(traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat)
Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose. Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde dont sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ?
[Toujours dans ce « Retour en Arrière ».]
Ici, on en apprend un peu plus sur Takver, cette femme qui est devenue la compagne de Shevek
Elle avait étudié la biologie à l’Institut Régional du Nord, en se distinguant suffisamment pour décider de venir à l’Institut Central afin d’y continuer ses études. Au bout d’une année, on lui avait demandé de se joindre à un nouveau syndicat qui organisait un laboratoire pour étudier les techniques d’accroissement et d’amélioration des réserves de poissons comestibles dans les trois océans d’Anarres. Quand les gens lui demandaient ce qu’elle faisait, elle répondait : « Je suis généticienne pour poissons. » Elle aimait ce travail ; il combinait les deux choses qu’elle estimait : la recherche positive, exacte, et un but spécifique d’amélioration ou d’accroissement. Sans un tel travail, elle n’aurait pas été satisfaite. Mais il était loin de lui suffire. La plupart des pensées qui traversaient l’esprit et le cœur de Takver n’avaient rien à voir avec la génétique des poissons.
Son intérêt pour les paysages et les créatures vivantes était passionnel. Cet intérêt, faiblement appelé « amour de la nature », semblait être pour Shevek quelque chose de bien plus vaste que l’amour. Il y a des esprits, pensait-il, dont l’ombilic n’a jamais été coupé. Ils ne sont jamais sevrés de l’univers.
Il était étrange de voir Takver prendre une feuille dans sa main, ou un caillou. Elle en devenait une extension, et l’objet une extension d’elle.
Elle montra à Shevek les aquariums d’eau de mer du laboratoire de recherche, dans lesquels nageaient cinquante espèces de poissons ou plus, grands et petits, de couleur terne ou éclatante, élégants et grotesques. Il fut fasciné, et un peu effrayé.
[Note] La dernière phrase, ce sentiment qui s’empare de Shevek concerne autant ce qu’il voit dans les aquariums que ce qu’il devine de correspondance en Takver.