… nait Christian Dotremont, qui ( pour certains de ses textes poétiques) inventera les « peintures de mots » ou « logogramme » (mot qui existait déjà).
Porteur d’un nouveau courant surréaliste qui entend mettre Breton au rencart (il aurait « fait son temps »), Dotremont et quelques artistes, Belges comme lui, prônent un surréalisme plus débridé encore, notamment dans sa dimension érotique. Mais tout comme dans le groupe de Breton, le courant des surréalistes belges du groupe Dotremont ( mouvement Cobra) est tiraillé par des problèmes d’égo et de luttes internes en rapport. Ainsi Dotremont a pu dire « Alechinsky (peintre avec lequel il a collaboré dans des productions graphique et poétique) est un des principaux falsificateurs de Cobra »…
« mon rôle est sous-estimé, ainsi aussi Cobra est faussé. Par contre, le rôle d’Alechinsky, notamment, est surestimé ». ou encore « Je suis à peu près seul, encore, à comprendre l’importance historique du phénomène surréaliste révolutionnaire et du phénomène Cobra. En tout cas, seul à lutter ».
Il est vrai que sans lui le groupe Cobra n’aurait pas vécu très longtemps.
Un Poème de Christian Dotremont, l’illustration est de Pierre Alechinsky (produite pour un autre poème de Dotremont (voir ici et merci à Angèle Paoli )
Kara
Kara petit nœud de rien du tout deux mains serrées au sein des glissements
Petit ruban de terre sur les cheveux sur les fourrures des monts et des vaux
Drap tendu qui sèche entre les Gorges sur les bras de la première pluie
Karapitale des bois de l’âge que j’avais quand je serai vieux
Où les rennes tordent un cri les yeux à l’égyptienne
Pincée de cordes de cornes à tue-tête avec le rien
Mon grand Nord qui dort la gueule ouverte sur toi petit piège chaud
Lasso assis sur la carte blanche de l’espace étalé
… nait Pierre Louÿs qui produira une œuvre abondante et en partie teintée d’érotisme, dont sa poésie.
Au lendemain de sa Mort, dans la misère alors qu’il était paralysé et presque aveugle, comme c’est très fréquemment le cas pour ceux qui ont connu, après une période de gloire, l’oubli profond, la presse le redécouvrit et pour une part, lui reconnut du talent.
Ainsi, on pouvait lire dans le Figaro
Nous avons demandé aux quelques amis les plus intimes de Pierre Louÿs de vouloir bien évoquer pour nos lecteurs le-souvenir du grand écrivain disparu.
Le résultat de cette requête tardive, en faveur du disparu …
Réponse de Madame Rachilde
une adorable tête de jeune fille se tournait vers nous, osant, rire, une jolie petite blanchisseuse, que toute cette gaîté voisine surexcitait beaucoup. Attention fit Pierre Louÿs, je-vais prendre la beauté au lasso Et d’un geste adroit il lança un serpentin qui s’enroula, au cou de la jolie, personne. Je vois encore le poète et la beauté; unis par ce souple ruban de papier. Quel était le prisonnier, des deux ?
Réponse de la Duchesse E. de Clermont Tonnerre
… Pareil à cette nymphe Pierre Louÿs est déjà transmué en un marbre pur. Le temps ne pourra altérer le grain glorieux de ses souples phrases.
Ce grand artiste verbal ne se laissa jamais entrainer par une débauche de mots. Les images, voluptueuses qui flottaient à l’intérieur de sa pensée, sans emportement, il les fixa avec la précision d’un savant et le génie d’un poète. L’auteur d’Aphrodite a laissé une Poétique où il enferme les lois sévères, qui furent siennes :
«Croire en la Muse. Lui offrir le silence et la solitude. Espérer sa grâce.»
L’éloge occupe une demi-page du journal, j’en donne ici la fin.
Cet artiste parfait avait trouvé un moule magnifique où couler ses belles phrases, et sa haute écriture violette inspira ces vers à une de ses amies : «Flèche-fleur, il écrit, alignant des iris»
L’ensemble des témoignages tend à faire douter de l’isolement et de son retrait total à la fin de sa vie. Une des réponses à l’invitation du Figaro révèle un (double) trait de caractère de Pierre Louÿs.
