Le 13 Décembre 1984 …

… est le jour de la mort d’un poète espagnol, prix Nobel de littérature

Vicente Aleixandre a, très jeune, dès ses premiers essais en poésie, été remarqué par la critique.
On en jugera par la réception qu’en a fait un poète français et critique littéraire, Jean Cassou, proche de l’Espagne, étant né à Bilbao d’une mère andalouse.

(Extrait de son article publiée dans le Mercure de France du premier février 1929)

Le jeune poète Vicente Aleixandre, avec son recueil Ambito (Litoral, Malaga), vient d’atteindre du premier coup la maîtrise et la perfection. L’art qu’il a choisi ne souffre point, d’ailleurs, la moindre incertitude. Car il aspire à produire des objets denses, fermés sur eux-mêmes, et tels que ceux dont les peintures sévères de Juan Gris ou de Salvador Dali-nous donnent l’idée. C’est une poésie métallique et dont l’ambiance même est concrète, pesante, d’une évidence accablante et dure.
L’heure favorite des poèmes d’Aleixandre est la nuit, une nuit plombée et en même temps vivante, sensuelle, toute pleine d’une monstrueuse existence. Par une singulière et habile contradiction, les vers d’Aleixandre ne se brisent que pour représenter une plus étroite continuité. Ces ruptures brusques et fréquentes ne sont pas des respirations ; elles n’introduisent dans le poème aucune musique, ni aucun mouvement. Au contraire, le poème demeure statique, et tous les éléments qu’il évoque et signifie demeurent étroitement adhérents les uns sur les autres et comme moulés les uns sur les autres.

(…/…)
Ainsi ce petit recueil de poèmes est-il d’une impressionnante unité et révèle t-il, dans ses profondeurs intimes, une doctrine sévère. Il est rare de voir un poète trouver ainsi du premier coup une formule où l’inspiration lyrique et une doctrine originale se fondent aussi harmonieusement.

De ce recueil, le poème Malaga dans deux traductions différentes.

MALAGA

(Traduit de l’espagnol par Claude Couffon. – Revue des deux Mondes

Tu es toujours présente à mes yeux, ville de mes jours marins.
Suspendue à ce mont grandiose, à peine maintenue
en ta verticale plongée dans l’onde bleue,
tu semblés régner sous le ciel et sur les eaux,
immobile parmi l’espace, comme si une main heureuse
t’avait retenue, un instant de gloire, avant que tu ne t’engloutisses
parmi les vagues amoureuses.
Mais tu dures et jamais ne roules, et la mer après toi
soupire ou brame, ô ville de mes jours joyeux,
métropole très blanche où j’ai vécu et que j’évoque,
angélique cité qui, surplombant la mer, présides son écume.
Des rues, des rues à peine, légères, musicales. Des jardins
avec des fleurs tropicales qui dressent leurs grosses palmes
juvéniles.
Des palmes ailées de lumière, qui bercent sur les têtes
le scintillement de la brise, et qui suspendent
pour un instant des lèvres célestes appareillant
vers les îles magiques et lointaines
qui voguent, libérées, sur le ciel indigo.
Là-bas, là-bas aussi j’ai vécu, ô ville gracieuse, ville profonde.
Là-bas, où les jeunes gens glissent sur la pierre aimable,
et où les murs rutilants baisent toujours ceux qui toujours
passent et repassent, murs bouillonnants, étincelants.
Par une main maternelle là-bas je fus conduit.
D’une grille fleurie, une guitare triste .
chantait peut-être la chanson soudaine en suspens dans le
temps ;
la nuit était tranquille, plus tranquille l’amant,
sous la lune éternelle qui passe en chaque instant.
Un souffle d’éternité aura pu te détruire,
Ô ville prodigieuse, moment qui émergea dans le cerveau d’un
Dieu.
Les hommes ont vécu dans un rêve, ils n’ont pas vécu,
miroitements sans fin comme un souffle divin.
Des jardins, des fleurs. Et la mer qui palpite pareille à un bras
convoitant
la ville qui s’envole entre mont et abîme,
ville blanche dans l’air, chaude comme l’oiseau qui plane
et n’arrive jamais Ô ville hors de la terre !
Par cette main maternelle je fus porté et j’avançais,
léger, dans tes rues irréelles. Les pieds nus dans le jour.
Les pieds nus dans la nuit. Grande lune. Soleil pur.
Le ciel, là-bas, c’était toi, ville qu’il abritait,
Ô ville qui volais, les ailes grandes ouvertes !

