les épis ne seront pas moissonnés
Les hommes bras décharnés
comme arbres sans fruits
Reproches reproches à l’automne
pour les fruits qu’on n’a pas manges
Où est-elle ma confiance que je cherche
nourrie et cherchée et voulue
dix-huit cents nuits désertes
dix étoiles ont vainement doré la nuit
Dix-huit cents nuits
longues et frêles et préparées et parées
pour les aubes vierges guetteuses de poumons
Où sont les hommes aux revolvers salutaires
et aux yeux barrés de meurtres purs
Dix-huit cents nuits pour rien
et autant de jours plus blancs que les nuits.
Les cartes fabriquées aux murs
n’ont pas une ile où les vents soient des vents
Hommes sans poids comme girouettes aux vents
chaleur d’amour qui fond à la glace des étrangetés humaines
Il y a quatre murs
dedans un homme
il y a dix, cent,


un chant qui ne fait pas antichambre
pour pardonner
les dix-huit cents nuits

Guy LEVIS-MANO.

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Le 14 décembre 1895 …

… nait celui dont on dira qu’il est le poète de l’amour et de la résistance.

Une des épitaphes rédigées, 56 années plus tard (à la mort) de Paul Eluard dit en peu de mots beaucoup de lui.

« Paul Eluard vient de mourir. Il était parti du surréalisme, il avait prêché la révolte et chanté l’amour.

Mais l’heure du danger venue, pendant l’occupation, il fut aussi et surtout le poète de la Résistance. Son poème Liberté est aujourd’hui dans toutes les mémoires, il est enseigné dans les lycées, dans les écoles communales.

Eluard le tendre, l’élégiaque, avait su se montrer le plus violent et le plus juste dans la violence, quand elle avait été nécessaire. »

Deux mois avant, « Les cahiers du Sud » donnait son long poème « BLASON DÉDORÉ DE MES RÊVES » qui sera publié plus tard dans le recueil « Poésie ininterrompue » (disponible sur le site de la Bibliothèque Numérique Romande ici)

Dans ce rêve et pourtant j’étais presque éveillé
Je me croyais au seuil de la grande avalanche
Tête d’air renversée sous le poids de la terre
Ma trace était déjà dissipée j’étouffais
Dernier souffle premier gouffre définitif

Je respire souvent très mal je me confine
Moralement aussi surtout quand je suis seul

Dans ce rêve le temps de vivre était réduit
À sa plus simple expression naître et mourir
Mes vertèbres mes nerfs ma chair
Tremblaient bégayaient d’ignorance
Et je perdais mon apparence

J’en vins pour me sauver à rêver d’animaux
De chiens errants et fous de nocturnes immenses
D’insectes de bois sec et de grappes gluantes
Et de masses mouvantes
Plus confuses que des rochers
Plus compliquées que la forêt d’outre-chaleur
Où le soleil se glisse comme une névrite
Des animaux cachots tunnels et labyrinthes
Sur terre et sous terre oubliés
Des animaux au sein de l’eau qui les nourrit
À fleur de l’air qui les contient
Et des animaux décantés
Faits de tout et de rien
Comme les autres supposés
Sans parois immédiates sans rapports certains
Vertige dans la brume je restais en friche

Je figurais comme un mendiant
La nature et les éléments
Et ma chair pauvre mon sang riche
Et mes plumes vives fanées
Mes écailles ma peau vidée
Ma voix muette mon cœur sourd
Mon pelage mes griffes sûres
Ma course et mon cheminement
Ma ponte et mon éventrement
Ma mue et ma mort sans rupture
Mon corps absurde prisonnier
Des poussées de la vie en vrac
Ma fonction d’être reproduit
Interminablement
M’inclinaient toujours un peu plus
Vers le fond le plus inconscient

J’en vins pour me sauver à me croire animal
Voguent volent se terrent mes frissons d’enfant
Mes yeux jamais ouverts et mon vagissement
Je ne refuse pas l’hiver je vis encore
Dans l’embrasure de l’automne mais je passe
Aux premiers froids comme une feuille
Ou bien je meurs comme je nais sans majesté
Dans un gargouillement je suis la bulle éclose
Et crevée au soleil je tisse sans savoir
La toile la fourrure ou le bond sans fêlure
Qui me permettent de durer pour un instant
Nul n’a jamais ri ni pleuré
Je ne m’embourbe ni n’étouffe
Je ne me brûle ni me noie
Je suis le nombre indéfini
Au cœur d’une page de chiffres

