Le 28 Janvier 1873 …

… est le jour de la naissance d’une grande romancière dont on sait moins qu’elle fut également poétesse.

Sa prose elle-même fut souvent considérée comme de la poésie.
Ici c’est André Maurois qui évoque cette caractéristique du style de Colette, à propos de son roman « La naissance du jour« 

Personne ne m’a mieux donné l’impression de faire corps avec la chose décrite. Elle la saisit et la pique dans sa phrase, comme ses pistaches dans le nougat, et ce qui est vrai de Colette femme l’est aussi de Colette écrivain. Les qualités de son style parlé, cette manière compacte et savoureuse sont ce qui frappe le plus dans son style écrit. 
La naissance du jour, sans doute, c’est un roman, c’est le roman de la femme qui se sent en ce point où le choix lui est offert entre la sérénité de la vieillesse et le dernier triomphe du l’amoureuse, mais c’est avant tout un poème, une suite de poèmes.
Si, parmi les femmes de notre temps, Mme de Noailles demeure le plus grand poète, Colette est le plus grand artiste en prose. Quelquefois sa phrase me fait penser à celle de Valéry par ce côté plein et serré du grain. Relisez la dernière phrase de La naissance du jour. Ne pourrait-elle être de Valéry ?

(J’en donne les trois dernières, elles me semblent indissociables)

Le bleu froid est entré dans ma chambre, traînant une très faible couleur carnée qui le trouble. Ruisselante, contractée, arrachée à la nuit, c’est l’aurore. La même heure demain me verra couper les premiers raisins de la vendange. Après-demain, devançant cette heure, je veux… Pas si vite, pas si vite !

Il n’a pas, en touchant le sol, abdiqué sa forme. Le temps lui a manqué pour se parfaire. Mais que je l’assiste seulement et le voici halliers, embruns, météores, livre sans bornes ouvert, grappe, navire, oasis…

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André Maurois est loin d’être le seul que le style particulier de Colette touche.
Dans la revue destinée aux enseignants « l’Ecole et la vie » (numéro de novembre 1928) on peut lire en conclusion d’un long article reprenant l’ensemble de l’œuvre (et de la vie) de Colette :

Ainsi son œuvre apparaît comme un vrai trésor de la langue française — au sens où l’on entendait autrefois ce mot — il semble, lorsqu’on lit tel conte ou tel roman de Mme Colette, que jamais personne avant elle n’a employé les mots dont elle joue, tant ils surgissent neufs et nuancés entre les pages.

(Fernand Angué)

Le 27 Janvier 1941 …

est née la poétesse Tirtsa* Atar …

… dont on a pu dire « … est un diamant noir qui hante la culture israélienne.« 

Elle mériterait une page plus conséquente, mais aujourd’hui plus encore que tous les hier qui le précède, le poids des mensonges de ceux qui ont le droit de parler rend mes bras, mes yeux et ma pensée, lourd(e)s.
Je ne déposerai donc ici que quelques vers de la poétesse

Même les livres dans la chambre, fermée et triste, le savaient –                          

Elle ne va pas bien, elle s’en va sans retour.

Les lys sauvages fleurissent encore au loin dans la vallée

Mais malgré tout, tout est fini.



* s’écrit aussi Tirza Atar

Un peu de son histoire

Le 26 Janvier 1855 …

a vu mourir le poète Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval

qui, dans un poème peu cité, a évoqué la mort de Paris et celle de Notre Dame

Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer

             … carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !

Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor ;
— Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !

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De Nerval on cite plus volontiers El desdichado, poème dans lequel certains voient la transcription exacte du thème astral de l’auteur (Luth Constellé, Tour Abolie, Soleil noir …)
Jean Richer a publié à ce propos un long article dans les Cahiers du Sud, qu’il a par la suite développé dans un essai (Gérard de Nerval. Expérience vécue et création ésotérique)

Ce texte est cité dans l’enquête du journal « Le Jour » comme l’un des poèmes contenant les plus beau vers français.
Choix faits par des écrivains célèbres, et dans le cas présent par le poète Jules Supervielle

« L’intransigeant » quant à lui, insistera davantage sur la folie de Nerval – auteur d’un poème incompréhensible – à propos d’un livre consacré au poète, par Henri Clouard et dont le titre évocateur était «  La Destinée tragique de Gérard de Nerval « 

extrait :

