… une mère qui aimait lire des poèmes, mis au monde le futur auteur de poèmes
dont on peut penser que les plus virulents n’était pas dans la ligne de ceux qu’elle appréciait.
Pour définir le futurisme qu’à fondé Filippo Tommaso Marinetti, plutôt que d’en développer le manifeste, je choisis ici de présenter le manifeste de ceux qui était totalement et résolument opposé à ce courant de pensée et à ses conséquences pour l’art notamment.
profession de foi des Primitivistes
1° Nous chantons la Beauté dans toutes ses manifestations actuelles, dans celles que nous prévoyons, et dans le souvenir du passé admirable.
2° Les éléments essentiels de notre poésie sont dans l’intelligente Bonté.
3° Une nouvelle littérature s’efforçant de magnifier« le caractère agressif » et glorifiant « la guerre, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent et le mépris de la femme », nous exaltons la paix, le travail, l’ordre et toutes les belles idées qui font vivre, et nous célébrons la femme qui a inspiré à la Poésie quelques-uns de ses sublimes accents…
4° Nous admirons une automobile « rugissante et qui a l’air de courir sur de la mitraille », nous sommes sensibles à toutes les découvertes dans le domaine de l’aviation, et en général, dans tous les domaines de la science, — mais nous ne voyons pas en cela une raison de mépriser la Victoire de Samothrace.
Nous ne voulons pas « démolir les Musées, les Bibliothèques, combattre le moralisme, etc… » Nous trouvons qu’il y a déjà bien assez de politiciens, députés, sénateurs, voire conseillers généraux, pour se charger de ces tâches : nous sommes des poètes, non des entrepreneurs.
Sans condamner le futurisme, l’article qui suit, du Mercure de France de janvier 1914 (alors même que l’on s’approche sans le savoir du premier grand conflit mondial) lui reproche des défauts symétriques à ceux du romantisme.
A cette époque de plénitude impatiente, à cette heure de vie exacerbée, de tumulte, de gestation, où l’être se transhumnane*, où la matière elle-même semble « se hausser jusqu’à la conscience », où une sorte de sens œcuménique nouveau naît dans l’homme, il semble que la poésie lyrique, encore plus que tous les autres arts, se tende violemment vers un pathétique encore inédit, vers une expression paroxyste et suraiguë de ce monde moderne où l’homme délivré enfin de lui-même se sent potentiellement un Dieu.
Le Futurisme, en ce qu’il a de bon en soi, est né de cette aspiration ; mais du seul fait qu’il se dénomme Futurisme, il donne trop l’impression d’être hors de notre époque; il paraît, à tort ou à raison, une abdication du présent.
Le Romantisme était une fuite dans le, passé; le Futurisme semble une fuite dans l’avenir. Tous deux se rejoignent hors la vie, dans un domaine vague, celui de la mort pour le Romantisme, celui de l’imprévisible, du devenir, de ce qui n’est pas encore, pour le Futurisme.
Le Futurisme déserte ainsi la communauté vivante pour le domaine des abstractions. Il fait alors figure de « nuée » esthétique, et apparaît une formule purement verbale. A autre chose de réel et de concret correspond l’effort des lyriques actifs — qu’importe l’étiquette qu’on leur accole ?*
*A notre époque on parle de transhumanisme.
** Il y a là comme une prophétie annonciatrice de l’ère du numérique (abstraction ultime)
Vue de l’Italie même, la proposition de Marinetti est bien différente.
On y voit favorablement un projet permettant de réveiller un pays endormi sur son passé.
Le Futurisme apparaît en somme à qui le regarde au point de vue italien comme la réaction nécessaire à ce culte effréné et idiot de l’ancien, à cette mollesse et couardise de sentiments, à ce mépris de la modernité dont notre milieu intellectuel était saturé et qui le conduisait à un épuisement ennuyeux et humiliant.
F.-T. Marinetti rappelait aux jeunes Italiens que les nations ne se nourrissent pas uniquement de souvenirs et de regrets et que même dans l’art il faut avoir le courage de quitter les continuations et les imitations pour créer quelque chose de nouveau et d’inédit.
Le texte du manifeste. Paru dans « le Figaro » qui présente Marinetti comme « le jeune poète Italien et Français«
1. Nous voulons chanter l’amour du risque, l’habitude de l’énergie et de la témérité.
2. Le courage, l’audace et la révolte seront les éléments essentiels de notre poésie.
3. La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas de course, le saut mortel, la gifle et le coup de poing.
4. Nous affirmons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive … une automobile rugissante qui semble courir sur la mitraille est plus belle que la Victoire de Samothrace.
5. Nous voulons célébrer l’homme qui tient le volant dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite.
6. Il faut que le poète se prodigue avec ardeur, faste et splendeur pour augmenter la ferveur enthousiaste des éléments primordiaux.
7. Il n’y a plus de beauté que dans la lutte. Aucune oeuvre d’art sans caractère agressif ne peut être considérée comme un chef-d’oeuvre. La poésie doit être conçue comme un assaut violent contre les forces inconnues pour les réduire à se prosterner devant l’homme.
8. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles! … Pourquoi devrions-nous nous protéger si nous voulons enfoncer les portes mystérieuses de l’Impossible? Le Temps et l’Espace mourront demain. Nous vivons déjà dans l’absolu puisque nous avons déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente.
9. Nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde -, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées pour lesquelles on meurt et le mépris de la femme.
10. Nous voulons détruire les musées, les bibliothèques, les académies de toute sorte et combattre le moralisme, le féminisme et toutes les autres lâchetés opportunistes et utilitaires.
11. Nous chanterons les foules agitées par le travail, par le plaisir ou par l’émeute : nous chanterons les marées multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; nous chanterons la ferveur nocturne vibrante des arsenaux et des chantiers incendiés par de violentes lunes électriques, les gares goulues dévorant des serpents qui fument, les usines suspendues aux nuages par des fils tordus de fumée, les ponts pareils à des gymnastes qui enjambent les fleuves étincelant au soleil comme des couteaux scintillants, les paquebots aventureux qui flairent l’horizon, les locomotives à la poitrine large qui piaffent sur les rails comme d’énormes chevaux d’acier bridés de tubes et le vol glissant des avions dont l’hélice claque au vent comme un drapeau et semble applaudir comme une foule enthousiaste.
C’est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd’hui le Futurisme parce que nous voulons délivrer l’Italie de sa gangrène d’archéologues, de cicérones et d’antiquaires … »
F.T. Marinetti
Un échantillon du progrès en marche de Marinetti :
L’Automobile
Rugissement
de lion
— l’Automobile —
et bondissement
de tigre
avec des griffes d’acier
— l’Automobile —
elle bondit
elle rugit
elle fuit
elle siffle
elle hurle
elle gémit
elle frémit
elle fume
elle tremble
elle tonne
elle va! elle va! elle va!
L’Automobile
c…
… la rue
L’Automobile
c’est l’audace
c’est la vitesse
c’est la furie
c’est la joie
L’Automobile