Je suis fils de mes origines
J’en ai les rides les ravines
Le sang léger la sève épaisse
Les sommets flous les caves sombres
La rosée et la rouille
Je m’équilibre et je chavire
Comme les couches de terrain
Et je m’étale et je me traîne
Je brûle et je gèle à jamais
Et je suis insensible
Car mes sens engloutissent
La chute et l’ascension
La fleur et sa racine
Le ver et son cocon
Le diamant et la mine
L’œil et son horizon

Je ne suis ni lourd ni léger
Ni solitaire ni peuplé
Nul ne peut séparer
Ma chevelure de mes bras
Ni ma gorge de son silence
Ni ma lumière de ma nuit
Je suis la foule partout
Des profondeurs et des hauteurs
La grimace en creux en relief
La crispation de la distance
La clarté close ou provocante
Le masque posé sur la nacre
La glèbe creusée par la taupe
La vague enflée par le requin
La brise chantante d’oiseaux
Pour rien pour que tout continue
Dans un foyer brillant éteint
Et ranimé par un fétu

Les animaux sont la charnière
Des ailerons du mouvement
Ils ne connaissent ni naufrages
Ni décombres ils perpétuent
La longue alliance de la boue
Avec l’azur avec la pierre
Avec le flot avec la flamme
Dure et douce comme une bouche
Je ne peux pas me reposer
Je m’agrège au jeu sans issue
Au bruit sans couleur de musique
Il n’est pas question de régner
Ni de parler pour troubler l’ordre insane
Ni d’élever le talus de mon crâne
Plus haut que le buisson du jour
Ni de permettre à ma poitrine
Par son étrave de troubler
La lie de l’immobilité

Animal je n’ai rien qui me conduise ailleurs

Je ne dispose pas du temps il est entier
Ma poussière ignore les routes
La foudre anime mon squelette
Et la foudre m’immobilise
Je suis pour un printemps le battement de l’aile
Je glisse et passe sur l’air lisse
Je suis rompu par le fer rouge
De l’aurore et du crépuscule
La terre absorbe mon reflet
Je ne suis l’objet d’aucun doute
Je ne contemple rien je guette
La prolifération de l’ombre
Où je puis être et m’abolir
L’envie m’en vient sans réfléchir
Le mur que je frappe m’abat
Et je tombe et je me relève
Dans le même abîme essentiel
Dans la même absence d’images

Dessus dessous la vérité élémentaire
La vérité sans son contraire
Il n’est pas une erreur au monde
Le jour banal et la nuit ordinaire
Et des attaches pour toujours
Avec un point fixe la vie
Ni bonne ni mauvaise
Une vie absorbant la mort
Sans apparence de prestige

Nulle auréole pour le lion
Nul ongle d’or pour l’aigle
Et les hyènes n’ont pas de honte
Les poissons s’ignorent nageant
Aucun oiseau ne vole
Le lièvre court pour mettre un point
Au regard fixe de la chouette
L’araignée ne fait qu’une toile
Utile ou inutile un grenier une ruine

Je me sens m’en aller très bas
Très haut très près très loin très flou
Et net immense et plus petit
Que le ciel amassé pour moi
J’imite le plus machinal
Des gestes d’un lieudit la terre
Lune et soleil sont sans mystère
Non plus que l’épaule aux aisselles
Non plus que le vent à mes ailes

Blason dédoré de mes rêves
Ai-je fait mon deuil de moi-même

En me couchant comme la cendre sous la flamme
Ai-je abdiqué ne puis-je plus rien désigner
En me montrant du doigt moi si fier d’être au monde


Non je dors et malgré le pouvoir de la nuit
J’apprends comme un enfant que je vais m’éveiller
Mes draps sont le linceul de mes rêves je vis
Et du gouffre je passe à la lumière blonde
Et je respire comme un amoureux se pâme
Comme un fleuve se lisse sous une hirondelle

Je sais

                      … vis.

Le 13 Décembre 1984 …

… est le jour de la mort d’un poète espagnol, prix Nobel de littérature

Vicente Aleixandre a, très jeune, dès ses premiers essais en poésie, été remarqué par la critique.
On en jugera par la réception qu’en a fait un poète français et critique littéraire, Jean Cassou, proche de l’Espagne, étant né à Bilbao d’une mère andalouse.