Dans sa lettre-préface à M. Aristide Marie, Henri Clouard déclare : « Le personnage issu de mon interprétation n’est pas du tout cette ombre rêveuse qui n’aurait agi que par lunatique fantaisie et mirage poétique… Il fut un fou authentique et malheureux qui s’est colleté désespérément avec la folie ».
Et tout le livre, bien documenté, d’une psychologie sûre, tend évidemment à nous montrer de plus près le mécanisme intellectuel et sentimental de Gérard. Gagnerait-on beaucoup à vouloir comprendre, dans ses intentions secrètes, le fameux sonnet El Desdichado… « Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé… » ? Non sans doute. La vie de Gérard est toute enclose dans ce chef-d’œuvre « surréaliste », et nul ne saura jamais y trouver la logique humaine.
M. Henri Clouard s’efforce en tous les cas de nous montrer un Gérard plus près de nos souffrances. Et puisque tel éftait son dessein, on peut dire qu’il, y réussit parfaitement.

Une autre biographie à feuilleter (source : Gallica):

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9762337v

Le 25 Janvier 1984 …

S’éteignait Lucien Becker poète, de la tristesse et de la solitude, qui ne publiera plus rien les vingt dernières années de sa vie.

Un extrait d’un article de René Ménard publié dans les Cahiers du Sud (mars 1952)

Le lecteur approche la poésie de Lucien Becker comme un être humain, un inconnu brusquement présent, inséré dans la nature des choses, à la fois insolite et simple, et qui prendrait aussi bien la transparence immédiate de nos propres pensées que l’opacité d’une pierre ou d’un tronc d’arbre.
J’essaie ainsi d’exprimer l’impression de rencontre physique que cette poésie me donne. De là, sans doute, son pouvoir d’existence prolongée dans la mémoire de la vie bien plus que dans le souvenir littéraire. Elle adhère parfois si parfaitement au réel, qu’elle finit par s’y substituer, par entrer dans l’expérience même de notre comportement. Et ceci d’autant plus qu’elle a pour unique sujet un des éléments les plus fondamentaux du destin humain : l’amour, et singulièrement l’amour charnel. Mais, alors que celui-ci n’est, la plupart du temps, figuré qu’avec un masque (
et l’obscénité la plus crue en est un, aussi bien que la bleuâtre idéalisation), Becker le montre, cet amour des corps, avec une telle mystique sincérité, qu’il est aussitôt dépouillé de tous les attributs ordinaires de l’imagination, qu’il participe à l’élan tellurique.

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Ainsi est retrouvée d’un coup l’antique sacralisation de la Femme. Quatre mots très simples « trop grand pour l’espace » suffisent pour transcender jusque dans les moelles de l’âme, le compte rendu tout uni d’une émotion que l’on peut bien dire du domaine public… Un tel trait, et il en est de nombreux dans ce livre, ressortit à l’art le plus pur, le plus indiscutablement poétique. Je citerai encore ces deux vers si bellement fluides

Ton regard, lourd de cils, est si mince et si long
qu’il est facile à ma vie d’en faire son horizon.

Le 23 Janvier 1930 …

… est né celui qui sera le premier poète « caribéen » prix Nobel de littérature Derek Walcott.

Totalement ignoré en France, il a fallu attendre cette récompense pour que soit édité son oeuvre majeure « Une autre vie » (seconde publication traduite en français)

Ce désintérêt du public français est peut-être responsable, si ce n’est de l’erreur elle-même, de l’absence de correction de celle qui se trouve dans l’article de wikipedia consacré à Derek Walcott.
(concernant sa mère notamment : version française , version anglaise)

On doit au poète une définition originale de la poésie :

 » La poésie est comme la sueur de la perfection, mais elle doit paraître aussi fraîche que les gouttes de pluie sur le front d’une statue; elle conjugue simultanément ces deux temps, le passé et le présent, le passé est la statue, le présent la rosée ou la pluie sur son front.
Il y a le langage enseveli et il y a le vocabulaire personnel: le travail de la poésie est un travail de fouilles et de découverte de soi.« 

Un poème de Derek Walcott intitulé ; La mer est l’Histoire suivi de la traduction de la poétesse Claire Malroux dans : Le royaume du fruit-étoile (éditions Circé, 1992).