L’affection qu’il; portait à ses amis était sans bornes. Il fut tirés ému un jour que l’un d’eux lui récitât par cœur un poème de Paul Valéry qui venait de paraître. Une fois, il ne put retenir ses larmes en rappelant une représentation du Faust de Marlowe monté par Paul Fort, aux temps héroïques de celui-ci, représentation à laquelle assistait Sarcey tout bouffi d’importance et de sottise et ricanant avec ostentation. « Jamais, disait Pierre Louys, je n’ai-senti à ce point ce qu’est l’envie de commettre un assassinat ».
La poésie occupe une grande place dans l’œuvre de Pierre Louÿs. Ce qui suit est extrait d’un long poème qui a pour titre « PERVIGILIUM MORTIS » (« VIGILE DE LA MORT »)
— Nul ne peut abolir que par un jour d’automne, Moi qui t’étreins ici, je ne t’aie emporté L’encens, la myrrhe et l’or de ta divinité, Le beau sang d’Aphrodite et le sang de Latone.
Nul ne peut, lorsqu’Amour se fit chair, menacer Ni verbe ni mutisme oublieux ou vivace. Le rythme de deux cœurs frappe et marque la trace De deux pas, sur le sol, sur le roc du passé.
Que la mort, désormais, de ses mains …
…esprit que penchent tes prunelles.
Comme au jour d’alliance où tu vins et pleuras Sur nos destins épars, sur notre vie en cendres, Ouvre sur moi tes yeux si tristes et si tendres. J’enferme le bonheur tout entier dans mes bras. »
qui se voulait avant tout poète. La poésie était son premier mode d’expression et à la fin de sa vie, il comptait abandonner totalement la musique pour s’y consacrer.
Poète maudit au destin tragique, la plus grande part de ses écrits l’ont été après sa mort. En décalage avec son image au sein du groupe des Doors, il craignait que ses poèmes soient mal accueillis. Il n’avait pas tort, peu d’éditeurs furent intéressés à publier ses recueils, et ses lecteurs, en grande majorité des fans de la musique des Doors, ont dans leur majorité peu apprécié ses textes. La part poète du grand Jim est bien cernée par la formule « Jim Morrison écrit comme si Edgar Allan Poe revenait au monde sous la forme d’un hippie. »
… Malcom E. De Chazal envoi un texte à la Revue « La Nef » accompagné d’une lettre.
Le texte a pour titre « la philosophie du vivant », et la lettre donne à son auteur le statu et la stature d’un novateur, tant dans le domaine de la pensée que de celui de la poésie. Quelques extraits en donnent la mesure.
J’ai la plus sincère et la plus totale certitude – et je dirai même que cela prend chez moi forme de credo – d’avoir dépassé et de très loin encore, toute la poésie contemporaine et rendu à l’état pygméen Baudelaire, Mallarmé, Valéry et Rimbaud – ce quatouir divin des disparus. Et cela pour la simple raison que ma poésie est une cueillaison d’invisible total, alors que les leurs furent toutes puisées dans un invisible où la nature est encore en son écorce.
On pourrait croire que ces mots sont issu de la plume d’un plaisantin (comme le fut Salvator Dali) ou d’un homme que la folie côtoie. Ce serait ignorer que Jean Paulhan (de la Nouvelle Revue Française) a déclaré Malcom de Chazal : plus grand génie poétique du siècle, et que le pape du surréalisme André Breton avait une grande admiration pour l’homme, notamment parce qu’il était sur des terres poétiques vers lesquelles lui-même aurait voulu entraîner le mouvement, sans succès. Ce même André Breton qui salua « le caractère de parfaite originalité et l’incomparable réussite » lors de la présentation de la poésie de Malcom de Chazal en déclarant :
Je n’ai jamais éprouvé le plaisir intellectuel que sur le plan analogique. Pour moi la seule évidence au monde est commandée par le rapport spontané, extralucide, insolent qui s’établit, dans certaines conditions, entre telle chose et telle autre, que le sens commun retiendrait de confronter.
Nommant ainsi pour les encenser, les caractéristiques même de la production de M. d C.
(suite de la lettre)
Ce qui me sépare de ces quatre grands c’est qu’ils sont en-deçà de moi dans l’invisible, malgré leur magie verbale, et par ce seul fait, je les dépasse et très largement de l’épaule, car la poésie n’est avant tout qu’un moyen surnaturel de capter l’invisible, et l’on ne mesure vraiment la valeur d’un poète que par les distances parcourues par lui au sein de l’invisible. Sur ce point, j’attends de pied ferme les critiques. Car tout le reste est littérature.