(Extrait de son article publiée dans le Mercure de France du premier février 1929)

Le jeune poète Vicente Aleixandre, avec son recueil Ambito (Litoral, Malaga), vient d’atteindre du premier coup la maîtrise et la perfection. L’art qu’il a choisi ne souffre point, d’ailleurs, la moindre incertitude. Car il aspire à produire des objets denses, fermés sur eux-mêmes, et tels que ceux dont les peintures sévères de Juan Gris ou de Salvador Dali-nous donnent l’idée. C’est une poésie métallique et dont l’ambiance même est concrète, pesante, d’une évidence accablante et dure.
L’heure favorite des poèmes d’Aleixandre est la nuit, une nuit plombée et en même temps vivante, sensuelle, toute pleine d’une monstrueuse existence. Par une singulière et habile contradiction, les vers d’Aleixandre ne se brisent que pour représenter une plus étroite continuité. Ces ruptures brusques et fréquentes ne sont pas des respirations ; elles n’introduisent dans le poème aucune musique, ni aucun mouvement. Au contraire, le poème demeure statique, et tous les éléments qu’il évoque et signifie demeurent étroitement adhérents les uns sur les autres et comme moulés les uns sur les autres.

(…/…)
Ainsi ce petit recueil de poèmes est-il d’une impressionnante unité et révèle t-il, dans ses profondeurs intimes, une doctrine sévère. Il est rare de voir un poète trouver ainsi du premier coup une formule où l’inspiration lyrique et une doctrine originale se fondent aussi harmonieusement.

De ce recueil, le poème Malaga dans deux traductions différentes.

MALAGA

(Traduit de l’espagnol par Claude Couffon. – Revue des deux Mondes

Tu es toujours présente à mes yeux, ville de mes jours marins.
Suspendue à ce mont grandiose, à peine maintenue
en ta verticale plongée dans l’onde bleue,
tu semblés régner sous le ciel et sur les eaux,
immobile parmi l’espace, comme si une main heureuse
t’avait retenue, un instant de gloire, avant que tu ne t’engloutisses
parmi les vagues amoureuses.
Mais tu dures et jamais ne roules, et la mer après toi
soupire ou brame, ô ville de mes jours joyeux,
métropole très blanche où j’ai vécu et que j’évoque,
angélique cité qui, surplombant la mer, présides son écume.
Des rues, des rues à peine, légères, musicales. Des jardins
avec des fleurs tropicales qui dressent leurs grosses palmes
juvéniles.
Des palmes ailées de lumière, qui bercent sur les têtes
le scintillement de la brise, et qui suspendent
pour un instant des lèvres célestes appareillant
vers les îles magiques et lointaines
qui voguent, libérées, sur le ciel indigo.
Là-bas, là-bas aussi j’ai vécu, ô ville gracieuse, ville profonde.
Là-bas, où les jeunes gens glissent sur la pierre aimable,
et où les murs rutilants baisent toujours ceux qui toujours
passent et repassent, murs bouillonnants, étincelants.
Par une main maternelle là-bas je fus conduit.
D’une grille fleurie, une guitare triste .
chantait peut-être la chanson soudaine en suspens dans le
temps ;
la nuit était tranquille, plus tranquille l’amant,
sous la lune éternelle qui passe en chaque instant.
Un souffle d’éternité aura pu te détruire,
Ô ville prodigieuse, moment qui émergea dans le cerveau d’un
Dieu.
Les hommes ont vécu dans un rêve, ils n’ont pas vécu,
miroitements sans fin comme un souffle divin.
Des jardins, des fleurs. Et la mer qui palpite pareille à un bras
convoitant
la ville qui s’envole entre mont et abîme,
ville blanche dans l’air, chaude comme l’oiseau qui plane
et n’arrive jamais Ô ville hors de la terre !
Par cette main maternelle je fus porté et j’avançais,
léger, dans tes rues irréelles. Les pieds nus dans le jour.
Les pieds nus dans la nuit. Grande lune. Soleil pur.
Le ciel, là-bas, c’était toi, ville qu’il abritait,
Ô ville qui volais, les ailes grandes ouvertes !