Where are your monuments, your battles, martyrs?
Where is your tribal memory? Sirs,
in that gray vault. The sea. The sea
has locked them up. The sea is History.


First, there was the heaving oil,
heavy as chaos;
then, like a light at the end of a tunnel,


the lantern of a caravel,
and that was Genesis.
Then there were the packed cries,
the shit, the moaning:


Exodus.
Bone soldered by coral to bone,
mosaics
mantled by the benediction of the shark’s shadow,

that was the Ark of the Covenant.
Then came the plucked wires
of sunlight on the sea floor

the plangent harps of the Babylonian bondage,
as the white cowries clustered like manacles
on the drowned women,

and those were the ivory bracelets
of the Song of Solomon,
but the ocean kept turning blank pages,


looking for History.
Then came the men with eyes heavy as anchors,
who sank without tombs,


brigands who barbecued cattle,
leaving their charred ribs like palm leaves on the shore,
then the foaming, rabid maw

of the tidal wave swallowing Port Royal,
and that was Jonah,
but where is your Renaissance?

Sir, it is locked in them sea sands
out there past the reef’s moiling shelf,
where the man-o’-war floated down;


strop on these googles, I’ll guide you there myself.
It’s all subtle and submarine,
through colonnades of coral,


past the gothic windows of sea fans
to where the crusty grouper, onyx-eyed,
blinks, weighted by its jewels, like a bald queen;

and these groined caves with barnacles
pitted like stone
are our cathedrals,

and the furnace before the hurricanes:
Gomorrah. Bones ground by windmills
into marl and cornmeal,

and that was Lamentations —
that was just Lamentations,
it was not History;


then came, like scum on the river’s drying lip,
the brown reeds of villages
mantling and congealing into towns,

and at evening, the midges’ choirs,
and above them, the spires
lancing the side of God


as His Son set, and that was the New Testament.

Then came the white sisters clapping
to the waves’ progress,
and that was Emancipation —


jubilation, O jubilation —
vanishing swiftly
as the sea’s lace dries in the sun,


but that was not History,
that was only faith,
and then each rock broke into its own nation;

then came the synod of flies,
then came the secretarial heron,
then came the bullfrog bellowing for a vote,

fireflies with bright ideas,
and bats like jetting ambassadors
and the mantis, like khaki police,

and the furred caterpillars of judges
examining each case closely,
and then in the dark ears of ferns


and in the salk chuckle of rocks
with their sea pools, there was the sound
like a rumor without any echo

of History, really beginning.

Où sont vos monuments, vos batailles, vos martyrs ?
Où est votre mémoire tribale ? Messieurs,
dans ce gris coffre-fort. La mer. La mer
les a enfermés. La mer est l’Histoire


D’abord, il y eut le bouillonnant pétrole,
son tohu-bohu ;
puis, lumière au bout d’un tunnel,


le fanal d’une caravelle,
et ce fut la Genèse.
Puis il y eut les cris des parqués,
la merde, les gémissements :


l’Exode.
Os soudé à l’os par le corail,
mosaïque
couverte par la bénédiction de l’ombre du requin,

ce fut l’Arche d’alliance.
Puis surgirent des cordes pincées
du soleil au fond de la mer

les harpes plaintives de l’esclavage babylonien
tandis que les blancs cauris s’inscrustaient en chaînes
aux poignets des femmes noyées

et ce furent les bracelets d’ivoire
du Cantique de Salomon,
mais l’océan tournait toujours des pages vides,


attendant l’Histoire.
Puis vinrent les hommes aux yeux aussi lourds que des ancres,
naufragés sans tombeau,


brigands qui grillaient le bétail,
laissant des côtes noircies, commes des palmes sur le rivage,
puis il y eut la panse féroce, écumante

du raz de marée avalant Port-Royal,
et ce fut Jonas,
mais où est votre Renaissance ?

