Janvier – vases communicants – Imagine, le jour où… (2/2)

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Vases communicants de Janvier 2016

[La page des adresses pour l’ensemble des vases communicants]

 


Marie-Christine Grimard  m’a invité à ces vases de janvier
et proposé une phrase (bleue) en échange de laquelle je lui ai envoyé une phrase (verte).

 

J’accueille ici son texte inspiré de la rencontre de ces deux phrases.
On y retrouve tout ce qu’elle sait insuffler d’espérance en la vie, à travers ses mots.

(Le mien se trouve sur son site )

 


 

Imagine, le jour où …


 

–  Un soir, semblable à tous les soirs, il décida que le reste attendrait, là-bas derrière la fenêtre, le soleil commençait à rosir et il n’y avait plus de temps à perdre…

–  Le jour où elle comprit que le soleil ne lui devait rien et même, ignorait tout de la chaleur qu’il lui donnait, elle sut enfin profiter pleinement de sa caresse…

*

             Il aimait ce pays qu’il avait choisi, mais il ne prenait jamais le temps d’en profiter vraiment. Lorsqu’il avait demandé sa mutation dans cette région, il ne pensait pas l’obtenir. C’était un pari avec ses amis, et c’était devenu un objet de plaisanterie, tous se demandant comment il parviendrait à supporter la vie dans ce pays éloigné de tout, perdu au milieu des montagnes où il ne connaissait personne, lui, le gosse de la ville, avec son chien pour seule compagnie. Il est vrai que l’animal tenait plus de place qu’une famille entière, et qu’avec lui il n’aurait jamais le temps de s’ennuyer.

*

             Elle avait toujours vécu dans cette région baignée de soleil, elle ne se posait même plus la question du temps qu’il ferait lorsqu’elle avait un projet en tête. Les jours de pluie étaient si rares qu’aucune de ses représentations en plein air n’avait jamais été gâchée par une averse. Elle animait un atelier de théâtre pour les adolescents du village, et ses pièces co-écrites par les jeunes et mises en scène par ses soins, avaient toujours un franc succès dans le canton. Sa réputation n’avait pas encore dépassé la ville voisine mais elle ne désespérait pas de la pousser un jour jusqu’à Avignon. Qui sait ?

*

           Cette semaine-là, les classes avaient été difficiles, la proximité des vacances n’incitait pas les élèves à se concentrer sur Pythagore. Il se prenait à rêver de randonnées dans les collines avec son chien, au milieu des corrections de la dernière évaluation. Le désir d’évasion des jeunes devait être contagieux. Il était temps qu’il fasse une pause. Après tout, il serait plus performant au retour. Il décida que le reste attendrait, là-bas derrière la fenêtre, le soleil commençait à rosir et il n’y avait plus de temps à perdre. Il saisit son duffle-coat et son écharpe, siffla son chien, puis claqua la porte derrière lui, et partit à grands pas sur le sentier du Grandolou…

*

                      Elle réfléchissait à sa prochaine mise en scène, mais ce soir, elle n’arrivait pas à visualiser ce qui manquait au texte pour le rendre vivant. Pourtant, elle avait une sorte d’instinct pour cela, ajoutant un mot, une intonation, et l’émotion submergeait le spectateur. Elle soupira, c’était un jour sans. L’inspiration s’était envolée. Il ne servait à rien qu’elle se torture toute la soirée, si les mots la fuyaient, il était préférable qu’elle se consacre à autre chose. Ce gâteau aux amandes dont elle avait trouvé la recette la semaine dernière ferait très bien l’affaire. Sauf qu’elle avait oublié d’acheter de la poudre d’amande. Elle soupira de nouveau, décidément c’était un jour sans. Ce n’était pas dans son caractère de se laisser déborder par les difficultés. Elle avait toujours fait face, depuis son enfance, elle avait toujours su qu’elle ne pourrait compter que sur sa propre énergie. Le jour où elle comprit que le soleil ne lui devait rien et même, ignorait tout de la chaleur qu’il lui donnait, elle sut enfin profiter pleinement de sa caresse… Elle décida d’en profiter ce soir, après tout, il n’y avait plus que ça à faire, si elle voulait admirer le coucher du soleil si beau en cette saison, elle n’avait pas un instant à perdre. Elle s’habilla chaudement et partit à grand pas vers le couchant.