Dans la suite du courrier M. d C. évoque son isolement (l’île Maurice où se trouve « prisonnier de l’idéal »), qui lui voit refusé les artifices de la vie mondaines, lesquels permettent « d’exuder parmi des disciples ou par des jeux de miroirs de l’esprit »
… Mon cas est, je vous l’assure, exceptionnel, en ce sens que rarement dans l’histoire de la pensée aura-t-on vu autant de décalage exister entre l’esprit créateur et le milieu où il aura vécu. … Ce point est capital pour les biographes futurs, et pour comprendre immédiatement l’état ambiant ou « Sens-Plastique » a vu le jour. L’opposition certes a exigé de moi des efforts innombrables, mais cette opposition aurait pu me briser.
Il y a une touche de Salvator Dali (avant la lettre … Dali s’écrit avec un D) dans Malcom de Chazal, mais, et la postérité de son œuvre le prouve, un réel génie.
En passant, citons une bribe d’un texte M. d C. qui, dans notre époque de réactions vives et pleines aurait valu à son auteur plus qu’un chahut.
Le planning familial ayant tendu à dépeupler l’île tout couple qui a un enfant touche …
… nait un poète qui a choisi, pour son malheur, d’écrire ses poèmes en yidish (les premiers l’ont été en russe)
Ce qui lui a valu d’être condamné à mort pour « nationalisme juif »
Un autre écrivain d’origine juive, Ylia Ehrenbourg, donnera une description* de Peretz Markish qui le présente comme romantique à tout point de vue.
Il était difficile de ne pas le remarquer, car son beau visage inspiré se détachait dans n’importe quel environnement. Boris Lavrenev assurait que Markish ressemblait à Byron. Peut-être, mais peut-être ressemblait-il seulement à cette image du poète romantique qui ressort de centaines de toiles ou de dessins, de poèmes, de l’air d’une autre époque. Markish n’était pas seulement romantique dans sa poésie. Ses cheveux bouclaient de façon romantique, son port de tête était romantique (il ne portait pas de cravate et son col était toujours ouvert). Et cet air adolescent, qu’il conserva jusqu’à la mort, était lui aussi romantique.
Ylia Ehrenbourg nous dit également que Peretz Markish n’était pas tout à fait en phase avec son temps. Il illustre cette affirmation d’une anecdote, au cours de laquelle il conte une petite histoire typique de l’humour juif, racontée en sa présence, avec des amis, dans un café.
Dans un shetl de Volhynie, il y avait un célèbre zadik, c’est-à-dire un juste. Dans ce shetl, comme partout, il y avait des riches qui prêtaient de l’argent à intérêts, des propriétaires, des marchands, , il y avait des gens qui rêvaient de s’enrichir par n’importe quel moyen. En bref, il y avait beaucoup de mécréants. C’était le jour du Grand Pardon où, selon les croyances des Juifs religieux, Dieu juge les hommes et décide de leur destin. Ce jour-là, ils ne boivent ni ne mangent jusqu’à ce que se lève l’étoile du soir et que les rabbins les laissent partir de la synagogue. Le zadik priait Dieu de pardonner aux hommes leurs péchés, mais Dieu faisait la sourde oreille. Soudain, un pipeau brisa le silence. Parmi les pauvres qui se tenaient au fond, il y avait un tailleur avec son petit garçon de cinq ans. Le gamin était las des prières, et il se rappela qu’il avait dans sa poche un pipeau à un sou que son père lui avait acheté la veille. Tout le monde se jeta sur le tailleur. C’était à cause de bêtises comme ça que le Seigneur châtiait le shetl. Mais le zadik vit que le Dieu vengeur n’avait pu s’empêcher de sourire.
Ylia Ehrenbourg évoque alors la réaction Peretz Markish …
Voilà toute la légende. Elle avait ému Markish, et il s’était écrié : «Mais c’est de l’art qu’il est question !» Ensuite, nous nous sommes levés et avons regagné nos pénates. Markish m’accompagna jusqu’au coin, et soudains (nous parlions de tout autre chose), il dit : «À présent, un pipeau ne suffit pas, il faut la trompette de Maïakovski…»
… et nous dit ce qu’il faut y lire concernant ce romantisme de Peretz Markish. Ainsi que son manque de compatibilité avec l’époque.
Il n’était pas fait pour les slogans bruyants, ni pour les poèmes épiques, c’était un poète avec un pipeau qui émettait des sons purs et perçants. Mais il n’y avait pas eu de Dieu inventé capable de sourire, et le siècle était bruyant, et les oreilles des gens, parfois, ne distinguaient pas la musique.