MALAGA

(Traduit de l’espagnol par  Roger-Noël Mayer. – Poésie totale. Gallimard, 1977)

Mes yeux toujours te revoient, ville de mes jours marins.
Au mont imposant accrochée, ta chute verticale
dans les yeux bleues de justesse arrêtée,
tu sembles régner sous le ciel, sur les eaux,
suspendue dans les airs, comme si une main heureuse
t’avait retenue un instant de gloire, avant que tu ne t’enfonces
à jamais dans les vagues aimantes.

Mais tu dures et jamais ne descends, la mer soupire
ou rugit après toi, cité de mes jours joyeux,
cité mère et si blanche où j’ai vécu et que j’évoque,
angélique cité qui, dominant la mer, présides ses écumes.

Rues à peine, légères, musicales. Jardins
où les fleurs tropicales dressent leurs jeunes, fortes palmes.
Palmes de lumière, ailées, qui, sur les têtes
bercent l’éclat de la brise et retiennent
un instant les célestes lèvres appareillant
vers les très lointaines et magiques îles,
qui là-bas dans le ciel indigo, naviguent, libérées.

Là aussi j’ai vécu, cité gracieuse, cité profonde.
Là où les jeunes gens glissent sur la pierre aimable,
où les murs rutilants toujours baisent
ceux qui sans cesse passent, murs bouillonnants qui étincellent.

Là me conduisait une main maternelle.
D’une grille fleurie une guitare triste
peut-être chantait la soudaine chanson suspendue dans le temps ;
tranquille était la nuit, et plus encore l’amant
sous la lune éternelle qui passe en un instant.

Un souffle d’éternité aura pu te détruire,
cité prodigieuse, moment où dans l’esprit d’un Dieu tu émergeas.
Les hommes dans le rêve vécurent, ils n’ont pas vécu,
éternellement brillants comme un souffle divin.

Jardins, fleurs. Mer respirant comme un …

ne se pose. Ô cité qui n’es pas de ce monde !

Par cette main maternelle, je fus conduit léger
au long de tes rues irréelles. Pieds nus dans le jour.
Pieds nus dans la nuit. Lune immense. Soleil pur.
Là-bas le ciel c’était toi, ville qu’il abritait.
Ô ville qui volais les ailes déployées !

(Pour lire la grille… plus rapidement, cliquer ici)

Le texte original de Vicente Aleixandre, en espagnol :

Siempre te ven mis ojos, ciudad de mis días marinos.
Colgada del imponente monte, apenas detenida
en tu vertical caída a las ondas azules,
pareces reinar bajo el cielo, sobre las aguas,
intermedia en los aires, como si una mano dichosa
te hubiera retenido, un momento de gloria, antes de hundirte
para siempre en las olas amantes.

Pero tú duras, nunca desciendes, y el mar suspira
o brama, por ti, ciudad de mis días alegres,
ciudad madre y blanquísma donde viví, y recuerdo,
angélica ciudad que, más alta que el mar, presides sus espumas.

Calles apenas, leves, musicales. Jardines
donde flores tropicales elevan sus juveniles palmas gruesas.
Palmas de luz que sobre las cabezas aladas,
mecen el brillo de la brisa y suspenden
por un instante labios celestiales que cruzan
con destino a las islas remotísimas, mágicas,
que allá en el azul índigo, libertadas, navegan.

Allí también viví, allí, ciudad graciosa, ciudad honda.
Allí, donde los jóvenes resbalan sobre la piedra amable,
y donde las rutilantes paredes besan siempre
a quienes siempre cruzan, hervidores, en brillos.

Allí fui conducido por una mano materna.
Acaso de una reja florida una guitarra triste
cantaba la súbita canción suspendida en el tiempo;
quieta la noche, más quieto el amante,
bajo la luna eterna que instantánea transcurre.

Un soplo de eternidad pudo destruirte,
ciudad prodigiosa, momento que en la mente de un Dios emergiste.
Los hombres por un sueño vivieron, no vivieron,
eternamente fúlgidos como un soplo divino.

Jardines, flores. Mar alentado como un brazo que anhela
a la ciudad voladora entre monte y abismo,
blanca en los aires, con calidad de pájaro suspenso
que nunca arriba ¡Oh ciudad no en la tierra!

Por aquella mano materna fui llevado ligero
por tus calles ingrávidas. Pie desnudo en el día.
Pie desnudo en la noche. Luna grande. Sol puro.
Allí el cielo eras tú, ciudad que en él morabas.
Ciudad que en él volabas con tus alas abiertas.