(traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat)
Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose. Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde dont sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ?
[Retour au présent du roman.]
Shevek pensait se sentir étranger sur Urras, mais en fait tout sur cette planète – tout ce qu’on lui fait voir – le ravit – autour de lui il n’y a que gentillesse et prévenance, Shvek se sent dans un nouveau chez lui. Mais au cours de l’entretien qu’il a avec Pae, quelque chose en lui va être alerté.
La seule chose que tout le monde sache au sujet des Odoniens, je crois, c’est que vous ne buvez pas d’alcool. C’est vrai, au fait ?
— Certaines personnes distillent de l’alcool à partir de racines de holum fermentées, pour le boire. Ils disent que cela laisse libre cours à l’inconscient, comme l’entraînement à la communication intermentale. La plupart des gens préfèrent cette seconde solution, elle est très facile et ne provoque pas de maladie. Est-ce fréquent ici ?
— De boire, oui. Mais je ne connais pas cette maladie. Comment l’appelle-t-on ?
— L’alcoolisme, je crois.
— Oh, je vois… Mais que font les travailleurs sur Anarres quand ils veulent s’amuser un peu, échapper ensemble aux afflictions du monde pendant une nuit ?
Shevek parut embarrassé.
— Eh bien, nous… Je ne sais pas. Peut-être nos afflictions sont-elles inévitables ?
— Bizarre, dit Pae avec un sourire désarmant.
Shevek poursuivit sa lecture. Un des journaux était dans une langue qu’il ne connaissait pas, et un autre dans un alphabet entièrement différent. L’un était de Thu, expliqua Pae, et l’autre du Benbili, une nation de l’hémisphère occidental. Le journal de Thu était bien imprimé et d’un format plus petit ; Pae expliqua que c’était une publication gouvernementale.
— Ici, en A-Io, voyez-vous, les gens éduqués prennent leurs informations au téléfax, à la radio et à la télévision, et dans les revues hebdomadaires. Tandis que ces journaux sont lus presque uniquement par les classes inférieures – écrits par des semi-lettrés pour des semi-lettrés, comme vous pouvez le voir. La liberté de la presse est complète en A-Io, ce qui veut dire inévitablement que beaucoup de journaux ne renferment que des idioties. Le journal thuvien est bien mieux écrit, mais il donne uniquement les faits que le Présidium Central Thuvien veut y voir figurer. La censure est totale, en Thu. L’état est tout, et tout est pour l’état. Ce n’est certainement pas la place d’un Odonien, n’est-ce pas, monsieur ?
— Et ce journal ?
— Je n’en ai aucune idée. Le Benbili est un pays plutôt retardataire. Il y a toujours des révolutions.
— Un groupe de gens du Benbili nous a envoyé un message sur la longueur d’onde du Syndicat, peu avant mon départ d’Abbenay. Ils se disaient Odoniens. Y a-t-il de tels groupes ici, en A-Io ?
— Pas à ma connaissance, Dr Shevek.
Le mur.
son indifférence.
— Je crois que vous avez peur de moi, Pae, dit-il soudain, et avec cordialité.
— Peur de vous, monsieur ?
— Parce que je suis, par mon existence même, la réfutation de la nécessité de l’État. Mais qu’y a-t-il à craindre ? Je ne veux pas vous faire de mal, vous savez, Saio Pae. Je suis plutôt inoffensif… Écoutez, je ne suis pas docteur. Nous n’employons pas de titres honorifiques. On m’appelle Shevek.
— Je sais, je suis désolé, monsieur. Dans notre langue, voyez-vous, cela paraît irrespectueux. Cela ne va pas.
Il s’excusait avec beaucoup de charme, voulant se faire pardonner.
— Ne pouvez-vous pas me considérer comme un égal ? demanda Shevek, le regardant sans pardon ni colère.
Pae fut pour une fois embarrassé.
— Mais vraiment, monsieur, vous savez, vous êtes un homme très important…
— Il n’y a aucune raison de changer vos habitudes pour moi, répondit Shevek. Cela ne fait rien. Je pensais que vous seriez content d’être libéré de ces contingences, c’est tout.
[Note] Quel journal choisirions nous parmi ceux qui sont proposés à Shevek ? Et qui ressemblent un peu* à ceux de notre temps.
*(de plus en plus)
Il est des murs courtois sur lesquels on s’appuit. Ils sont parfois rêvés.*
🙂
*Pour un calendrier de l’avant assez similaire, avec une Ursula osée
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Le mur courtois ou l’amour courtois. Tout ceci est délicieusement (très) vieille France (sourire)²
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