Il y a toujours eu beaucoup de versificateurs, et ils se sont multipliés lorsque la production de vers est devenue un métier. Markish, lui, était un poète. Il est évidemment difficile de juger de poésie en traduction, et je ne connais pas le yiddish, mais à chaque fois que je lui ai parlé, j’ai été frappé par sa nature. Il interprétait les grands événements et les détails de la vie en poète. Ce n’est pas seulement ma propre impression, des gens très différents les uns des autres me l’ont dit aussi, Alexis Tolstoï, Tuwim, Jean-Richard Bloch, Zabolotski, Nezval.
Ylia Ehrenbourg donne un poème dans lequel Markish n’hésite pas, en une époque où la poésie se veut moderne, à traiter un thème très commun. (et considère qu’il y excelle)
Les feuilles ne bruissent pas dans une mystérieuse angoisse Mais, recroquevillées, gisent et sommeillent au vent. Soudain en voilà une qui, réveillée, s’en est allée sur la route Chercher sa tanière, semblable à une souris dorée. Une larme de la bien-aimée : Elle ne tombe pas de tes cils, Mais demeure, tremblante, entre tes paupières, En elle le monde quitte ses frontières, Et dans les profondeurs, la pupille brillante s’élargit.
Le texte qui suit peut paraître prémonitoire de la fin du poète. Peretz Markish sera une des victimes de la Nuit des poètes assassinés
Deux oiseaux morts tombèrent à terre Le coup était réussi. Qu’y a-t-il de mieux que la terre ? Ici, dans ce pays ensoleillé et béni, Il faut tomber, si …
…rien, Il faut voler, si c’est le destin. Comme la lumière est éblouissante ! Les étendues sont vastes, elles n’ont pas de fin.
Ylia Ehrenbourg termine les pages qu’il a consacrées au poète, par une réflexion concernant la poésie et l’espace temps où elle surgit.
Il est difficile de se faire à l’idée qu’on a tué un poète. Mais dans ces jours lointains où j’ai rencontré Markish, jeune et inspiré, à Montparnasse, il parlait du pipeau d’un enfant et de la voix de tonnerre de Maïakovski, il mesurait son destin. Pour moi, il était la preuve que l’on ne peut pas séparer une époque de sa poésie :
soutenu par un dernier poème …
Je t’ai hissé sur mes épaules, Ô siècle ! Je t’ai mis, en guise de ceinture, Une larde ceinture de pierre. La route monte en un énorme escarpement, Et je dois l’escalader. À travers les hurlements du vent, les tourbillons de neige Je monte… Beaucoup périssent Au milieu des congères…
… et un ultime salut :
Non, il n’était pas un naïf rêveur ni un fanatique aveugle, le pipeau touchait les lèvres sèches d’un homme adulte et courageux.»
… est né ce jour, le poète Léo Larguier que certains (voir la suite) disent, sur le ton d’un compliment, « lamartinien« .
Dans « La revue politique et littéraire » (24 juin 1905) Jean Ernest-Charles nous donne sa perception du poète et de son œuvre.
... ne confondons pas Léo Larguier dans la foule des autres poètes.
Sans doute Léo Larguier est essentiellement lamartinien. Il l’était déjà dans son premier livre « La Maison du Poêle« . Il ne l’est ni plus ni moins dans « Les Isolements« . Le sera-t-il donc toujours ? Léo Larguier vit dans la nature et dans les livres. Les livres, comme la nature, l’inspirent. Mais Léo Larguier ressemble parfois à Lamartine, je ne veux point dire qu’il l’imite. Il y a dans tous ses vers des résonances lamartiniennes, mais il y a l’âme de Léo Larguier. Léo Larguier est un pur lyrique qui ne sait que son âme. Tel Lamartine encore. Mais son âme est l’âme impétueuse, l’âme conquérante d’un poète qui impose à toutes choses les formes de sa sensibilité et de son-imagination. Il le dit dans sa préface :
« Tous les paysages sont sonores de mon pas et vers les lointains noyés de crépuscule et de brume, vous m’apercevrez sûrement, à la lisière d’un bois d’automne, marchant à côté d’une longue forme blanche qui a reculé pour moi les frontières de la sensibilité poétique et de l’émotion. »
N’employons pas de trop grands mots, mais, franchement, dans « Les Isolements« , on trouve plus que Léo Larguier; une race s’y exprime. Barrés serait content de Léo Larguier. Léo Larguier, en effet, a une terre et des morts. Il est latin. Il est le Latin. Il porte en lui toutes les hérédités païennes qui, depuis Virgile et Horace, en passant par Ronsard jusqu’à Chénier et Lamartine, — je cite ces poètes entre tous parce que Léo Larguier me paraît les connaître intimement — ont donné au génie français, son éloquente élégante, sa clarté, sa grâce, son harmonie, cette sensibilité qui n’est pas frénétique, mais reste sereine jusque dans la passion, cette imagination qui n’est pas colorée et brûlante comme l’imagination orientale, par exemple, mais demeure toujours pure et presque apaisée jusque dans ses inspirations les plus véhémentes… Léo Larguier, facile et nombreux, est un jeune poète représentatif.