*

            Le soleil était magnifique ce soir, inondant de pourpre la brume qui couvrait le sommet du Grandolou. C’était l’endroit qu’il préférait, et il montait l’admirer chaque fois qu’il se sentait seul. Son chien était ravi de courir dans les sentiers, levant des pistes imaginaires et revenant vers lui tout fier de ses prises, en général des morceaux de bois aux odeurs de mousse. Il aurait pu faire une collection de branchages de toutes les essences alentour. Il lui lança le bâton qu’il venait de dénicher sous un tas de feuilles. Le chien partit ventre à terre. Il l’entendit gambader dans les futaies, puis s’arrêter brutalement et grogner. Inquiet, il se leva, se demandant quel gros gibier il avait pu déranger…

*

            Elle se dépêchait, plus que quelques mètres à parcourir et elle déboucherait sur le plateau, juste à temps pour assister au coucher du soleil. Elle connaissait chaque pierre du chemin et pourrait redescendre aisément, elle l’avait souvent fait lorsque sa mère était encore là et s’inquiétait pour elle. Elle s’en amusait en ce temps-là, mais ce soir, elle regrettait de lui avoir causé ce souci inutile, et un remords rétrospectif lui serra le cœur. Elle essuyait une larme au bord de ses paupières lorsqu’elle le vit foncer sur elle, crocs découverts, un grondement sourd au fond de la gorge. Il lui parut énorme, sa silhouette se détachant sur un fond de ciel pourpre. Elle était sûre qu’il n’y avait plus de loup depuis une dizaine d’années, les bergers ayant fait des battues jusqu’à ce que le dernier ait déserté la montagne. Pourtant cet animal gris cendré au regard sombre semblait tout droit sorti des légendes du Gévaudan. Elle s’immobilisa et retint sa respiration, évitant de regarder l’animal dans les yeux, se demandant comment elle allait s’en sortir.

*

            Il se précipita vers la voix de son chien. Il était encore jeune et même s’il était robuste, il craignait qu’il ne se blesse en faisant une mauvaise rencontre. Il se demandait ce qu’un chien né en ville ferait s’il se trouvait brutalement truffe-à-truffe avec un sanglier. Même si un de ses lointains ancêtres avait du sang de loup, la dilution des gênes au cours de générations et croisements successifs, n’avait pas dû lui laisser beaucoup d’instinct sauvage.

*

             Elle se souvint soudain de ce que lui avait appris son grand-père, un jour où ils avaient croisé un chien errant. C’était le moment de tenter l’expérience. Elle se racla la gorge, modulant sa voix, les nuits de théâtre allaient porter leurs fruits. Fixant le regard du molosse, elle émit un premier son grave, lancinant, venu du fond de ses entrailles. Le chien cessa de grogner pour l’écouter. Elle continua sa mélopée envoûtante, successions de notes répétitives murmurées à peine audibles. Le chien s’avança très lentement vers elle, comme si le chant l’attirait irrésistiblement, puis se coucha à ses pieds, la gueule levée vers elle. Elle leva la main très lentement et la posa sur le crâne de l’animal qui ne bougea pas d’un pouce.

*

            Au grognement de son chien avait succédé un murmure étrange, il pressa le pas se demandant à quel animal pouvait appartenir cette voix. Sortant du couvert des arbres, les apercevant soudain, il s’immobilisa sentant la nécessité de ne pas les déranger. Son chien, plutôt sauvage en temps habituel, était allongé aux pieds d’une jeune inconnue et la regardait avec un air de profonde adoration. Elle avait posé sa main sur ses oreilles, et lui qui ne supportait pas qu’un étranger s’approche de lui, ne bougeait plus. Il n’en revenait pas.

*

            Elle était soulagée, l’énorme molosse se révélait en fait doux comme un jeune chiot. Elle sourit et se pencha vers lui pour le caresser quand elle vit surgir devant elle un jeune inconnu qui la dévisageait d’un air méfiant. Le chien se releva brutalement et lui fit la fête. Elle comprit qu’il s’agissait de son maître et se sentit bêtement rassurée, se disant qu’ils devaient être assortis en caractères et qu’elle n’avait rien à craindre du propriétaire d’un animal si gentil.

*

            Il tenta de se remettre de sa surprise et de rassembler ses idées, mais sa timidité maladive le privait de sa voix, à moins que ce ne soit le regard bleu de la jeune femme. Il fallait qu’il se ressaisisse, puisque son chien avait fait l’essentiel des présentations, il n’allait pas rester là muet comme un imbécile.

*

            Elle croisa son regard et sut qu’il était digne de confiance, et que sa timidité ne serait pas un obstacle entre eux. Elle arbora son plus beau sourire, lui tendit la main et dit :
– Ravie de vous rencontrer. C’est une belle surprise, votre chien est extraordinaire. Je n’en n’avais encore jamais vu de semblable…

*

            Il prit la main qu’elle lui tendait, et lui rendit son sourire. Ce soir, semblable à tous les soirs, il décida que le reste attendrait, le soleil commençait à rosir et il n’y avait plus de temps à perdre…

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