MALAGA

(Traduit de l’espagnol par  Roger-Noël Mayer. – Poésie totale. Gallimard, 1977)

Mes yeux toujours te revoient, ville de mes jours marins.
Au mont imposant accrochée, ta chute verticale
dans les yeux bleues de justesse arrêtée,
tu sembles régner sous le ciel, sur les eaux,
suspendue dans les airs, comme si une main heureuse
t’avait retenue un instant de gloire, avant que tu ne t’enfonces
à jamais dans les vagues aimantes.

Mais tu dures et jamais ne descends, la mer soupire
ou rugit après toi, cité de mes jours joyeux,
cité mère et si blanche où j’ai vécu et que j’évoque,
angélique cité qui, dominant la mer, présides ses écumes.

Rues à peine, légères, musicales. Jardins
où les fleurs tropicales dressent leurs jeunes, fortes palmes.
Palmes de lumière, ailées, qui, sur les têtes
bercent l’éclat de la brise et retiennent
un instant les célestes lèvres appareillant
vers les très lointaines et magiques îles,
qui là-bas dans le ciel indigo, naviguent, libérées.

Là aussi j’ai vécu, cité gracieuse, cité profonde.
Là où les jeunes gens glissent sur la pierre aimable,
où les murs rutilants toujours baisent
ceux qui sans cesse passent, murs bouillonnants qui étincellent.

Là me conduisait une main maternelle.
D’une grille fleurie une guitare triste
peut-être chantait la soudaine chanson suspendue dans le temps ;
tranquille était la nuit, et plus encore l’amant
sous la lune éternelle qui passe en un instant.

Un souffle d’éternité aura pu te détruire,
cité prodigieuse, moment où dans l’esprit d’un Dieu tu émergeas.
Les hommes dans le rêve vécurent, ils n’ont pas vécu,
éternellement brillants comme un souffle divin.

Jardins, fleurs. Mer respirant comme un …

ne se pose. Ô cité qui n’es pas de ce monde !

Par cette main maternelle, je fus conduit léger
au long de tes rues irréelles. Pieds nus dans le jour.
Pieds nus dans la nuit. Lune immense. Soleil pur.
Là-bas le ciel c’était toi, ville qu’il abritait.
Ô ville qui volais les ailes déployées !

(Pour lire la grille… plus rapidement, cliquer ici)

Le texte original de Vicente Aleixandre, en espagnol :

Siempre te ven mis ojos, ciudad de mis días marinos.
Colgada del imponente monte, apenas detenida
en tu vertical caída a las ondas azules,
pareces reinar bajo el cielo, sobre las aguas,
intermedia en los aires, como si una mano dichosa
te hubiera retenido, un momento de gloria, antes de hundirte
para siempre en las olas amantes.

Pero tú duras, nunca desciendes, y el mar suspira
o brama, por ti, ciudad de mis días alegres,
ciudad madre y blanquísma donde viví, y recuerdo,
angélica ciudad que, más alta que el mar, presides sus espumas.

Calles apenas, leves, musicales. Jardines
donde flores tropicales elevan sus juveniles palmas gruesas.
Palmas de luz que sobre las cabezas aladas,
mecen el brillo de la brisa y suspenden
por un instante labios celestiales que cruzan
con destino a las islas remotísimas, mágicas,
que allá en el azul índigo, libertadas, navegan.

Allí también viví, allí, ciudad graciosa, ciudad honda.
Allí, donde los jóvenes resbalan sobre la piedra amable,
y donde las rutilantes paredes besan siempre
a quienes siempre cruzan, hervidores, en brillos.

Allí fui conducido por una mano materna.
Acaso de una reja florida una guitarra triste
cantaba la súbita canción suspendida en el tiempo;
quieta la noche, más quieto el amante,
bajo la luna eterna que instantánea transcurre.

Un soplo de eternidad pudo destruirte,
ciudad prodigiosa, momento que en la mente de un Dios emergiste.
Los hombres por un sueño vivieron, no vivieron,
eternamente fúlgidos como un soplo divino.