Le poème* qui suit semble avoir été écrit postérieurement à cette description du « génie » de Léo Larguier, tant dans son motif que dans son expression.
En soupant lentement sous une treille brune Dont les beaux muscats blancs luisaient au clair de lune, Tandis que pour moi seul, dans la nuit, un oiseau Chantait vers le tilleul, je pensais à Rousseau… Un soir divin et frais venant après l’orage. Devant le banc de bois du rustique Ermitage, Une jeune servante avait mis le couvert. Quelques gouttes tombaient du feuillage plus vert. Un vase sur la nappe était plein de pervenche, Madame d’Épinay portait — c’était Dimanche, Son chapeau de bergère et son corsage ouvert. Pure fraîcheur du soir ! On apportait la lampe, Et Jean-Jacques songeait, un doigt contre sa tempe. La serveuse heurtait les plats dans la maison, L’étoile du berger montait à l’horizon, Et …
… grillon perdu. Madame d’Épinay caressait son bras nu, Rose et rond sur la table, et parfois son haleine Dans son corsage creux enflait sa gorge pleine Qu’une tremblante et tiède ligne séparait. Un léger vent coulis qui passait murmurait Dans les arbres du parc une plainte endormie, Et Rousseau, souriant, regardait son amie, En feuilletant, distrait, un petit livre gris, À côté d’un panier plein de cerises blanches, Un petit livre simple et sans ors sur les tranches Que Denis Diderot envoyait de Paris.
Un second texte permet de définir un peu plus l’habitat de Léo Larguier
Mets ta main sur mon cœur, mon amie, et dis-moi S’il est vrai que toujours, sans trouble et sans émoi, Je sois dans ma maison le même solitaire Attentif aux rumeurs qu’ici-bas peuvent faire La gloire et le renom qui des vers assemblés S’élèvent dans le ciel comme montent des blés Les passereaux légers et les lourdes colombes, Qu’attirent les cyprès et les pierres des tombes, Je ne sais pas répondre, ô mon amour, dis-leur : ….Ce n’est plus un poète. Il est un peu rêveur. Mais c’est à moi qu’il pense, Et s’il n’écrit jamais, ce sera de son cœur Que viendra la cadence. La muse qu’il aimait parfois guette là-bas, Aux lisières des branches, Je la vis quand je vins, mais elle n’avait pas Mes belles formes blanches. pas de livre et ne sais point de vers, Mais je sais une chose, Moi je n’ai C’est que sur l’eau d’argent et sous les arceaux verts Quand s’incline une rose, Le cristal du bassin peut bien la réfléchir, Exacte et colorée, Ce n’est qu’une apparence et le vent peut ternir Cette rose mirée. Ainsi l’onde d’un vers où tremble avec amour La plus parfaite image Ne vaut pas le rayon de cette fin de jour Sur mon jeune visage.
Nait Christina Rossetti, anglaise d’origine italienne,
Elle fut considérée à son époque comme la plus grande poétesse de langue anglaise. Passionnée, certains la disent très belle (elle fut le modèle préféré de son frère, pour des scènes religieuses) d’autres (voir ici) plutôt laide. On la déclare souvent passionnée, engagée en faveur de plusieurs causes (contre l’esclavage) pour la liberté des femmes, et de même (adresse identique) elle est jugé a contrario, en retrait de la vie, peu cultivée, vieille fille atone.
On ne peut donc faire confiance qu’à ses vers et à la renommée qu’ils ont connus.
