… l’Écho du Boulevard, crucifie Joséphin Péladan homme de tous les excès, mais auquel on doit une fine analyse (et plus) du peintre et de l’homme Léonard De Vinci, et particulièrement ici, de ce qui est considéré comme son chef d’œuvre.
(extrait de « La dernière leçon de Léonard de Vinci à son Académie de Milan« )
Ni la sereine harmonie des Chambres, ni l’énergie titanesque de la Sixtine ne correspondent à l’Inquiétude spirituelle et à l’inertie de notre génération. Seul, par le rayonnement de sa subtilité, Léonard éveille notre réceptivité. Il sera le maître de demain, s’il y a place pour un maître chez les hypertrophiés de l’individualisme.
Le mouvement rationaliste a élu Léonard, sur la foi de ses manuscrits qui témoignent d’une méthode expérimentale et d’un criticisme tout moderne.
En face d’un Léonard, l’admiration abandonne ses superlatifs et s’efforce à caractériser plutôt qu’à louer. L’analyse, difficile en soi, se complique de timidité : il semble qu’on doive se courber devant un homme si supérieur à l’humanité, et qu’il y ait effronterie à le regarder en critique. Il le faut cependant, pour le magnifier et convier autrui au saint mystère de son génie.
Par la recherche de la forme androgyne, par l’application du modelé à l’expression intellective, par le clair-obscur préféré à l’éclat coloriste, le Vinci apparaît, pour les croyants, le peintre du Saint-Esprit, pour les autres, le peintre de l’Esprit.
…
Il y a, parmi les cinq mille pages de Léonard, beaucoup de têtes d’expression, de caricatures, même de déformations et de grimaces pour japonisants et « primatisants » mais ces laideurs analytiques ne montrent que des dessous de métier, curieux pour surprendre les procédés du maître.
Les belles tètes, si différentes soient-elles, s’apparentent par la subtilité sereine elles n’aiment ni ne haïssent elles n’espèrent ni ne s’attristent elles pensent, comme les têtes grecques, avec mélancolie parfois, avec une grave paix souvent. Un nimbe de silence les entoure ces yeux chimériques ne changeront jamais d’expression ; ces lèvres de volupté ne s’entrouvriront pas. On peut les blasonner en proses lyriques et satisfaire des lecteurs on ne se satisfait jamais soi-même, si on a vécu, par les fac-similés, en véritable intimité avec ces esprits.
Plus soucieux d’éclairer le problème que d’inventer une version, j’insiste sur la cérébralité pure du type léonardien, aussi harmonieux que l’antique, plus complexe que la modernité.
Le Vinci dans le dessin des têtes est sans rival auprès de lui Raphaël paraît un écolier et Michel-Ange ne l’égale que par la force. Il y a cent têtes, au moins, dispersées dans les grandes collections, tellement surhumaines d’exécution et d’identité qu’une seule suffirait, même la Joconde et le Saint Jean perdus, à contrebalancer la Sixtine et les Chambres et à conserver au Vinci une des trois couronnes impériales de l’art.
Il existe un crayon de Raphaël d’après la Joconde, et le fragment de la Bataille ne nous est parvenu qu’à travers le dessin de Rubens les deux copies dénaturent ce qu’elles veulent reproduire le dessin…
… bestialise.
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Malraux semble avoir repris dans un discours de présentation de la Joconde aux USA, de façon plus succincte, ce rapprochement que fait Joséphin Péladan, de la statuaire Grecque :
« Léonard apportait à l’âme de la femme l’idéalisation que la Grèce avait apportée à ses traits. La mortelle au regard divin triomphe des déesses sans regard. C’est la première expression de ce que Goethe appellera l’éternel féminin »