Jardines, flores. Mar alentado como un brazo que anhela
a la ciudad voladora entre monte y abismo,
blanca en los aires, con calidad de pájaro suspenso
que nunca arriba ¡Oh ciudad no en la tierra!

Por aquella mano materna fui llevado ligero
por tus calles ingrávidas. Pie desnudo en el día.
Pie desnudo en la noche. Luna grande. Sol puro.
Allí el cielo eras tú, ciudad que en él morabas.
Ciudad que en él volabas con tus alas abiertas.

27 Novembre 1891 …

… est le jour de naissance (à Madrid) du grand poète et professeur de nationalité Espagnole, Pedro Salinas.

Pour l’évoquer, en ses qualités, convoquons l’hommage que lui fit soixante ans plus tard Jean-Louis Flecniakoska dans les Cahiers du Sud

Le poète espagnol Pedro Salinas est mort dans le courant du mois de décembre 1951 ; il avait cinquante neuf ans. L’événement est resté à peu près inaperçu en France ; un télégramme annonça la nouvelle à la grande presse qui se borna à la répéter laconiquement, tandis que des hebdomadaires, peu nombreux, ne renvoyaient que des échos légèrement amplifiés.

Pedro Salinas a disparu de notre univers avec cette même discrétion qui a marqué sa vie tout entière et qui demeure l’un des aspects les plus significatifs de son œuvre.
(…)
Pedro Salinas alliait à une culture étendue et solide les dons d’artiste les plus remarquables et les qualités de cœur que se sont plu à souligner tous ceux qui ont eu la borne fortune de l’approcher.
Ce n’est pas sans émotion que nous nous rappelons la haute silhouette du poète dont les yeux clairs exprimaient à la fois tant de sérénité, de bonté, lorsque nous allions lui demander renseignements et conseils, en 1935-36, alors qu’il présidait, avec une délicate, mais effective autorité, aux destinées du Centro de Estudios Historiens de Madrid où s’élaborait, dans l’enthousiasme, la formation d’une fervente jeunesse qui aurait pu être l’élite de la nouvelle République si celle-ci n’avait été torpillée avant d’avoir atteint sa maturité. (Note : Allusion à la guerre d’Espagne, qui contraignit Pedro Salinas à l’exil en Amérique du Nord, lieu de son décès (Boston))
(…)
Pedro Salinas aimait la France, — sans redondance et sans trémolo dans la voix — avec une sincérité qui touchait parce que tout éclat en était banni et peut-être aussi parce qu’il n’hésitait pas à en jauger les grandeurs et les petitesses. (Note :Les Espagnols étudient davantage la littérature française qu’en France … toute autre littérature)
Exquis connaisseur des arcanes de notre langue et de notre pensée, c’est lui qui fit apprécier, en Espagne, la prose de Marcel Proust, grâce à d’excellentes traductions de « l’Ombre des jeunes filles en fleurs » et de « Du côté de chez Swann » dans lesquelles il a su sauvegarder l’esprit de fine analyse, la richesse le l’expression et la subtilité verbale, malgré toute la difficulté que peut présenter la psychologie proustienne en langage castillan.
(…)
Pedro Salinas restera avant tout l’un des plus grands poètes de l’Espagne contemporaine au côté d’Antonio Machado, Juan Ramôn Jimenez, Federico Garda Lorca, Jorge Guillén, José Bergamin et Rafael Albert!.
(…)
…A travers ces diverses œuvres poétiques nous pouvons découvrir la courbe de l’évolution salinienne qui va de la quiétude d’une analyse subtile et sereine des moindres détails de la vie du cœur et des sens à l’angoisse qui s’empare du poète au lendemain des guerres sanglantes qui ont frappé l’Espagne d’abord et le monde ensuite.
L’auteur s’attache à chanter, comme son aîné Antonio Machado (…) les démarches intimes du cœur humain. Il abandonne les grands thèmes de la génération de « 98 », laquelle s’acharnait à tout rattacher au problème de l’Espagne « essentielle» (…) en même temps qu’il s’éloigne du faux cosmopolitisme, du «Modernisme » aux fanfares éclatantes, aux pavois chatoyants, aux amours à la fois faunesses et versaillesques.
(…)
Pedro Salinas demeure le chantre des mille petits détails qui sont le lot d’une intimité dénuée de toute prétention démesurée à la connaissance du monde et des hommes.
(…)
Tout en restant la poésie du détail, et même du détail apparemment insignifiant, l’œuvre de Pedro Satinas n’est pas une mièvre peinture des objets ou des événements mineurs de la vie quotidienne, non plus qu’une description réaliste d’un inonde familier. Chacun d’entre eux est élu pour les résonances psychiques qu’il fait naître et qui, en cercles concentriques, autour du thème initial, se multiplient et s’amplifient pour se perdre dans un doux susurrement qui laisse une impression de suprême délicatesse malgré son amplitude et son inéluctable néantisation.
(…)
Une feuille morte emportée par le vent d’automne s’envole-t elle sers l’autre hémisphère ; elle n’arrêtera sa course folle qu’en un pays où règne ce que l’homme appelle le printemps pour lui rappeler que cette délicieuse saison n’est qu’un état transitoire comme sa propre vie dont l’image charnelle, peu à peu, s’estompe ainsi que le chante le poème Morts, dans lequel on voit disparaître tour a tour le souvenir du timbre de la voix, du son du pas sur le pavé, du sourire, du regard, de la couleur du vêtement et même de cette chair palpitante dont bientôt il ne reste plus que le nom avec ses sept lettres. Hélas, constate le poète …