The Rose
The lily has a smooth stalk Will never hurt your hand But the rose upon her brier Is lady on the land
There’s sweetness in an appel tree And profit in the corn But lady of all beauty Is a rose upon a thorn
Il y a de la suavité dans un pommier Du bienfait dans le blé Mais la reine de toutes les beautés Est la rose sur ses épines
When with moss and honey She tips her bending brier And half unfolds her glowing hearts She sets the world on fire
Quand, dans la mousse et le miel Elle tend sa tige Et déploie ses pétales lumineuses Elle embrase le monde.
poète engagé dans la résistance poétique lors de la seconde guerre mondiale qui exprimait la nécessité de cet engagement, et de sa généralisation, un an après la fin des combats.
« Il ne nous appartient pas de dire ce que sera l’art de demain. Pour ma part, face aux événements, j’ai dû redevenir un homme alors que je n’étais plus qu’un cerveau. Je suis persuadé que la lutte clandestine a débarrassé la littérature de tous les snobisme et qu’il ne nous est plus possible, maintenant, de faire des cloisons. Le secret d’un art durable est d’être humain, c’est-à-dire d’être expression d’un moment social. (Cf. Homère, La Chanson de Roland, Corneille, Hugo, etc.) Méfions-nous de la volonté. Il vous faut d’abord assimiler, en tous les domaines, toutes les incidences, tous les phénomènes avant d’être en mesure de les dominer et de les digérer » …
« L’art gratuit n’a jamais existé. C’était un mot. Il ne peut y avoir d’art qui ne soit engagé. Je trouve puériles les discussions actuelles. On ne choisit pas une position par simple caprice ou par intérêt. La guerre a permis de crever l’abcès et de nous désintoxiquer. A nous, redevenus des hommes de construire un véritable humanisme, c est-à-dire une société permettant le plein épanouissement de l’homme et non pas uniquement de l’homme-moral. Que nos œuvres soient le reflet de nos préoccupations, de nos luttes, cela est une condition de leur valus. Les jeux et les spéculations sont du domaine de l’hypocrisie et de la dégénérescence mentale. Il nous faut agir comme les autres hommes pour mieux traduire leur héroïsme »
Et de conclure sur une prophétie … qui ne s’est pas vraiment réalisée
Nous sommes arrives au moment où il faut choisir. Il s’agit ni plus ni moins que de vivre. Il n’est plus de désintéressement possible. C’est la leçon que nous devons tirer de l’histoire de notre lutte récente. Tant de meurtres ont brusqué l’évolution ont libéré le véritable artiste, qu’il nous est permis de penser que I’art suivra le monde qu’il représente et que la littérature « mondaine » disparaîtra avec les derniers échantillons de l’espèce. La société montante qui incarne la lutte prolétarienne sera la raison de l’art qui commence à naître. A chacun de nous de savoir subir, pour mieux participer et mieux créer. Restons seulement, simplement à hauteur d’homme .»
Ici, deux extraits d’un recueil de Jean Bouhier écrit en 1941 (au plus fort de la guerre)
Crache dans tes mains pour prendre le manche de ta pioche, gagne ton pain à la sueur de ton front, Adam déchu, homme de matière à la conquête de la matière.
et :
Toi, homme parmi les autres, mais toi seul à te connaître véritablement toi-même, tu sais qu’on ne possède jamais ce que l’on prend. Tu sais qu’aucun argent, aucun commerce, aucun bénéfice, aucun échange, aucun don, aucun héritage ne peut légitimer, ne peut excuser ce qui n’est qu’un vol.
!!
L’engagement du poète s’est par la suite transformé en engagement politique, la poésie ne semble pas avoir suivi. Quelques poèmes édités dans les années 1960 ne sont pas dans la veine que prédisait Jean Bouhier.
Il n’est pas celui que l’on retient d’un groupe (l’École de Rochefort) que Jean Bouhier a fondé pendant la guerre.
L’un de ces poèmes
À portée de la main Un simple objet Que l’on caresse
À la porte entrouverte Un simple ami Que l’on attend À l’ombre du …
… simple geste Que l’on fait
Aux silences du cœur Un simple cri Que l’on écoute Et pour l’amour Un simple mot Que l’on répète
… nait celui qui deviendra un poète loin des courants de son époque, mais qui donnera vie dans ses poèmes « aux choses » qui l’environnent : Francis Jammes
André Beaunier dans Les Annales politiques et littéraires de 1913 évoque cette singularité, l’attachement au réel le plus … réel, dans une France où le surréalisme va surgir.