Monsieur, elle est enfermée dans ces sables marins
là-bas au large du socle tourmenté du récif
où sombraient les vaisseaux ;


mettez ces lunettes de plongée, je vous guiderai moi-même.
Là tout est subtil et sous-marin,
à travers des colonnades de corail,


passé les fenêtres

          … reine chauve ;

ces grottes nervurées tapissées de bernacles        
piquetées comme la pierre
sont nos cathédrales,

et la fournaise avant les ouragans :
Gomorrhe. Os broyés par les moulins à vent
en engrais et farine de maïs,

et ce furent les Lamentations —
seulement les Lamentations,
ce n’était pas l’Histoire ;


puis surgirent, écume sur la lèvre tarie de la rivière,
les chaumes bruns des villages
débordant et se coagulant en villes,

avec au soir les choeurs de moucherons
et au-dessus d’eux les clochers
perçant le flanc de Dieu


au couchant de Son Fils, et ce fut le Nouveau Testament.

Puis vinrent les soeurs blanches applaudissant
à l’avancée des vagues,
et ce fut l’Emancipation —


jubilation, O jubilation —
vite évanouie
comme sèche au soleil la dentelle de la mer,


mais ce n’était pas l’Histoire,
seulement la foi,
et alors chaque rocher explosa en nation ;

alors vint le synode des mouches,
alors vint le héron sectaire,
alors vint la grosse grenouille beuglant en quête de suffrage,

les lucioles aux brillantes idées,
les chauve-souris comme des ambassadeurs en jet,
les mantes, comme des policiers kaki,

les chenilles fourrées des juges
examinant chaque cas de près ;
alors dans les oreilles sombres des fougères


dans le rire de sel des rochers
aux flaques marines, s’éleva le bruit
comme une rumeur sans écho

de l’Histoire, son vrai commencement.

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Quelques poèmes de Derek Walcott

Le 21 Janvier 1973 …

… Décède Charles Forot, devenu poète sur un lit

Comme l’évoque la revue « La Muse Républicaine » qui consacre une partie de son numéro de juillet 1928 à celui qui fut par deux fois alité par la maladie pendant plus de 3 ans …

« … les poèmes écrits pour tromper son inquiétude durant une longue maladie allaient former le premier cahier, les pages tristes d’un livre qui devait singulièrement s’enrichir et se transformer. «  
(…)
Loué soit Dieu qui a permis à Charles Forot de surmonter son mal. Il a été plus heureux qu’un Dauphinois à qui il ressemble tant et non point seulement de visage. J’ai nommé Jean-Marc Bernard.
La première fois que je vis l’auteur de la Ronde des Ombres en son Pigeonnier, j’eus une surprise qui me fit pousser un cri; je crus revoir Jean-Marc, ses yeux noirs striés d’éclairs, son bon visage au sourire si franc où s’épanouissait la joie de chasser une pensée importune ; une voix chaude et un peu chantante subissait parfois certaines inflexions tristes, familières à tous ceux qui ont murmuré beaucoup de plaintes et gardent par instants l’accent de la timidité.
Charles Forot me restituait la cordialité de Jean-Marc, son désir de vivre avec un ami en pleine confiance, et qui laisser tomber en lui, goutte à goutte, les secrets d’une tenace douleur vaillamment supportée. Ainsi je croyais contempler Jean-Marc qui, si souvent, pouvait redire avec son cher Villon : « Je ris en pleurs. )) En réalité, je restais si passionnément désireux de le revoir, malgré sa mort glorieuse, que de retrouver son regard devait m’apparaître la chose la plus naturelle. Dieu me rendait l’homme qui lui ressemblait le plus, et le Dauphinois à la petite taille, aux gestes nerveux et fins, se muait en un Vivarois charmant.

Ce n’est point ici qu’il convient de décrire le Pigeonnier et de louer l’homme qui a eu, sur l’essor de la jeune poésie, la plus heureuse influence ; nous voulons simplement montrer quel poète se cache dans l’ami des lettres, car Charles Forot est peut-être à la veille de nous donner les plus belles odes.

C’est la souffrance qui l’aura sacré poète. Qu’on imagine un jeune homme condamné à une longue immobilité et voué à de tristes rêveries : un sentiment tendre s’éveille un jour en son âme et lui apporte plus d’illusions que de joies. Quel recours subsiste devant l’oubli sinon l’espoir de chercher une consolation dans le jardin de la poésie ?
L’analyse est dissolvante quand elle torture l’âme d’un souci obsédant, mais la claire vision d’un mal délivre de son empire : toutefois, ce n’est pas quand on trouve à sa propre souffrance l’apparence du sublime qu’on est sur le point de la renier ; on s’en libérerait plutôt en la jugeant ridicule.
Mais qui consentirait à rire de soi ? Une ironie discrète, faite d’une larme, égayée d’un sourire, convient mieux à une âme noble, surtout quand d’un pleur peut naître un beau vers. Il n’y a encore que les larmes qui consolent.
(…)
Chez Charles Forot, la blessure était profonde. Et, les forces physiques le trahissaient.

