… nait à Londres (il y mourra) le poète John Donne.
Le poème qui suit est une parfaite illustration du style et des thèmes traités par John Donne.
On y trouve, à propos de l’amour, de l’humour, dès le titre, et une bonne dose de dérision.
LE TRIPLE FOU
Je suis doublement fou, je le sais,
Pour aimer et le dire ainsi
En bêlante poésie;
Mais quel homme sensé ne voudrait être moi
Si elle disait oui ?
Je croyais une fois qu’à l’égal des canaux
Pratiqués dans la terre
Qui purgent Veau de mer du sel qu’elle contient
Il me serait aisé si j’attirais mes peines
Dans la contrainte du rythme de les alléger.
Soumise au nombre la douleur est moins farouche
Car c’est l’apprivoiser que l’enchaîner en vers.
Mais maintenant que j’ai réalisé cela,
Pour faire montre de sa voix et de son art
Quelqu’un se met à chanter mes poèmes,
Ainsi, pour le plaisir de plusieurs, il libère
Cette douleur qu’emprisonnait le vers.
D’amour et de douleur les vers sont le tribut,
Mais non ceux-là qui plaisent à lecture.
Par de telles chansons tous deux trouvent croissance
Car …

… parfait.
(Pour lire la grille plus VITE, cliquer ici)
Dans les cahiers du Sud de novembre 1936, on peut lire un article de Léon Gabriel Gros, consacré à John Donne, dont suit ici un extrait :
Le thème de l’amour est omniprésent dans l’œuvre de Donne mais s’il est aisé d’en déceler les manifestations, c’est étrange présomption que de s’attacher, entre des attitudes souvent contradictoires, à retrouver l’unité idéale.
L’erreur du critique est de vouloir à toute force re construire une pensée de poète, comme si le poète était dialecticien, comme si un système était sous-jacent à son œuvre ! En fait tout poète, même de « climat » intellectuel, se plie avec une souplesse de tous les instants aux vicissitudes de sa vie et ce n’est qu’au travers d’elles qu’il entrevoit sans pouvoir l’exprimer l’essence même de son être ; les démarches de sa pensée ne sont que la succession de ses humeurs; ses assertions les plus rigoureusement logiques les étapes d’une inquiétude sans terme.
S’appliquer à rendre cohérent l’incohérent, à construire rationnellement les mirages d’un désir insatisfait telle est, en présence des poètes, la prétention un peu ridicule du critique. Si nous y sacrifions une fois de plus c’est pour les seuls besoins de l’exposé, tenant pour acquis, à l’instant même où nous étudions la pensée amoureuse de Donne, que celui-ci, comme tout amant, ne raisonnait qu’en fonction de ses nerfs. S’il y parait moins chez lui c’est qu’étant d’une vaste érudition, ses réactions instinctives, tout aussi directes animalement parlant que celles d’un calicot envoyant un « bleu » à une midinette, se traduisaient par des considérations parées de toutes les grâces dialectiques, de tous les concetti concevables, mais jaillies tout armées de son être profond.
Le cynisme de Donne est certain. Des poèmes comme « The sang », « The Indifferent », « Loves Usury » l’attestent qui témoignent d’une volonté définie de choquer les opinions reçues, de s’insurger contre la tradition pétrarquiste. C’est ainsi que Donne proclame à diverses reprises non seulement le droit mais encore le devoir d’être infidèle. Selon la logique de ceux qui entendent être au service de l’amour il découvre la vérité dans la pluralité « Change is the nursery of tife », dit-il, spéculant dans l’abstrait, assertion qu’il transpose dans l’ordre pratique, trouvant cette formule destructrice de tout sentimentalisme. « Je peux aimer n’importe qui pourvu qu’elle me soit infidèle ! »
Ainsi, par opposition à l’attitude pétrarquiste de l’amant malheureux, Donne poursuit un endurcissement volontaire. Iconoclaste de l’amour il souhaite que celui-ci ne soit qu’un jeu et pose le principe de la « communauté » des femmes : « Elles sont à nous comme sont les fruits ».
Malgré ce parti-pris de Don Juanisme, Donne fait entendre dans « Loves Usury » une prière pour ne pas aimer qui ne fût jamais exaucée. Il ne trahit point toutefois son attitude première en ce sens que l’on ne saurait relever chez lui un cri de protestation du cœur, et quand il dépasse le cynisme ce n’est point pour se replier avec égoïsme et regret sur lui-même, chanter, selon le terme convenu, les faveurs ou les rigueurs de ses maîtresses, c’est tout au contraire pour dire sa fidélité à l’amour, son abandon à ses volontés, son culte de la beauté intérieure.
En de tels poèmes la pensée raffine sur elle-même, mais dans ce jeu, tout cérébral d’apparence, l’être entier de John Donne est en cause. Pour des natures comme la sienne, et quoique Steele ait pu en penser, l’amour n’est point toujours « générateur de simplicité », il vivifie l’énergie intellectuelle, ouvre à l’esprit les plus étranges perspectives de pensée abstraite. Malgré sa volonté de cynisme, Donne, dès qu’il se perd dans la contemplation de l’amour, retrouve, par delà Pétrarque, la méthode et la dialectique des poètes du « dolce stil nuovo » et des troubadours.
Seulement, comme de par son expérience de libertin, il demeure à l’opposé de leur idéalisme il arrive à une conception moins transcendantale que celle de Dante mais plus juste parce que moins ascétique. Dans la poésie de …

… sur les mots.