Avec en tête de son article deux citations de Francis Jammes (à laquelle il donne, ce qui me semble être un artifice déplacé concernant F.J., une forme de poème)
« C’est avec légèreté que, la plupart du temps, nous touchons aux choses. Mais elles sont pareilles à nous, souffrantes ou heureuses… »
« J’ai connu des choses en souffrance. J’en sais qui sont mortes… »
(FRANCIS JAMMES. Des Choses.)
« Paroles » extraites du texte original qui est dans sa forme publiée, de la prose
« C’est avec légèreté que, la plupart du temps, nous touchons aux choses. Mais elles sont pareilles à nous, souffrantes ou heureuses. Et, lorsque je remarque un épi malade parmi des épis sains, et que j’ai vu la tache livide qui est sur ses grains, j’ai très nettement l’intuition de la douleur de cette chose. En moi-même, je ressens la souffrance de ces cellules végétales, j’éprouve la difficulté qu’elles ont à s’accroître sans s’opprimer l’une l’autre à l’endroit contaminé. Le désir me vient alors de déchirer mon mouchoir et de bander cet épi. Mais je songe qu’il n’est point de remède permis pour un seul épi de blé, et que ce serait humainement un acte de folie que de tenter cette cure, encore que l’on n’observe rien à ce que je prenne soin d’un oiseau ou d’une cigale. Cependant, la souffrance de ces grains m’est certaine puisque je la ressens. »
« J’ai connu des choses en souffrance. J’en sais qui sont mortes. Les tristes hardes de nos disparus s’usent vite. Elles s’imprègnent souvent des maladies mêmes de ceux qui les vêtirent. Elles ont leur sympathie. »
(FRANCIS JAMMES. Des Choses.)
On voit qu’ici, les choses ne sont pas restreintes à la matière inanimée bien que celle-ci soit concernée*. Le mot a vu à notre époque une restriction conséquente de son application/sens.
Francis Jammes a senti dans les « choses » une âme fraternelle, une âme analogue à la sienne. Il les comprend. Elles ne sont pas pour lui de quelconques objets que l’on manie, que l’on applique à des usages divers. Il les sait animées de passions, — à vrai dire, peu exubérantes, mais plus intenses peut-être qu’on ne les suppose à les voir si calmes et, comme il se les figure, si résignées. Et il s’étonne de leur simple douceur, et il admire leur esprit de sereine acceptation. Les pierres l’émeuvent et il les plaint; et n’est-ce pas une vieille croyance irréfléchie, presque un instinct qui survit en lui? car la locution populaire a conservé la foi primitive aux pierres « malheureuses ». A tous les éléments du monde, les plus rudes et ceux qui paraissent les plus stupides à qui passe trop vite et distraitement par le chemin, Francis Jammes attribue une sorte d’obscure pensée, une aptitude à des douleurs et à des joies secrètes que l’on devine mieux qu’on ne les voit.
L’auteur de l’article entend bien distinguer cette affinité avec ce qui habite la « nature » de celle qu’ont pu avoir les romantiques. Francis Jammes n’est pas de ceux qui « aperçoivent autour d’eux des images d’eux-mêmes«
Les romantiques sacrifièrent à cette erreur; ils attribuèrent aux paysages des tristesses ou des allégresses semblables à celles qui, momentanément, étaient les leurs, et ils voulurent que les lacs — pour qui leur prédilection fut grande — prissent part à leur propre tourment. Ils se plaisaient à enregistrer que les saules pleuraient comme eux; et si, parfois, il y avait du soleil printanier sur les collines en fleurs, cependant qu’ils avaient une raison plausible de mélancolie, ou bien ils niaient, avec cette intrépidité qui les caractérise, que le soleil du printemps fût joyeux, ou bien ils s’indignaient véhémentement contre un tel manque de tact de la Nature méchante et qui les taquinait.
Francis Jammes, lui, a trop bien compris l’âme intime des choses pour la traiter avec cette désinvolture. Il a le sentiment de leur dignité, il respecte leur personne, il ne veut pas les rabrouer ni les violenter. Il se fait humble devant elles, et il tâche de les comprendre sans les dénaturer par l’indiscrète intrusion de lui-même en elles… C’est pourquoi ses descriptions ont ce double caractère, d’être à la fois toutes pleines de lui et, cependant, impersonnelles.