dans cet extrait de poème …

(Pour lire la grille plus facilement, cliquer ici)

(…)
Pedro Salinas n’a pas cessé, tout au long de son œuvre, de manifester le désir constant qui l’animait de se créer un monde où la mort n’aurait pas sa place, mais où le rêve s’épanouirait avec son éternelle aurore.

Le thème majeur de son œuvre, toujours plus présent au fil de ses écrits poétiques, est l’Amour.

Il y a quelque chose de mieux.
Il y a un quelque chose,
un pur amour qui plane
sur des airs surhumains
— galant de ce qui se cache —
et qui peut plus et plus haut
Ce quelque chose, c’est toute une existence qui se consacre

à la recherche du signe
que ni la fleur ni la pierre
ne veulent livrer

Pedro Salinas n’en est pas moins profondément ancré au présent, à un présent qui l’inquiète, pour ce qu’il en connaît et pour les chemins qu’il lui voit prendre.
L’œuvre d’art qui persiste représente cette victoire

« sur le tapis vert du temps, contre le temps banquier »,

dont nous parle Pedro Salinas dans sa préface à Tout plus clair. L’auteur de Zéro constate, hélas ! dans cette même préface, que

« dans les temples du progrès, on élabore d’une façon rationnelle la technique d’une régression définitive de l’être humain, le retour de l’être au non être ».

Le chantre délicat des intimités, délicieusement sceptiques, de l’éternel plastique et dont

« la poésie est toujours une œuvre de charité et de clarté »

ne reste pas insensible aux destructions qui menacent notre inonde meurtri par la guerre et qui semble se précipiter vers d’autres catastrophes plus terribles encore. Alors, sortant de la tour d’ivoire des contemplations intérieures, l’homme Européen par le cœur. Américain d’adoption et Espagnol de naissance — se révolte et, dans le

« vaste dessein de faire naître dans la conscience de quelque humain la sainte horreur d’une œuvre des hommes, dont il évite l’exacte désignation et le nom propre… comme le nom d’un péché qu’on n’ose pas nommer »

Il dénonce la monstruosité du plus affreux des moyens de destruction, ce nouveau zéro qui mûrit et qui aura sa dévotion ainsi que le prophétisait Antonio Machado.
Sans grandiloquence. Pedro Salinas, en termes douloureusement simples, dépeint d’abord cet acte insignifiant en soi, acte aveugle, impersonnel :

Bile tomba, aveugle. Il la lâcha,
ils la lâchèrent, à six mille
mètres de hauteur, à quatre heures.

Il remplit son obligation,
ce que les vingt cadrans
des instruments ordonnaient,
exactement, la lâcher
au moment exact :

Rien.
Au début,
il ne vit presque rien. Une
tache blanche, grandissant lentement,
blanche, plus blanche et maintenant candide (20).
Les nuages blancs, à première vue, ne peuvent pas faire de mal.
Serait-ce quelque immense troupeau d’agneaux, quelque chute extraordinaire
de flocons de neige ? Hélas ! derrière tant de blancheur immaculée,
sur la terre,

où le zéro tomba,
le grand désastre commençait

Le Texte qui suit est un poème d’amour. On y retrouve ce qui caractérise Pedro Salinas autant dans le thème que dans son expression poétique à savoir la puissance des images et leur échos sensuels en même temps qu’une gestion de la temporalité inventive et qui contribue grandement à « l’accueil » du lecteur au sein du poème.