J’aurais voulu chasser tout ce qui remuait
Les vestiges, en moi, d’heures infortunées,
Mais si j’ai de mon cœur fait un désert muet,
Quelle verdure encor charmera mes années?


Ainsi l’homme trahi lamente son …        

… l’amour venir parmi les haines.        

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Le 20 Janvier 1925 …

… nait un moine poète qui fonda une communauté trappiste avec le dessein d’apprendre aux paysans et pêcheurs à peindre et à écrire de la poésie (dans l’esprit de la « théologie de la libération« ).

Ernesto Cardenal eut bien d’autres projets et motifs d’engagement voire même de combat, qui lui valurent d’être sanctionné par les autorités ecclésiastiques et notamment le pape Jean Paul II.
Il ne put célébrer à nouveau la messe qu’à la fin de sa vie, le pape François levant l’interdiction qui lui avait été imposée un an avant sa mort.

On peut comprendre le petit poème qui suit comme un acte d’humilité envers un Dieu qu’il n’a jamais cessé de servir à sa manière, c’est à dire en révolutionnaire usant de tous les moyens possibles – dans le respect de sa religion, dont celui qui lui a valu d’être sanctionné – dont les responsabilités politiques, pour atteindre les objectifs de la théologie de la libération (notamment le développement de la solidarité des peuples)

J’ai distribué des feuilles clandestines,
crié

       … passe devant chez toi
et ton seul regard me fait trembler.

Sur l’image, le pape Jean-Paul II refuse de tendre sa main à Ernesto Cardenal

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Au-delà du prêtre, du moine, du révolutionnaire, du ministre de la culture, il y a le poète. Celui qui fut, à plusieurs reprises, pressenti pour le prix Nobel de littérature, celui que l’on met volontiers au même rang que le Nobélisé Pablo Neruda et qui fut le chantre d’une poésie narrative qui privilégie l’anecdote.

« Ces têtes que tu vois sur la Bête sont
     des dictateurs.
et ses cornes sont des chefs révolutionnaires qui ne sont
     pas encore des dictateurs
mais le seront plus tard »
*

* Dans Apocalypse 1965


Le 19 janvier 1935 …

… nait le poète, essayiste et professeur d’université Lionel Ray

… poète que Jacques Darras dans la revue Esprit (AOÛT/SEPT. 2015) présente comme « l’effacé radical« .
Le vide, l’ombre, l’absence, la mort sont très présents dans les poèmes de Lionel Ray, comme ici :

C’est un étrange voyage que de vivre
Comme de boire jusqu’à la lie le verre
Et de s’en arracher comme d’une ombre
Laissant à l’horizon de soi pas même une forme vide

Sauf cette poussière de mots cette dentelle
Obscure qui a pour nom « souvenir ».

Rien ne ressemble plus

  … le chaos où les monstres sont tapis.

Ce qu’il cache et ce qu’il crie
N’est rien d’autre que bouche ouverte à l’étonnement,
Ce grossissement d’insecte d’une foule égarée
La pâle friperie des jours fanés, écume, grimace.

La grande leçon de mon enfance
Ce fut pourtant le refus des larmes
Mais tout fait retour dans le grand silence nocturne.

Mon poème prend le risque de lier le masque à l’aveu,
Mots et cailloux dans la bouche,
Le prononcé des ombres et des viandes.

Ce n’est pas un miroir pour jeune fille,
Ni un alcool pour un soir de fête
Mais une prose qui ne connaît ni la pause ni la victoire.