Pour donner matière à ce propos d’André Beaunier, je donne ici la fin du texte de Francis Jammes « Des Choses »
Est-il permis de dire que jamais les choses ne nous donnèrent des manifestations de leur sympathie ? L’outil qui ne sert plus la main de l’ouvrier se rouille aussi bien que l’homme qui délaisse l’outil. J’ai connu un vieux forgeron. Il était gai au temps de sa force, et l’azur entrait dans sa forge noire par les rayonnants midis. L’enclume joyeuse répondait au marteau. Et le marteau était le cœur de cette enclume, mû par le cœur de l’artisan. Et, quand tombait la nuit, la forge s’éclairait de sa seule lueur, du regard de ses yeux de braise qui flambaient sous le soufflet de cuir. Un amour divin unissait l’âme de cet homme à l’âme de ces choses. Et quand, aux jours dominicaux, le forgeron se recueillait, la forge, nettoyée la veille, priait aussi dans le silence. Ce forgeron était mon ami. Souvent, du seuil noir, je l’interrogeais et c’était la forge tout entière qui me répondait. Les étincelles riaient dans le charbon et des syllabes de métal formaient une langue mystérieuse et profonde et qui m’émouvait ainsi que des paroles de devoir. Et j’éprouvais là à peu près les mêmes choses que chez l’obscur savetier. Un jour, le forgeron tomba malade. Son haleine devint courte, et je sentais bien que lorsqu’il tirait la chaîne du soufflet, jadis puissant, celui-ci haletait aussi, pris peu à peu du mal du maître. Le cœur de l’homme eut des sursauts, et j’entendis bien que, lorsque l’ouvrier brandissait le marteau sur l’enclume, l’outil battait le fer irrégulièrement Et à mesure que le regard de l’homme avait moins de lumière, la flamme du foyer éclairait moins. Le soir, elle vacillait davantage et, sur les murs et le plafond, il y avait de longs évanouissements de lueur. Un jour, l’homme sentit en travaillant l’extrémité de ses membres se glacer. Le soir, il mourut. J’entrai dans la forge. Elle était froide comme un corps privé de vie. Une petite braise luisait seule sous la cheminée, humble veilleuse que je retrouvai à côté du lit mortuaire auprès duquel priaient deux femmes. Trois mois après, je pénétrai dans l’atelier abandonné pour assister à l’évaluation de son petit mobilier. Tout y était humide et noir comme dans un caveau. Le cuir du soufflet s’était troué en se pourrissant et, lorsqu’on voulut faire jouer sa chaîne, elle se détacha du bois. Et les …
… maître. » Alors, je fus ému, car j’entendis le sens mystérieux de ces paroles.
… jour de la naissance du poète et romancier Tahar Ben Jelloun.
Davantage connu pour le roman, « La nuit sacrée » qui lui valu le Goncourt en 1987 ou pour son best seller « L’enfant de sable » qui est pour partie, de la poésie en prose.
(…) un ruban large et multicolore se déploie ; gonflé par le vent, il se fait oiseau transparent ; il danse sur la pointe ultime de l’horizon (…) Quand le vent n’est qu’une brise d’été, le ruban flotte au rythme régulier d’un cheval qui va à l’infini ; sur le cheval un cavalier avec un grand chapeau sur lequel une main a déposé des épis, des branches de laurier et des fleurs sauvages. Lorsqu’il s’arrête là-bas, là où l’on ne distingue plus le jour de la nuit, sur ces terres où les pierres ont été peintes par les enfants, où les murs servent de lit aux statues, là, dans l’immobilité et le silence, sous le seul regard des jeunes filles aimantes, il devient arbre qui veille la nuit. Le matin, les premiers …
… d’une statue aux bras chargés de feuillage et de fruits. Tout autour, un espace blanc et nu où toute chose venue d’ailleurs fond, devient sable, cristaux, petites pierres ciselées. En face de la statue du matin, un grand miroir déjà ancien ; il ne renvoie pas l’image de la statue mais celle de l’arbre, car c’est un objet qui se souvient. Le temps est celui de cette nudité embrasée par la lumière. L’horloge est une mécanique sans âme ; elle est arrêtée, altérée par la rouille et l’usure, par le temps, respiration des hommes.
La vocation de poète lui est née de l’expérience douloureuse du « tyranisme » et de ce qu’il est capable de produire pour étouffer la soif de liberté de la jeunesse (lire ici l’article de la revue des deux mondes)
Ce poème y fait écho
Il quitta sa famille laissa pousser la barbe et remplit sa solitude de pierres et de brume Il arriva au désert la tête enroulée dans un linceul le sang versé en terre occupée Il n’était ni héros ni martyr il était citoyen de la blessure