«…La Voz a ti Debida »
(Titre emprunté à Garcilaso de la Vega)

Eglogue III

Tu vis toujours dans tes actes.
Du bout des doigts
tu fais vibrer le monde, tu lui arraches
aurores, triomphes, couleurs,
joies : c’est ta musique.
La vie, c’est ce que tu touches.
De tes yeux seulement
Sort la lumière qui guide
tes pas. Tu marches
parce que tu vois. C’est tout.
Et si un doute te fait
signe à dix mille kilomètres
tu laisses tout, tu te lances
sur des proues, sur des ailes,
tu es déjà là : de tes baisers,
de tes dents, tu le mets en pièces,
et le doute n’est plus.
Jamais, toi, tu ne peux douter.
Car, les mystères, tu les as
retournés. Et tes énigmes,
ce que jamais tu ne comprendras,
ce sont ces choses si claires :
le sable où tu t’étends,
le mouvement de ta montre
et le tendre corps rosé
que tu trouves dans ton miroir,
chaque matin, à ton réveil,
et qui est le tien. Les prodiges
qui sont déjà déchiffrés.
Et jamais tu ne t’es trompée,
sauf une fois, un soir,
où tu t’es éprise d’une ombre
— la seule qui t’ait plu —
On eût dit une ombre.
Et tu voulus l’étreindre
Et c’était moi.

                 *
               *   *

Peur. De toi. T’aimer
c’est le plus grand risque.
Multiples, toi et ta vie.
Je t’ai, celle d’aujourd’hui;
Je la connais, j’entre
par de faciles labyrinthes,
grâce à toi, à ta main.
Ils sont à moi, oui, maintenant.
Mais toi, tu es
ton propre au-delà,
comme la lumière et le monde :
jours, nuits, étés,
hivers se succédant.
Fatalement tu varies
sans laisser d’être toi,
dans ta variété même,
par la fidélité
constante du changement.

Dis-moi, pourrai-je vivre
sous ces autres climats,
ou futurs, ou lumières
que tu élabores, toi,
comme le fruit son jus,
pour ton lendemain ?
Ou bien ne serai-je que
ce qui naquit pour un seul
de tes jours {mon jour éternel)
pour un printemps
(en moi toujours fleuri)
sans pouvoir vivre encore
quand arriveront
se succédant en toi,
inévitablement,
les forces et les vents
nouveaux, les lumières tout autres
qui déjà, attendent le moment
d’être ta vie, en toi !


                 *
               *   *
Là-bas, au-delà du rire
on ne peut pas te reconnaitre.
Tu vas et viens, tu glisses
sur un monde de valses
gelées, sur la pente inclinée;
et en passant, les caprices,
les baisers, sans Vocation,
rapides, te soulèvent,
toi, la momentanée
captive de la facilité.
Qu’elle est gaie ! disent-ils.
Et c’est que tu veux, alors,
être cet autre
qui te ressemble tellement
à toi-même, que c’est ainsi
que j’ai peur de te perdre.
Je te suis. J’attends. Je sais
que lorsque tu ne seras plus regardée
par les tunnels ni les étoiles,
que lorsque le monde croira
savoir qui tu es
et qu’il dira : « Maintenant je sais »
tu déferas un nœud,
les bras en l’air,
sous tes cheveux,
tout en me regardant.
Sans bruit de cristal
par terre tombera,
léger masque
inutile, ton rire.
Et en te voyant dans l’amour
que toujours je te tends
comme un miroir ardent,
tu reconnaîtras
un visage sérieux, grave,
une inconnue