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Un (beau) recueil lu par l’auteur

Le 18 Janvier 1867 …

… nait dans une ville (Metapa) qui portera son nom, un des plus grand poète du Nicaragua …

… Rubén Darío sera le fondateur et chef de file du  mouvement littéraire moderniste.
Mouvement qui a donné un nouvel essor à la poésie de langue espagnole, mais dans lequel certains, tout en reconnaissant ses apports, regrettent certains de ces effets négatifs du point de vue du lien souhaité par eux, de la poésie avec la nature profonde de leur pays et des caractères de sa population ainsi que de leurs traditions.
C’est le cas ici de l’homme de lettre argentin Antonio Aïta (Essayiste, écrivain, historien des lettres et secrétaire du PEN club argentin pendant de nombreuses années)

Le modernisme, qui servit à libérer notre intelligence et à enrichir notre langue d’un rythme nouveau, apport de l’Amérique, puisque c’est d’Amérique et par l’intermédiaire de Dario que parvint en Espagne cette transformation qui devait être si profonde pour les Espagnols, fut, par contre, funeste pour la liberté de l’art littéraire de l’Amérique. Comme Coester l’a très bien fait remarquer, « le modernisme, comme mouvement littéraire, se caractérise, par son inspiration cosmopolite et la tendance des poètes à s’écarter de ce qui est national. »
Cependant, bien que le modernisme fût étranger aux modalités du caractère américain, il fut utile par les suggestions et les richesses de son esthétique. La caractéristique de l’esprit américain est plutôt réaliste, c’est-à-dire qu’il préfère la couleur à la musique. Ce qui fait que la bonne, l’authentique tradition de notre littérature, celle qui est spécifiquement nôtre par ses thèmes est toujours descriptive.
Cette préférence de l’esprit littéraire de l’Amérique a fait que le modernisme a peu duré. Son influence linguistique, par contre, fut profonde, et nous lui devons de posséder un instrument verbal aux timbres les plus divers et les plus riches.

Un des poèmes les plus célèbres de Rubén Darío est « Margarita »

Te souviens tu du désir d’être une Daisy Gautier ?           
En mon esprit, ton étrange visage s’est gravé
quand nous dînons ensemble, au premier rendez-vous,
par une nuit joyeuse qui ne reviendra jamais

Tes lèvres écarlates d’un maudit violet
sirotèrent le champagne le fin baccarat* ;
Tes doigts ont cueilli la marguerite blanche :
«Oui… non… : oui… non…» tu le savais qu’il t’adorait déjà !

Alors, ô fleur de l’hystérie !, tu as pleuré et ri ;
J’avais tes baisers et tes larmes dans la bouche ;
tes rires, tes parfums, tes plaintes étaient les miennes.


Et par un

                  … effeuillée !         

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La traduction privilégie ici la fidélité au sens, mais gomme ce qui est peut-être plus important en rapport avec ce que défendait le poète, à savoir le rythme, la rime et les assonances .
On peut, pour une version qui fait le choix de cette priorité, aller voir la traduction de Jean Aubry ici : p 126)


* Vin suisse (mousseux)


A la mort de Rubén Darío de nombreux articles en firent un vif et ample éloge. Ici le début de l’un d’eux, celui de Ventura Garcia Calderon, grand Ecrivain et diplomate péruvien.

RUBEN DARIO est mort.
Nous perdons en lui le plus pur et le plus musical des poètes de langue espagnole. On raconte que ce grand don Ramon del Valle-Inclan, l’admirable romancier de la Geste des Loups, dit un jour en public :
« Toute notre poésie peut se réduire à deux noms : Jorge Manrique et Ruben Dario »… Manrique, le vieux chantre du xv e siècle ; Dario, un écrivain de l’Amérique Centrale. La boutade déplut à Madrid. Elle
n’était que juste. C’est le poète américain, qui, le premier peut-être, a su trouver dans notre langue, si belle, mais quelque
fois trop sonore, ces « mots spécieux » de Verlaine, de Verlaine dont il avait le masque et la mélancolie.
Il était venu, comme le poète français, tordre le cou à l’éloquence, et faire « de la musique avant toute chose ».
Quand Ruben Dario commençait à écrire, un romantisme larmoyant ou tonitruant sévissait dans notre Amérique latine.
Ces vastes solitudes, ces paysages démesurés pour des Virginies ou des Garas d’Ellébeuse, ces continuelles révolutions qui témoignaient, certes, d’une énergie virile, mais indisciplinée, bref, toute cette vie singulière de nos jeunes démocraties, inspirait une poésie tour à tour exultante ou découragée, sans mesure.

Les poètes, des Renés révolutionnaires, avaient en politique toutes les audaces, mais restaient conservateurs en littérature, conservateurs des clichés romantiques. Et c’est dans ce chœur désordonné de lamartiniens et d’hugolâtres qu’allait retentir d’une « étrange et grêle façon », la plus
séditieuse musique. Déjà quelques imitateurs de Becquer avaient essayé une poésie hésitante, confidentielle et sans faste. Voici que la voix était plus prenante et savait tes mots qui font pleurer. Cette musique, tous les poètes de l’Amérique l’ont imitée, nuancée, pendant vingt ans. C’est d’elle qu’est sorti notre modernisme, qui s’apparente au symbolisme français. Ruben Dario a été, comme il le disait de Verlaine, « le père et le maître magique ». L’Espagne même l’écouta.

La génération de 1898 congédiait ses maîtres pour adopter l’enseignement de ce prestigieux symphoniste. Les écrivains de Madrid, qui songent déjà à ériger la statue de notre Ruben aux jardins du Retiro, bien d’autres encore, diront comme nous que le plus grand poète espagnol est mort.

Le 17 janvier 1946 …

… Abdelwahab Meddeb est un poète directeur de revue et enseignant.
On le présente souvent comme le meilleur antidote au radicalisme anti-Islam, autant qu’à l’Islam radical.
Il a notamment dit

« Mon rêve est de retrouver, par-delà les siècles, ce moment de grâce où dans l’Espagne des trois religions monothéistes la convivencia a été possible entre les hommes des trois livres. Un temps béni de tolérance et de coexistence fructueuse entre juifs, chrétiens et musulmans. »

Citation issue d’un entretien dans lequel il exprime son rêve de retrouver l’atmosphère de tolérance et de coexistence pacifique qui a existé pendant une certaine période en Espagne médiévale entre les communautés juive, chrétienne et musulmane.


Décédé en 2014, on peut ici à l’occasion de son hommage avoir une idée de l’Homme qu’il était.

Ou ici
Abdelwahab Meddeb (1/5) – Hommage


Après les derniers mots de l’hommage du philosophe Jean-Luc Nancy, un poème

« Tu es parti avec le poème / et tu resteras avec nous à jamais – c’est toujours toi qui le dis et nous le récitons avec toi.» 


Dédié à Edouard Glissant

Fantômes nuées qui traînent
à l’aurore

puissante mer
force sûre
que le roc mesure

vert noir diamant
merles et autres ventrus d’or
si près de la main

l’heure est sainte
s’y insinue le chat chasseur

au-dessus de ses pas
l’oiseau se lève
de juste distance
hors la portée du bond

ah ! toujours l’air
qui sépare

coups d’ailes
que rompent les doigts
qui pincent le papillon

le duvet s’empreint
dans l’aire qui se donne
à l’encre policière

si fort le ressac
atonal sériel
dissonant

et cette mer qui se brise
blanche sur la rive
de roches noires

parler avec les pierres
marcher pieds nus
sur un tapis de galets

celui-ci a la forme d’un cœur
qui emplit la main

pierre drue trouée
à son toucher
se purifie la vieille

c’était une enfance de prière

la nostalgie est un désir
qui brûle où le roseau
fut coupé de sa jonchaie

antique poète d’Arabie
qui porte haut
la couleur de sa peau

que serait l’aurore
sans le noir de la nuit ?

l’injustice a le goût du fiel
qui se dissout dans le vin
au bord de l’amer

c’est l’homme de ce vin
qui chante la fin de l’injuste
noyée dans la coloquinte

d’une ivresse montée du désert
le corps se déhanche
à la fugue de la mer

vent, vent
qui fait danser les palmes
ailes d’ange

rumeur verte
qui évite le piège
de la langue familière

souffle de compassion
rien sinon ces fétus
que le vent appose
sur les cils

serait-ce la maison du pauvre
qui cahote sous le signe
d’une comète
se mordant la queue ?