grande, pâle et triste
qui est mon amante. Et qui m’aime
au-delà du rire.
                 *
               *   *
Point n’ai besoin de temps
pour savoir ce que tu es :
se connaître c’est un éclair.
Qui pourrait te connaître, toi,
par ce que tu tais, ou par les mots
avec lesquels tu le tais ?
Celui qui te cherchera dans ta vie
ne pourra savoir de toi
que des allusions,
des prétextes où tu te caches.
Te poursuivre dans le passé,
dans ce que tu fis naguère,
additionner acte et sourire,
années et noms, ce serait
te perdre. Moi, non.
Je t’ai connue, dans l’orage,
Je t’ai connue, soudaine,
dans le déchirement brutal
des ténèbres et de la lumière,
là où se révèle le fond
qui échappe au jour et à la nuit.
Je te vis, tu m’as vue, et maintenant
dévêtue à jamais de l’équivoque,
de l’histoire, du passé,
toi, amazone de l’éclair,
palpitante de la récente
arrivée, sans que je t’ai attendue,
tu es à moi depuis fort longtemps,
je te connais il y a tant de jours,
que dans ton amour je ferme les yeux,
et que je marche sans erreur,
à tâtons, sans rien demander
à cette lumière lente et sure
dans laquelle on connaît lettres
et formes, on fait des comptes,
et l’on croit voir
celle que tu es, toi, mon invisible.
Horizontale, oui, je t’aime.
Le ciel, regarde-le
face à face. Ne cherche plus
à feindre un équilibre
qui nous fait pleurer toi et moi.
Rends-toi
à la grande vérité finale,
à ce que tu dois être avec moi,
étendue, parallèle,
dans la mort ou le baiser.
La nuit est horizontale
sur la mer, une grande masse tremblante
couchée sur la terre,
vaincue sur la grève.
Être debout, mensonge,
rien que courir ou s’étendre.
Et, ce que nous voulons, toi et moi,
comme le jour — bien fatigué
d’être debout avec sa lumière —
c’est que nous arrive en pleine vie,
dans un tremblement de mort,
à la pointe extrême du baiser,
le moment d’être rendus,
par l’amour le plus aérien
au poids d’un être de terre,
matière, chair vivante.
Dans la nuit et l’après-nuit,
dans l’amour et après l’amour,
enfin changés, toi et moi,
en horizons définitifs
de nous-mêmes.

Ce que tu es
me distrait de ce que tu dis.

Tu lances des mots rapides,
pavoises de rires,
m’invitant
à aller où ils me conduiront.
Je ne t’écoute pas, je ne les suis pas,
je reste, regardant
les lèvres où ils sont nés.

Soudain tu regardes au loin,
Là-bas tu fixes ton regard
je ne sais sur quoi, et voilà lancée
pour le chercher ton âme
aiguisée de flèche.
Moi je ne suis pas ton regard
je te vois regarder.

Et si tu désires quelque chose
je ne pense pas à ce que tu veux,
et je ne l’envie pas : cela n’est rien.

Tu le veux aujourd’hui, tu le désires,
tu l’oublieras demain
pour un autre caprice
Non. Je t’attends au-delà
des limites et des frontières
dans ce qui ne peut passer



Pedro Salinas
1934
(traduit par Suzanne Brau)

Profiter d’une crise

( Pour une comparaison entre la France et l’Allemagne, l’Italie, les USA
au format PDF
Tableau comparatif France et USA- 21-04-2020

Tableau comparatif France et Italie 21-04-2020

Tableau comparatif France et Allemagne – 21-04-2020

Tableau Excel
Tableau comparatif France et Allemagne Italie USA – 21-04-2020 )

 

 

 

Pour profiter d’une crise et imposer des réponses,
à soi, favorables,IL N’ EST PAS UTILE -le-i

OU DE LES-let-i


Pourquoi citer uniquement l’Italie et l’Espagne, c’est à dire les pays qui ont proposé comme la France un confinement très rigoureux (Excessif ?) et très vigoureux (Brutal ?) et pas l’Allemagne ? Où les aires de promenade (parcs, jardins publics etc.) sont restées ouvertes.
Pourquoi donner les chiffres des USA comme les plus importants de tous les pays, sans indiquer un ratio* qui serait bien plus parlant, puisque c’est aussi le pays le plus peuplé (hors la Chine, s’est mise hors de l’épidémie, mais à la merci de tout nouveau cas à propagation rapide, puisqu’aucune immunité n’a été acquise de la part des régions non concernées jusqu’alors.