fenêtre sans vitre
vent qui rafraîchit
la chambre
après l’averse

ni poussière ni froid
la peau de la femme noire
pure soie

huit pétales
autour d’un hexagone
fleur qui s’épand

le château voyage
du fond des Pouilles
jusqu’en Amérique

quel ange t’a-t-il transporté
quel djinn quel démon
quelle fée quel téléphone

t’a fait venir aussi vite
que la voix
qu’aucun souffle ne dévie

passe tes matins
sous le kiosque en bois
dans le jardin que la pluie
perle

maison où s’entend la mer
écume qui lave le souvenir du sang

la roche offre son creux noir
derrière les touffes de fougère

une mer de décembre
et ce n’est pas l’hiver
naufrage des contritions

c’est un autre continent
qui gave le soleil
d’une vérité à la joie donnée

les gerbes d’argent
bannières sur le champ
de cannes

en elles le ciel se réfracte
gris azur qui court violet
à tout vent
crinière de cheval

le diamant
trône de Dieu
qui flotte sur l’eau

quand le monde
n’était que nuée
informe

lui seul scintillait
en ces temps de cécité

corps à corps
avec la houle
ce matin très haute

chaleur du vivant
qui instaure dans l’eau
le désordre des draps

de la grève au chemin
de cendre vers le Morne
retrait de l’insoumis

sous les pas crissent
les mille écailles
d’un ossuaire pétrifié

l’Indien ne jouit plus
de l’arbre dais qui ombre
une litière où le natif
fut coupé en morceaux

que reste-t-il d’une nation
enchaînant les déportés
aux anéantis ?

les mots s’échangent
sous le préau ouvert
sur ce qui provient
des fleurs dans les près

grimpant les versants
d’une campagne
qui accroît la ville

entre l’insecte et l’oiseau
vibratile noir luisant
nerveux fébrile

il plonge son bec
comme trompe
qui aspire les cœurs
jaunes rouges

extraire aux tréfonds
le suc de ces soleils
du zénith au couchant

fiente qui se
…            

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   …d’air décape          

la pluie érode
les tuiles sur le toit

aux Tropiques l’histoire
rabote les rugosités
qui résistent

l’air s’incarne moite
la rive se donne sonore
la nuit les poissons danseront

sur le fil qui relie
les mâts aux archives
où se déplient les noms
des révoltes matées

avec toi de la véranda
se pencher sur une mer
blanche d’une colère
qui égruge les bris de volcan

pas de mur autour des jardins
ni des parcs
là se lève haut l’arbre
éventail pour une ronde
de totem

d’autres arbres
que l’ouragan dépouille
souches dont les racines
desserrent un gémissement
de glaise

touaou à tire d’ailes
frôlant l’eau
portant au bec le sel
qui s’incrustera sur l’accoudoir
du trône

comment ne pas le craindre
auréolé par le soleil
qui se fixe à sa droite
à l’heure où l’orange
s’éloigne

profil d’arc brisé
immense iwân
sur sa roide arête
chemine le véhicule du temps

les nuées matière
où de nouveau se découpent
les silhouettes des fantômes

sur la route de la nuit
le ciel s’exile
les étoiles de très basse
lumière

mouvante surface d’eau
qui avance
pour offrir je ne sais quelle
gerbe d’atomes
échappant à la prise

l’œil ne peut fouiller
le silence du buisson
qui flamboie au tintement
de ses paillettes mauves

le soleil fuit
en sa fixité mobile
les paupières tremblent
au sifflement des sphères

ô nuit future
qui assombrit le trône
à la taille de l’iwân
toujours debout
à Ctésiphon

ce sont les Tropiques
qui maintenant
s’en prennent à Chosroès

le jour des ondées
finit en éclat
ligne brisée de l’éclair
figé au contour de la nuée
en son dernier soupir

et qui vous dit
que le règne des pères
c’est la gloire ?

seuls les fils de leurs mères
scrutent le trône déguisé
en diamant autrement taillé

dans la cavité de la compassion
sourd l’eau des filles

après avoir perdu pied
titubé chaviré
ô les senteurs d’aisselles

vanille cannelle
fèves et barres de cacao
fleurs de piment que relaie
la mandarine séparée
de sa peau

au carrefour où le rhum
croise banane et coco
doré aux rayons
du fruit qui fermente

soleil suspendu la nuit
sur les têtes des femmes
exclues du plaisir
veillant nonchalantes
le hangar

fumigations et plafond
qui enserrent l’envol
vers d’invisibles étoiles