Létalité et contamination comparée (ration) : France / USA

Létalité et ration des nombres de cas France - USA

La contamination est plus forte aux USA qu’en France.
Ce qui est normal compte tenu du choix fait de parvenir plus rapidement au pic, en pariant sur le fait que la reprise économique et la faible durée de l’épidémie fera moins de mort qu’un étalement de celle-ci avec un pic peu visible, et une descente très lente en plateau (nécessitant éventuellement une reprise de confinement)

Mais la donnée importante est ailleurs. On voit qu’aujourd’hui encore, la létalité du covid 19 est 3 fois plus grande en France qu’au USA (elle est 6 fois plus grande que celle de l’Allemagne.)


Pour avoir une idée des tendances des pays qui ont choisi ou non un confinement dur.cas actifs en espagne le 18 avril 2020

L’Espagne, dont on dit qu’elle a dépassé le pic de l’épidémie a un nombre de cas actifs qui au mieux stagne, au pire repart parfois à la hausse.

cas actifs en Italie le 18 avril 2020-

L’Italie a une courbe très semblable avec, semble-t-il un pic, avec une descente qui s’annonce lente. (Retardant le déconfinement ?)

cas actifs en France le 18 avril 2020-

La France, à laquelle beaucoup d’observateurs ont reproché des résultats peu fiables (données parvenue un jour après et donc rattrapage faussant la courbe et rendant difficile la vision d’une tendance.) On voit 4 moment qui auraient pu faire croire à l’arrivée d’un pic.
Courbe assez similaire aux deux autres pays à confinement dur.

cas actifs aux USA le 18 avril 2020

Une pente assez raide, qui démarre bien plus tard et qui montre une augmentation importante des cas.
Qui correspond à la politique menée (espérant une baisse aussi rapide que la montée) et fait espérer une descente tout aussi rapide.

Les difficultés des USA tiennent au fait que le système de santé n’a rien à voir avec l’autre pays qui n’a pas confiné strictement, à savoir l’Allemagne. Mais l’atout des USA est que la population (et c’est la tradition même des fondateurs de ce pays) ont une mentalité très différente (notamment hors des grandes villes modernes) de celle des pays européen. La valeur qui prime avant tout (celle mise en avant par ceux qui ont « conquis » ces territoires) est la liberté. C’est pourquoi on a pu y voir des manifestations de désobéissance massive aux décrets de confinement.

cas actifs en Allemagne le 18 avril 2020-

Avec ici aussi un démarrage plus tardif que dans les trois pays à strict confinement, on voir une montée des cas très rapide (liée à la mortalité la plus faible de l’Europe).
Le pic est très visible et la « descente est très nette.

 

HUIT HISTOIRES DE FANTÔMES – La petite voix des morts – JEAN-BAPTISTE FERRERO – 2

Huit histoires de fantômes - la petite voix des morts - couverture« Le monde est une vaste chambre pleine de recoins, de cachettes et d’ombres où se dissimulent des ombres. La plupart
des gens ne s’en rendent pas compte, tout occupés qu’ils sont à se livrer à de graves et inutiles affaires de première importance. Ils s’agitent, caquètent, paradent et se pavanent, amoureux de leurs reflets dans les flaques d’eau et aveugles, sourds à tout ce qui n’est pas eux.
Moi, j’ai arrêté de jouer il y a longtemps.
Quand Elle est partie. »
(De la préface)

Une présentation chez les cosaques des frontières

L’oeuvre est disponible à l’achat au format epub ou pdf
aux éditions Qazak (de Jan Doets)  ici




MA MERE CAUSAIT - letc1


     Ralentir davantage la lecture
(cliquer)

MA MERE CAUSAIT - letcr1

Extrait de « Huit histoires de fantômes – la petite voix des morts »
de Jean-Baptiste Ferrero

Itinéraire de lecture

MA MERE CAUSAIT - s

 —

 En clair  sur babelio

*

MA MERE CAUSAIT - txt0

Extrait plus long
MA MERE CAUSAIT - txt1


Merci de signaler une erreur 


Il faut dire que dans ma famille on est tous un peu fêlés, bizarres, branques, pas finis ou du moins pas comme il aurait fallu. On voit des choses. On entend des choses. On sent des choses. J’ai une frangine qui fait tourner les tables et qui pourrait sans doute faire de la mayonnaise rien qu’en regardant des œufs. Ma mère causait aux fantômes et j’ai une aïeule qui était sorcière, là–bas, en Espagne.
Un peu lourd comme hérédité non ?